Le film noir américain
repères et ressources documentaires
Paris : Bibliothèque du film, 2005. – 199 p. ; 24 cm. – (Ressources).
ISBN 2-914889-02-X : 16 €
Le « film noir » est une invention française. Non le genre lui-même, mais son mythe, depuis les premières critiques parisiennes de 1945 jusqu’à la parution en 1955 du classique de Raymond Borde et Étienne Chaumeton, Panorama du film noir américain, 1941-1953. Mais si le terme est à jamais « en français dans le texte », l’historiographie du genre s’est depuis définitivement américanisée, comme le souligne Marc Vernet dans son introduction. Dès lors qu’ils s’intéressent à leur héritage de films criminels, les spécialistes américains investissent le sujet et en font progresser radicalement la connaissance. Borde et Chaumeton retenaient vingt-deux films emblématiques du genre. Film noir, d’Alan Silver et Elizabeth Ward (1980), présente plus de deux cents titres, tous rattachables à l’une ou l’autre de ses composantes, si ce n’est à toutes. Dès lors, un mouvement de « refondation méritée et éclairante » de la notion parcourt la critique et invite les spécialistes comme les cinéphiles à revisiter non seulement tout un pan du cinéma américain des années 1940 à 1960, mais la construction même de la notion de genre.
Dans le cadre de sa politique d’édition et de valorisation, la Bibliothèque du film propose une collection qui, par sa conception même, ne peut qu’intéresser les bibliothèques et les établissements documentaires. « Ressources » offre en effet des outils de premier ordre, qu’il s’agisse du cinéma documentaire (Filmer le réel, 2001) ou de l’Économie du cinéma (2004). Troisième titre paru, Le film noir américain, écrit par Véronique Doduik et Blandine Serre-Étienne, est de la même qualité que les deux précédents. Sur une période du cinéma américain déjà abondamment commentée, même par l’édition française (voir les titres de Patrick Brion, François Guérif, Noël Simsolo…), l’ouvrage apporte une dimension réellement nouvelle par son approche pédagogique et même didactique, abordant la question sous tous ses angles et dans toutes ses dimensions, dans une présentation rigoureuse.
Structuré en cinq parties (historiographie et repères chronologiques, définition, sources, style visuel, héritage), le texte est complété d’une bibliographie commentée très complète, d’un glossaire et de deux index. De nombreuses illustrations enrichissent l’exposé.
Certes, l’ensemble n’est pas sans défauts : le texte, parfois schématique (revers sans doute du didactisme revendiqué) aurait gagné à être ramassé, le style allégé. Malgré le soin d’ensemble, on relève aussi quelques erreurs qui n’auraient pas dû échapper à la relecture (par exemple p. 85 : la scène où Richard Widmark pousse une infirme en fauteuil roulant dans un escalier, ici attribuée à Night and the City alors qu’elle est dans The Kiss of Death ; ou p. 87 : David Raskin au lieu de Raksin). Je m’empresse d’ajouter que ces fautes sont rares et que la rigueur onomastique de l’ensemble est à saluer. On regrettera aussi l’absence d’un index des titres français des films, comme celle des génériques, même sommaires.
Sur l’analyse des constituants du genre, le chapitre consacré au style visuel (décor, photographie) paraît plus satisfaisant que le chapitre « Définition du film noir », plus long, plus profus, mais tournant un peu à l’énumération, sans axe majeur. Quant à l’« Héritage » (partie V), il s’écarte parfois trop des sources du genre, tout en négligeant certains films (ex. de Kurosawa : pourquoi Chien enragé et pas Entre le ciel et l’enfer ?) ; l’absence dans le corpus de certains titres (Party Girl, par exemple) s’explique mal, ou plutôt n’est pas expliquée. Enfin, la musique, composante pourtant essentielle du film hollywoodien, est complètement sacrifiée.
Mais que ces légères réserves ne détournent pas de l’essentiel : c’est un ouvrage vivement recommandable, autant pour sa conception et la qualité du propos que pour la présentation, alliant clarté et sobriété élégante, avec un superbe choix de photos.