L’INA

par Yves Alix

Emmanuel Hoog

Paris : Presses universitaires de France, 2006. – 127 p.  ; 18 cm. – (Que sais-je ? ; 3716).
ISBN 2-13-054545-9 : 8 €

L’Institut national de l’audiovisuel est encore mal connu en dehors des milieux de la radio et de la télévision. Il doit sans doute cette méconnaissance, pour une part, aux circonstances particulières de sa création et à son histoire chaotique, mais aussi largement à la définition de ses missions, qui ne s’est précisée que progressivement.

Une histoire chaotique

Pour présenter le troisième organisme public destinataire du dépôt légal (avec la Bibliothèque nationale de France et le Centre national de la cinématographie), la collection « Que sais-je ? » a sollicité celui qui en est le président-directeur général depuis 2001.

On sait les risques d’un tel choix : l’information sera certes puisée à la source, mais pesée au trébuchet, l’auteur ne pouvant dans un tel exercice s’exprimer autrement qu’ès qualités. En outre, pour le lecteur, le doute subsiste toujours quant à la paternité réelle de ce qu’il lit, le patron signe ce qu’ont écrit ses collaborateurs, il n’y a rien là que de très habituel. Enfin, et c’est ce qu’il faut sans doute redouter le plus, la tentation du plaidoyer pro domo est d’autant plus vive pour l’auteur que son organisme peut avoir souffert ou souffrir encore d’une injuste mauvaise réputation – ce qui a bien été le cas de l’INA des premiers temps, à cause notamment de ses tarifs et de la quasi-inaccessibilité de la plus grande partie des fonds conservés. Autant évacuer tout de suite ces réserves de principe (qu’on tient à formuler d’autant plus nettement qu’il s’agit d’une collection universitaire), pour nous intéresser au contenu de ces 128 pages, puisque c’est bien là l’essentiel. À vrai dire, même si on peut déceler çà et là certaines traces de langue de bois et une tendance (maîtrisée) au jargon énarchique, l’auteur dépasse la plupart des défauts évoqués ci-dessus, grâce à l’ambition et à la précision de son propos.

La première partie est consacrée à l’histoire de l’institut, créé lors de l’éclatement de l’ORTF en 1974 pour rassembler les activités d’archivage, de formation et de recherche qui avaient été oubliées dans le découpage de l’office en sociétés indépendantes. Les lois sur l’audiovisuel de 1982 et 1986 ne stabiliseront ni son statut ni ses missions, et l’orienteront rapidement vers une logique commerciale, au détriment des missions patrimoniales. En instaurant le dépôt légal de la radio et de la télévision, la loi de 1992 va permettre de dessiner précisément les contours de celles-ci, sans pourtant apaiser les tensions ni lever les ambiguïtés liées à la propriété des programmes, et il faudra encore une loi, celle d’août 2000, pour clarifier enfin les relations entre l’institut et les sociétés publiques.

Le choix de la numérisation

La deuxième partie décrit les missions actuelles de l’INA. Établissement public de l’État à caractère industriel et commercial, employant près de mille personnes, avec un budget de plus de 100 millions d’euros alimenté pour les deux tiers par le produit de la redevance, l’INA, conservatoire de la radio et de la télévision, est aussi un organisme de formation, un laboratoire de recherche et un fournisseur de services documentaires 1. Mais il est d’abord une banque d’archives audiovisuelles, l’une des plus importantes et des plus modernes certainement. Les pages 46 et suivantes nous renseignent de façon détaillée sur les collections conservées, d’une grande diversité de provenances : fonds cinéma (dont celui de la Coopérative générale du cinéma, avec la Bataille du rail), fonds de la télévision nationale depuis 1949, fonds des radios publiques depuis 1933, fonds photo (riche d’un million et demi de clichés) et fonds régionaux constituent le premier ensemble.

Les fonds du dépôt légal en sont le pendant et apportent le plus gros de l’enrichissement quotidien, dont la masse donne le vertige : depuis 2002 par exemple, l’intégralité des programmes des télévisions hertziennes et des radios publiques est collecté par enregistrement numérique et stocké sur supports S-DLT et DVD. « L’histoire des archives, écrit l’auteur, c’est d’abord l’histoire des supports sur lesquels elles s’inscrivent. » À ce titre, les spécialistes de la conservation liront avec un intérêt particulier les pages 59 à 65 et la description de la migration vers le numérique, enjeu majeur du patrimoine audiovisuel. On le sait, le parti a été arrêté à l’INA, non seulement de sauver en urgence tous les fonds analogiques menacés, mais de (presque) tout garder et de tout numériser (E. Hoog s’en est déjà expliqué dans un article du Débat) 2. Les pages de la troisième partie où ces choix sont justifiés trahissent une foi inébranlable dans la pérennité du support numérique que les sceptiques ne partageront sans doute pas, ni ceux qu’effraie le coût d’une telle exhaustivité. Mais au moins le projet a-t-il une cohérence et bénéficie-t-il d’un pilotage clair.

Avec la conservation, le défi majeur de l’institut est celui de la valorisation et de l’accès aux contenus. Deux chapitres y sont consacrés, le premier décrivant les services déjà en place, le second indiquant les priorités pour demain. L’indexation des œuvres, les modalités de mise à disposition, l’activité d’édition évoluent sans cesse et permettent de développer une expertise sans cesse accrue. Mais l’accessibilité échoue toujours devant la complexité de la gestion des droits (plus de 300 000 ayants droit répertoriés), que la mutation actuelle d’une logique de droits sur des supports à une gestion des flux aggrave encore.

Au final donc, une synthèse éclairante et riche, qu’on pourra compléter avec profit par la lecture des Dossiers et Nouveaux dossiers de l’audiovisuel, l’excellent bimestriel publié par l’institut 3. Les défis du patrimoine et de l’accès à la mémoire sont les mêmes, mutatis mutandis, pour le livre, le son et l’image. C’est donc bien un miroir que nous tend la description, faite avec conviction et enthousiasme, de l’organisme public chargé de conserver pour les générations futures Bonne nuit les petits et La caméra explore le temps, le Palmarès des chansons et Les Perses. La postérité y retrouvera ses petits, endormis ou non.