Les entrepôts du savoir

Archives et Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône

Françoise Danset

Archives et Bibliothèque départementales Gaston Defferre de Marseille : tel est le nom inscrit en larges lettres blanches sur la paroi ocre rouge du bâtiment qui abrite, depuis juin 2006, les deux services des archives départementales et de la bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône. Deux services entrés dans le domaine de compétence du conseil général par les lois de décentralisation de 1982-83, et qui étaient jusqu’alors respectivement logés dans des bâtiments vétustes ou exigus :

la bibliothèque départementale, créée par la première ordonnance de 1946, était localisée depuis 1958 dans le bâtiment construit par l’architecte Fernand Pouillon à usage de bibliothèque universitaire et de bibliothèque départementale dans l’université de Provence, situé près de la gare Saint-Charles ;

– les archives départementales étaient installées depuis 1955, après avoir quitté la préfecture, dans la chapelle d’un ancien collège de jésuites de la rue Saint-Sébastien dans le VIIIe arrondissement de Marseille, avec des extensions réalisées en 1962 puis en 1978.

Au relogement de ces deux services dans des conditions adaptées et modernisées, s’est ajoutée, pour le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, la volonté de participer à la requalification d’un quartier situé en bordure de la zone portuaire et appelé à devenir, dans le cadre de l’opération Euroméditerranée, le principal pôle de développement de la ville de Marseille. Il acquiert alors deux parcelles de terrain sur lequel se trouvent des entrepôts, dans le quartier populaire d’Arenc. Cette construction sera le premier bâtiment public d’importance dans la zone de l’arrière-port.

La construction

En mai 1999, un concours international d’architecture permet de sélectionner cinq équipes d’architectes, tandis que s’élabore, au dernier trimestre 1999, le programme des deux établissements. Le jury réuni le 22 mars 2000 au conseil général sélectionne à l’unanimité le projet d’un jeune cabinet d’architectes marseillais, Corinne Vezzoni et Pascal Laporte. Ceux-ci ont pris le parti de réunir les deux services dans un même bâtiment et de laisser libre, pour en faire un jardin, la seconde parcelle séparée du bâtiment par une rue.

Ils proposent donc un bâtiment compact et fonctionnel, respectant toutes les normes en vigueur en matière d’accueil des publics et de préservation des documents, offrant de surcroît aux habitants du quartier un espace vert de qualité.

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© Photo : Alain Lassus et Vincent Montel, ABD

La première impression qui se dégage de jour comme de nuit à l’abord de ce grand bâtiment de 28 000 m2, de 28 mètres de hauteur, précédé d’un parvis de 3 600 m2, est celle de sa très grande qualité esthétique. Corinne Vezzoni a arpenté les ports de Marseille avant d’y puiser l’inspiration de sa mission : construire les entrepôts du savoir. Les containers ocre rouge stockés en bordure des quais leur donneront leur couleur, un galet lisse et aveugle leur donnera sa forme, une paroi de verre translucide leur donnera sa peau.

Elle conçoit un îlot géométrique de proportions harmonieuses inséré dans la trame du quartier : tout d’abord un long parvis de pierre de lave grise venue d’Italie, puis, derrière la mosaïque d’opacité et de transparence de la paroi de verre qui entoure de son parallélépipède le bâtiment, affleure le galet de couleur ocre rouge – une coque de béton de fibre montée sur une charpente métallique. Après avoir franchi le parvis, le visiteur entre dans le grand hall pavé de la même pierre de lave, longe la coque rouge du galet qui abrite la salle d’exposition pour entrer dans la vaste salle de consultation des archives ou dans l’espace plus chaleureux de la salle d’actualité, ou encore dans un auditorium clair et blanc entièrement ceint de parois vitrées.

Avant que ne soient finalisés les appels d’offre désignant l’entreprise générale en charge de la construction qui démarrera en janvier 2003 pour se terminer en novembre 2005, le projet connaît quelques ajustements demandés par les utilisateurs. Des fonctionnalités nouvelles sont apparues, dictées à la fois par l’évolution des supports documentaires, les missions de desserte de proximité et d’offre d’une action culturelle de qualité à la mesure des potentialités offertes par le bâtiment et par la volonté des élus du conseil général.

On redessine donc la salle d’actualité du rez-de-chaussée, on agrandit le magasin des documents audiovisuels de la BDP, et les salles de tri d’archives changent de niveau. C’est un long et fructueux travail de collaboration qui s’établit durant ces deux années entre les maîtres d’œuvre, le mandataire, les services concernés du conseil général et les bibliothécaires et archivistes.

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Salle d’actualité. © Photo : ABD

Les espaces…

Le bâtiment comprend à l’ouest la coque abritant les archives, sur 15 000 m2 et 70 km de rayonnages, répartis dans 56 magasins sur 7 niveaux. Le reste du bâtiment recevant les services des deux établissements est disposé en L :

– au nord, en rez-de-chaussée et au fond du hall d’entrée, la grande salle de lecture de 120 places, moquette grise où sont imprimées, comme sur les dalles du parvis, les lettres des alphabets méditerranéens, tables en pierre de lave avec écran d’ordinateur escamotable, fauteuils de cuir gris, et, sur cinq niveaux, l’ensemble des bureaux et salles de traitement ;

– à l’est, la bibliothèque sur six niveaux de 1 000 m2, dont deux de magasins, organisés comme les salles de prêt d’une bibliothèque publique avec de larges espaces de circulation, afin de recevoir confortablement les bibliothécaires du réseau. En rez-de-jardin et ouvrant sur la rue, les garages des trois bibliobus et médiabus et les espaces techniques. À l’étage administratif, un vaste ensemble d’accueil et de formation destiné aux bibliothécaires et aux partenaires de la BDP : hall d’exposition, salles de formation, dont une salle de 50 places et une salle équipée de 12 postes informatiques, salle de documentation professionnelle, salle de réunion, salle de détente.

L’ensemble donne sur le « jardin de la lecture », jardin paysagé par les architectes, situé de l’autre côté de la rue et ayant une vocation de square public.

… et leurs compléments

Le mobilier des espaces publics et des bureaux est dû dans sa plus grande partie au choix des architectes. Élégant, confortable, résistant, ce mobilier de fabrication italienne, fait pour durer et pour rester à l’exacte place qui lui a été assignée, donne une impression de luxe paisible.

Autre aspect remarquable : la signalétique, qui a donné lieu à un appel à projet. Elle est due à l’agence Intégral Ruedi Baur qui a construit un système signalétique alliant la fonction de guidage à une fonction esthétique par les photographies de Laurent Malone, présentées selon différents formats sur des plaques de métal sérigraphiées. Ces photographies présentées comme des séries de matériel d’archives documentaires accompagnent les panneaux d’indication, délimitant et personnalisant les différents espaces.

Le 1 % artistique ayant été assigné à la mise en lumière du bâtiment, un concours lancé en mai 2003 retenait à l’unanimité le projet de l’artiste japonais Kaichi Tahara, intitulé « Ode à la Méditerranée ». Cette œuvre poétique réalise au moyen de faisceaux de fibres optiques un éclairage mouvant qui se développe sur trois niveaux en partie sud et ouest du bâtiment et qui symbolise sur le toit le vent, à mi-hauteur les nuages, en partie basse les vagues. À ces vibrations lumineuses s’ajoute, visible de très loin, l’éclairage en rouge vif des deux rectangles non vitrés situés au centre des deux façades.

Le fonctionnement

Inauguré le 1er juin 2006, après le déménagement et l’installation des collections et des services de la BDP en décembre et janvier, suivi de ceux des archives entre février et juin, le bâtiment trouve très vite sa vitesse de croisière : la salle de lecture des archives est ouverte 44 heures par semaine, la salle d’actualité de la BDP 36 heures, la salle d’exposition propose sa deuxième grande exposition intitulée « Sur les quais », histoire du port de Marseille, l’auditorium voit se succéder journées d’étude, conférences, lectures/spectacles à un rythme de deux ou trois soirées par semaine.

Les services se sont adaptés tant à la topographie des lieux qu’à leurs nouvelles missions, ce qui a demandé des créations de postes – 23 au total pour les deux services – adaptés aux nouvelles fonctions : animation culturelle et communication, documentation et accueil du public.

Les organigrammes ont été remaniés. Le personnel de la BDP a dû en particulier se plier à l’usage de l’ascenseur et du monte-charge, faire des plannings de présence par niveaux, se familiariser avec un public de proximité, se concerter régulièrement avec les personnels des archives.

La gestion des deux services est optimisée par la mutualisation, au sein d’un service commun des affaires générales relevant des deux directeurs, d’un certain nombre de fonctions : la gestion financière et comptable, les services de l’accueil général, de la logistique, de la coordination des événements. La maintenance du bâtiment, l’entretien, le gardiennage et la sécurité sont sous-traités à des sociétés extérieures.

En conclusion, on remarquera qu’à l’heure où l’on annonce pêle-mêle la mort du livre, la perte de la mémoire, la dématérialisation des supports, la disparition des services publics, le conseil général des Bouches-du-Rhône prend le pari d’édifier au cœur d’une zone de rénovation urbaine un bâtiment à la fois monumental et chaleureux, ouvert à tous, dédié à la préservation de la mémoire et au partage des connaissances. Un bâtiment qui participe à la requalification d’un quartier déserté par l’activité portuaire, qui, par la modernité de sa conception, le projette vers l’avenir tout en restant porteur de son histoire.

Archives et Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône

(ouverture en juin 2006)

20 rue Mirès, BP 90098

13303 Marseille cedex 03

Tél. : 04 91 08 62 08

Fax : 04 91 08 62 03

Sites :http://www.biblio13.fr

http://www.archives13.fr

Architectes : cabinet Vezzoni et associés, Marseille

Mandataire du maître d’ouvrage : 13 Développement

Coût : 63 millions € (pour l’ensemble du bâtiment)

Matériaux : pierre de lave, béton de fibre, verre, ossature métallique

Surfaces

28 000 m2 dont 15 000 m2 pour le galet

surface au sol : 4 980 m2

parvis : 3 600 m2

jardin : 4 600 m2

hall : 620 m2

exposition : 230 m2

conférence : 280 m2

salle de lecture AD : 600 m2

salle d’actualité : 250 m2

espaces BDP : 5 400 m2

Capacités de stockage : archives 70 km, BDP 14 km

Collections de la BDP

380 000 livres, 51 000 phonogrammes, 26 000 vidéogrammes

Réseau bibliothèques : 87

 spécifique : 84

Personnel : 44

Bibliothèque annexe : Saint-Rémy-de-Provence

Bibliobus, médiabus : 4