Espace à lire

la bibliothèque des enfants à Clamart

par Anne Marinet

Gérard Thurnauer

Geneviève Patte

Catherine Blain

préface de Pierre Péju. Paris : Gallimard, 2006. – 184 p. ; 26 cm.
ISBN 2-07-077964-5 : 30 €

L’image de la couverture a fait le tour du monde : elle est signée Martine Franck (Magnum Photos) et montre, en noir et blanc, la spirale de l’escalier intérieur de la bibliothèque de Clamart, ornée d’une trentaine de têtes d’enfants émergeant de la rampe, lovée dans le format carré du livre… Image symbolique s’il en est d’une structure sans aspérités, tout en rondeurs. La belle préface de Pierre Péju, « Lecture, enfance, architecture », donne le ton en plaçant d’emblée la bibliothèque de la Joie par les livres en position de modèle, d’utopie incarnée grâce à la rencontre d’une mécène, d’une équipe de jeunes architectes, et de professionnelles porteuses d’un projet de lecture exigeant.

Témoigner de cette convergence, faire comprendre le processus d’une aventure partagée par de multiples protagonistes, tant par le texte que par l’image, tel est le propos de ce livre-album, publié à l’occasion du 40e anniversaire de l’ouverture de la bibliothèque en 1965. Elle fut saluée à l’époque comme « un événement dans le monde du livre et de l’architecture », et le bâtiment a été inscrit à l’Inventaire des monuments historiques en 1993.

L’élégante maquette du livre fait dialoguer, à part égale, textes et photographies en noir et blanc (hormis un cahier central de seize photos couleurs de Paul Lepreux, présentant en gros plan le grain des matériaux utilisés pour les revêtements et des détails du bâti). La plupart des photos sont extraites des archives de l’Atelier de Montrouge, ou de reportages des photographes Martine Franck (enfants) et Claude Michaelides (vues du chantier). Trois cahiers de photographies pleine page en noir et blanc, qui se déploient sur des doubles pages, introduisent visuellement les trois principaux textes qui composent le livre.

En fait, il s’agit ici d’un double regard, de deux points de vue qui se répondent : l’un historique, descriptif et fonctionnel développe le volet « bibliothèque » de l’aventure de Clamart, par la voix de Geneviève Patte, qui fut directrice de la Joie par les livres depuis son origine, en 1964, jusqu’en 2001. L’autre, architectural, relate avec minutie la genèse de ce bâtiment, par la voix de Gérard Thurnauer, maître d’œuvre du projet au sein de l’Atelier de Montrouge. Cette voix est relayée et amplifiée par l’architecte enseignante Catherine Blain, qui analyse les conceptions novatrices de l’Atelier de Montrouge, alliant langage architectural et urbanisme, démarche éthique et exigence sociale, en rupture à l’époque avec la vogue des grands ensembles, à travers l’exemple d’autres réalisations significatives, contemporaines de Clamart.

La maison des enfants

L’article de Geneviève Patte, intitulé à juste titre « La maison des enfants », tant ce public occupe la place essentielle d’un lieu qu’il s’est immédiatement approprié, nous fait revivre de l’intérieur, par petites touches, les débuts de la bibliothèque de Clamart, puis le déroulement et l’évolution de ses activités. Au passage, Geneviève Patte rend hommage à l’action déterminante et discrète d’Anne Gruner-Schlumberger, initiatrice du projet, ainsi qu’aux bibliothécaires de l’Heure Joyeuse, dont elle revendique une part d’héritage.

Les enfants du quartier ont découvert avec émerveillement ce surprenant et beau bâtiment circulaire, spécialement conçu pour eux, dont ils ont fait « leur deuxième maison ». Lieu d’éveil à la lecture, à différentes formes d’art, c’est aussi un lieu pour apprendre à vivre ensemble, en participant à la vie de la bibliothèque.

Dans les années 1980, la bibliothèque hors les murs fut une étape importante pour aller à la rencontre des enfants de la cité de transit voisine et leur apporter régulièrement des livres, parmi les plus beaux. L’expérience a duré vingt ans.

Avec la conviction d’une profession de foi, Geneviève Patte rappelle les principes qui ont fondé et guidé l’organisation de la bibliothèque, et qui la sous-tendent encore aujourd’hui : respect de l’enfant dans sa singularité, liberté, autonomie, responsabilité, écoute de la demande individuelle, exigence de qualité dans le choix des livres proposés et dans les relations adultes/enfants, rôle des bibliothécaires dans l’accompagnement et l’éveil à la lecture, par des conseils, des propositions, des échanges, dans une relation de confiance.

Une sculpture festive dans la cité

Introduit et accompagné par les impressionnantes photos du chantier, le récit en forme de journal de bord de Gérard Thurnauer, « Nous étions au printemps 1962 », nous fait partager, étape par étape, son exceptionnelle aventure architecturale, depuis la rencontre en 1962 avec Anne Schlumberger, porteuse de ce projet qu’elle voulait exemplaire et novateur, jusqu’à la mise à disposition du bâtiment achevé aux enfants du quartier et aux bibliothécaires, en octobre 1965.

Gérard -Thurnauer ne se contente pas de décrire les étapes de la construction, il nous fait entrevoir le processus de création. Ainsi, il est passionnant de comprendre comment le croquis initial du schéma fonctionnel sous forme de pastilles juxtaposées (reproduction p. 75), a fait naître l’idée de traduire en volume ce qui s’exprimait en plan, pour aboutir à cette composition de cylindres de diamètres et hauteurs variables.

La magie d’un lieu

Et c’est véritablement cette architecture aboutie, reflet des intentions de l’Atelier de Montrouge, que souligne Catherine Blain dans son article « La magie d’un lieu » : elle décrit avec précision cette « composition presque parfaite, un assemblage complexe de cercles qui […] s’épousent […] au cœur d’un autre cercle », avec son esthétique épurée, le choix de matériaux nobles, l’attention portée à l’aménagement intérieur dans ses moindres détails, dans les circulations, dans le jeu de la lumière, pour aboutir à ce « lieu magique » donnant accès à l’univers infini des livres.

Une revue de presse des articles parus sur Clamart entre 1965 et 1970 et une bibliographie d’ouvrages plus généraux complètent l’ouvrage.

À l’issue de cette lecture renouvelée et bienvenue de l’histoire tant architecturale que fonctionnelle de la bibliothèque de Clamart, à l’origine de tant d’expériences initiées depuis dans les bibliothèques pour enfants, on peut cependant regretter que le livre ne réponde pas véritablement aux interrogations qui subsistent quant à l’avenir de cette petite bibliothèque (qui veut et peut encore jouer un rôle expérimental) et celui de la Joie par les livres, à la suite des polémiques récentes soulevées par des menaces de fermeture et la proximité d’une nouvelle bibliothèque pour enfants intégrée à la médiathèque municipale.

Gageons que Clamart restera « un bien précieux et un modèle »… et qu’elle sera aussi cet « étrange vaisseau spatial et enfantin filant vers le futur » que Pierre Péju appelle de ses vœux.