E-bibliothèques, e-bibliothécaires

Benjamin Prémel

Le 19 avril 2006, s’est tenue à l’Enssib une journée d’étude organisée par les élèves-conservateurs (promotion Georges Perec) sur les technologies du numérique et ses conséquences sur l’évolution du métier. De fait, les bouleversements dans l’organisation, la diffusion et la conservation des ressources interrogent la profession dans sa réflexion et ses pratiques.

Le mouvement des archives ouvertes

La matinée a été consacrée à trois interventions qui ont offert une vision aussi complète que possible des mutations en cours à travers des projets innovants.

Éric Varon (BIUP – Bibliothèque interuniversitaire de pharmacie, Paris) a retracé de manière très précise et documentée le mouvement des archives ouvertes né à partir de la convention de Santa Fe en 1999. Ses enjeux deviennent visibles en 2002 avec l’initiative de Budapest pour l’accès ouvert et sont, depuis, précisés par diverses déclarations (Bethesda, Berlin). Parallèlement au développement de la documentation électronique commerciale, des serveurs destinés à stocker des articles scientifiques ou des thèses et à les mettre gratuitement à disposition de la communauté scientifique se mettent en place. Au vu des différences d’approche selon les disciplines pour l’édition et la publication, un travail d’accompagnement mené par les bibliothécaires auprès des chercheurs, parfois craintifs face à de possibles représailles des éditeurs commerciaux, est d’autant plus important qu’il évite de court-circuiter les services communs de la documentation (SCD).

Éric Varon a ensuite souligné la prise en compte croissante de l’OAI-PMH (Open Access Initiative – Protocol for Metadata Harvesting ) par les moteurs de recherche et rappelé la mise en place d’un nouveau modèle de publication, les creatives commons qui, tout en reconnaissant le droit d’auteur et la paternité de l’œuvre, la laisse en libre accès. La structuration des données reste cependant un problème. Enfin, le rappel de certains projets nationaux a posé la question de leur articulation au niveau institutionnel.

Vers la bibliothèque 2.0

Emmanuelle Bermès (Bibliothèque nationale de France) a ensuite parlé de l’archivage des documents numériques dans une optique patrimoniale qui se heurte à l’évolution rapide de l’environnement matériel et logiciel en informatique. Actuellement, un modèle d’archivage, l’Open Archival Information System (OAIS – norme ISO 14721) permet de gérer le cycle de vie du document en lien avec ses métadonnées. Après avoir présenté la multiplicité des types de documents que recouvre le vocable « patrimoine numérique » pour la BnF (documents numérisés, masters électroniques, dépôt légal en ligne, cédéroms, bases en ligne, production documentaire interne…), E. Bermès est revenue sur l’impact de cette masse documentaire d’un type nouveau dans la réflexion sur le métier, et ce, à chaque étape du circuit du document. Néanmoins, parler de nouveaux métiers est abusif : les aspects techniques sont également prégnants dans l’univers papier et le numérique ne fait pas l’économie d’une politique documentaire.

À partir de l’exemple de Valenciennes, pilote en matière de portail électronique, Guillaume Hatt (SCD de l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis) a ensuite traité de l’importance des portails électroniques pour l’accès aux documents numériques. De fait, les portails proposent un accès unique à des ressources hétérogènes par un moteur de recherche multibases (recherche fédérée), de même que l’intégration des sources dans des protocoles standards (http, Z 39-50, XML). S’inscrivant dans un environnement technique particulier (formats ouverts, open source, interopérabilité OAI) et politique (environnement numérique de travail, universités numériques en région), les portails documentaires interrogent aujourd’hui fortement la profession : les logiques de collection et de maintenance s’effacent au profit de logiques d’accès et de gestion de projets, obligeant à un dialogue renforcé avec les autres acteurs de l’université afin de mieux répondre aux besoins locaux des usagers. Néanmoins, la « bibliothèque 2.0 » doit encore se soucier de normalisation (TEF 1, LOM-Fr 2).

Blogs professionnels en bibliothèque

L’après-midi, les présentations ont laissé place à une table ronde plus informelle autour des blogs professionnels en bibliothèque. Loin de s’appesantir sur les aspects techniques mais après quelques précisions terminologiques (wiki 3, trackback  4, RSS 5), les invités ont insisté sur l’envie de partager et de capitaliser des connaissances à l’origine de tout blog. Si, la plupart du temps, l’on attend un échange avec le lecteur, ce n’est pas toujours le cas. Emmanuelle Bermès 6 avoue simplement « bloguer pour [elle] ». Les blogs ne s’adressent donc pas forcément à la profession.

Jean-Charles Houpier (SCD de l’université Henri Poincaré – Nancy I) appelle d’ailleurs à bloguer en direction des utilisateurs autour des projets de la bibliothèque. Ce peut donc être un outil de communication avec les usagers et un «  ». Si le domaine de la lecture publique est a priori plus directement concerné, l’exemple de la BIUP montre que ceci est aussi possible à l’université. Plus largement, faire un blog participe d’une envie d’entraîner les autres à bloguer. Cependant, il importe de ne pas chercher à bloguer « pour faire de l’audience » (Nicolas Morin 9, SCD de l’université d’Angers). Se tenir à une ligne éditoriale et publier fréquemment et régulièrement contribuent de manière positive à la notoriété d’un blog.

Quelle que soit la solution technique de publication retenue, se pose la question de la sauvegarde du contenu. La fonction « cache » de Google ou les sites blogline.com 10 et archives.org 11 permettent de récupérer des contenus mais un archivage plus complet reste en suspens. Marlène Delhaye 12 (SCD de l’université Paul Cézanne-Aix-Marseille III) s’inscrit d’elle-même dans une « logique de transmission » plus que de conservation.

Enfin, N. Morin a conclu sur les questions juridiques autour des blogs auxquels s’applique la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Le blogueur, jamais anonyme, est responsable de son blog. Assuré de la liberté d’opinion, le fonctionnaire blogueur doit respecter son devoir de réserve et le secret professionnel. E. Bermès parle ainsi « de [sa] profession, jamais de [son] travail ».

Pour illustrer le propos de manière concrète, les organisateurs ont, au fil de la journée, nourri le blog de la rencontre 13 de commentaires et de résumés des interventions (elles sont désormais téléchargeables), ce qui n’a pas empêché un auditoire nombreux de se déplacer à l’Enssib.