Action culturelle et lutte contre l'illettrisme
ISBN 2-7526-0188-3 :18 €
Ce livre est le résultat d’une étude réalisée par l’Observatoire des politiques culturelles à la demande de l’ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme) avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication (Délégation générale à la langue française).
Elle a été confiée à Marie-Christine Bordeaux, chercheur à l’université Grenoble III, Martine Burgos, sociologue à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) de Paris, et Christian Guinchard, sociologue à l’université de Haute Alsace.
À partir des questions « Où se situe la responsabilité sociale de l’action culturelle dans la lutte contre l’illettrisme ? », « Quels sont les enjeux des actions artistiques menées sur des territoires repérés ? », « Quelle légitimité ces actions culturelles revêtent-elles aux yeux des formateurs ? », « Comment ces actions sont-elles conduites ? », il s’agissait d’enquêter auprès de populations (au sens sociologique du terme) connues pour l’avancée de leur réflexion sur ce terrain.
Trois territoires ont donc été choisis : le département de l’Ain, Roubaix, et Nancy. L’enquête a été conduite au moyen d’entretiens qualitatifs auprès d’une centaine de personnes : professionnels de la lutte contre l’illettrisme, de l’action sociale, de la formation, de la culture, élus, accompagnés de travaux d’analyse documentaire et de séances d’observation. Cette investigation s’est déroulée de fin 2003 au printemps 2004.
L’illettrisme occupe une place prépondérante dans les préoccupations des réseaux luttant contre la grande pauvreté. Pourtant l’illettrisme n’est pas un « objet » en soi dans les politiques culturelles publiques et est consi-déré comme implicite au travers de programmes comme « culture et prisons » ou « culture à l’hôpital » ou bien encore les volets culturels des contrats de ville. La lutte contre l’illettrisme souffre d’une absence d’arrière-plan institutionnel. Elle est construite comme une compétence transversale, mais moins encadrée, ce qui lui permet d’évoluer, d’innover, d’expérimenter.
Dans les trois études, les domaines impliqués dans la lutte contre l’illettrisme sont : la lecture publique, fortement identifiée comme étant le lieu symbolique de l’écrit, utilitaire ou créatif, les musées, objets de visites fréquemment organisées et dont les œuvres sont rendues plus accessibles grâce à la présence ancrée de médiateurs. Inversement, dans le secteur des arts vivants, c’est essentiellement la rencontre avec l’artiste créateur qui est privilégiée. Cela dit, dans les trois cas, les activités culturelles ne sont proposées qu’après l’entrée en formation, jamais avant la prise en charge des difficultés avec l’écrit.
L’Ain
Le département de l’Ain, marqué par la ruralité, regroupe 500 000 habitants et n’abrite aucune université ni antenne universitaire hormis l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) de Bourg-en-Bresse. Le taux de chômage y est plutôt inférieur à la moyenne nationale avec ses 5,2 %. La lutte contre l’illettrisme s’organise à partir de plateformes d’accueil et de formation comme Atelec, association soutenue par le conseil général et la Caisse d’allocations familiales, mais aussi de la ville de Bourg-en-Bresse et de plusieurs autres communes.
Les activités culturelles d’Atelec reposent sur un travail partenarial : lecture, écriture, patrimoine, beaux-arts, théâtre, danse, musique. Les institutions culturelles s’organisent pour l’accueil de ces publics selon des modes différents, quand elles disposent de services spécialisés ou de services de médiations.
Pour l’ensemble des acteurs rencontrés, une action réussie repose sur une distribution harmonieuse des rôles des partenaires engagés : animatrices, artistes et/ou médiatrices culturelles, autour d’un point central : l’expérience et l’individu. Dans les structures où la médiation est à la fois une tradition et un métier, le partenariat avec Atelec est le plus approfondi : les bibliothèques qui ont pour mission le développement de la lecture au travers d’actions culturelles sont, contre toute attente, citées après les musées dans les partenariats culturels privilégiés.
Roubaix
Roubaix présente un tout autre visage. Deuxième ville de l’agglomération lilloise, elle présente le plus fort taux de chômage (près de 32 % de la population) et a le revenu annuel moyen le plus bas de la région. C’est une ville très jeune (la plus jeune d’Europe) avec un niveau scolaire très inférieur à la moyenne nationale.
La ville a déployé depuis plusieurs années de gros efforts en matière de développement économique et soutenu l’installation de grands projets culturels comme les Ballets du Nord, le musée d’Art et d’Industrie, les Archives du monde du travail, etc. La lutte contre l’illettrisme s’organise à partir d’actions convergentes et complémentaires. Des associations ou organismes de formation conjuguent également leurs efforts pour accompagner les publics vers les nombreuses initiatives culturelles.
La médiathèque organise, avec de nombreuses associations culturelles ou d’insertion et des centres sociaux, la manifestation « Livre comme l’air », consacrée à la littérature jeunesse, où sont invités illustrateurs, écrivains, éditeurs. La ville de Roubaix a signé un contrat ville-lecture 2000-2004 dans lequel sont répertoriées un certain nombre d’actions pour le développement de la lecture avec présence de livres dans différents lieux de vie et des sensibilisations des familles à l’importance du livre et de la lecture.
Nancy
Nancy, avec ses 105 000 habitants, a su se préserver de la grave crise économique connue dans la région grâce à son tissu de PME et PMI. Le taux de diplômes est supérieur à celui de la moyenne nationale. En outre, Nancy est une importante ville universitaire avec 38 000 étudiants. Ville qui se veut résolument tournée vers l’Europe et qui s’inscrit dans le Sillon lorrain, réseau de villes.
Parler de lutte contre l’illettrisme à Nancy revient à soulever le phénomène de contrastes caractérisé par le rapport élevé hauts revenus/bas revenus : situations économiques difficiles vécues par des populations précarisées, accompagnées de symptômes de manques profonds comme la santé, les liens sociaux, l’approche culturelle.
Une première réponse positive a été fournie par le contrat ville-lecture. D’autres dispositifs ont été mis en place avec le musée, l’opéra, le centre culturel.
Les acteurs des différents champs, action sociale, formation, culture, abordent ces actions avec un point de vue lié à leur pratique, mais tous pensent qu’il faut une part de motivation personnelle au-delà de la mission qui leur est assignée. D’une façon générale, pour les professions qui se mobilisent dans la lutte contre l’illettrisme, il n’y a pas de caractéristiques permettant de décrire réellement la cible. La médiathèque, le musée, les équipements culturels accueillent des « stagiaires » en formation, des chômeurs éventuellement illettrés.
L’illettrisme est une cible qui reste floue car elle est toujours mélangée à d’autres.