Éditorial

Yves Alix

Pourquoi « web » et non « toile », comme les recommandations officielles sur l’usage du français nous y invitaient ? Sans doute, en choisissant spontanément le terme anglais, la rédaction entérine-t-elle, nolens volens, la suprématie définitive du vocabulaire anglo-saxon dans la sphère des sciences de l’information et de l’innovation technologique. Mais elle souligne aussi dans ce choix l’universalité de l’information elle-même, bien public nécessaire à tous, qu’une langue commune peut sans doute contribuer à rendre plus accessible. Voués à cet objet insaisissable, les bibliothécaires ne prétendent pas pour autant « organiser l’information du monde » comme l’annonce sans fard Google. Il y a un pas du totalisant au totalitaire, et ce n’est pas là qu’une question de vocabulaire.

Le maître mot de l’offre des bibliothèques sur Internet aujourd’hui ne serait-il pas plutôt « service » ? Les portails des bibliothèques américaines ont déjà adopté une logique d’échanges et de diversité des usages, pour la diversité des communautés servies. Au Danemark, une stratégie nationale volontariste et ambitieuse a permis de développer une offre d’une richesse exemplaire. En France, les sites des bibliothèques municipales évoluent rapidement, dans leur graphisme ou leurs menus autant que dans l’enrichissement des contenus proposés. Les bibliothèques départementales se font elles aussi plus visibles, aussi bien pour leur réseau professionnel que pour le public. La maîtrise des outils du web a permis l’éclosion de nouveaux outils de publication, comme les blogs et les wikis, marqués par une autonomie des acteurs et une fulgurante atomisation des ressources. Dans ce mouvement vers la désintermédiation, les professionnels parient sur la plus-value latente que la sélection, le classement et la valorisation des ressources peuvent apporter à « l’information mondiale ». Annuaires de liens spécialisés comme Bibenligne, services de référence virtuels, catalogues enrichis, portails documentaires fédérant la recherche entre sources internes et externes, autant de projets qui permettent de donner corps à la bibliothèque hybride de demain. La Bibliothèque numérique européenne, le dépôt légal d’Internet, mais aussi les dispositifs destinés à garantir l’accessibilité des handicapés à toutes les ressources déployées sur la toile, témoignent largement de l’implication des politiques et des pouvoirs publics dans cette ambition de maîtriser, pour le bénéfice de tous, le flux informationnel. Dans cette caverne rougie par le feu, les bibliothécaires ne sont-ils pas les alchimistes chargés de fondre « l’or des sites » ?