Éditorial

Yves Alix

Tournées vers les publics, répondant à une demande sociale et civique exprimée ou tue, les bibliothèques fondent désormais leur raison d’être autant sur la satisfaction des besoins des usagers que sur les collections. Pourtant, comme l’écrit Anne-Marie Bertrand, « décrire les profils des publics est une gageure, tant les profils cumulés des bibliothèques françaises sont divers, à l’image de la population   * ». Le développement des études sociologiques sur les pratiques culturelles a certes permis de mieux connaître ceux qui fréquentent les bibliothèques et de décrire leurs comportements – de plus en plus individualisés, de moins en moins prévisibles. Mais dans un paysage où un étudiant sur trois ne fréquente pas les bibliothèques universitaires et deux Français sur trois ne vont jamais en bibliothèque, les non-publics requièrent une attention particulière de la part des professionnels. Ce sont pourtant les plus difficiles à cerner.

Alors que depuis trois ans au moins le monde des bibliothèques s’inquiétait de la baisse constatée des inscrits en bibliothèque municipale, y voyant les prémices d’une désertion générale, conséquence du basculement de l’information dans l’immatériel et l’ubiquité, l’enquête nationale faite en 2005 par le Crédoc à la demande du ministère de la Culture vient donner des signes positifs : la fréquentation des bibliothèques est en hausse ! Pourtant, les sceptiques ne se laissent pas convaincre. Et de nouveau, la question souvent évoquée des méthodes d’enquête est posée. Aussi, le BBF propose-t-il dans ce dernier dossier de l’année d’éclairer le sujet par la confrontation, non des résultats, mais des approches. Les lecteurs verront ainsi qu’il n’y a pas une, mais de multiples façons de connaître les publics, ne serait-ce que pour les compter. Les collectes nationales de statistiques faites par les deux ministères de tutelle, où les données relatives aux publics et aux usages tiennent une place toujours croissante, ont en effet toute leur part dans cette exploration, et ce dossier est aussi l’occasion de revenir sur leur histoire et leur évolution. De l’utilisation des collections sur place à la fréquentation des sites Internet, des pratiques des enfants aux usagers délibérément anonymes et nomades, tout est à étudier, mais à chaque objet son outil. Nous ne pouvons en forger de bons que si nous savons dès le début pour quoi ils sont faits.