L’informatique documentaire

Un avenir avec ou sans les bibliothèques ?

Marie-Annick Cazaux

La Bibliothèque publique d’information (Bpi), la médiathèque intercommunale Pau Pyrénées, l’Association des directeurs des bibliothèques des grandes villes de France (ADBGV), l’Agence régionale pour l’écrit et le livre en Aquitaine (Arpel) et l’université de Pau et des Pays de l’Adour (Uppa) ont organisé, le 24 novembre 2005, une journée d’étude intitulée « L’informatique documentaire : un avenir avec ou sans les bibliothèques », qui s’est tenue à l’École internationale des sciences du traitement de l’information de Pau.

André Labarrère, président de la communauté d’agglomération de Pau Pyrénées, a accueilli l’auditoire en traçant rapidement les grandes lignes du futur équipement de lecture publique de l’agglomération paloise 1, la médiathèque intercommunale à dimension régionale (MIDR). C’est à l’architecte Zaha Hadid qu’a été confié ce projet dont l’ouverture est programmée en 2008. La question de l’évolution des technologies documentaires trouve naturellement sa place dans cette réalisation dont l’infrastructure informatique s’appuiera sur le réseau à très haut débit de la ville.

Quatre tables rondes composées de chercheurs, de professionnels et d’industriels se sont succédé pour envisager ce que seraient les contours de l’informatique documentaire dans les dix ans à venir, les modalités d’accès aux ressources, le développement des outils personnels et publics et enfin la place des bibliothèques dans ce contexte en mouvement.

L’actualité de la recherche

Patrice Enjalbert (université de Caen) et Mauro Gaio (Uppa) ont présenté leurs recherches s’appuyant sur des procédures d’accès « par le contenu ». Des méthodes d’ordre sémantique permettent de saisir des éléments de « sens » et de « contenu », indépendamment du mode d’expression. Leurs travaux portent également sur des recherches par le « temps » et l’« espace » (projet en cours pour la médiathèque de Pau) et rendront possibles des requêtes à partir d’images.

Le modèle RDF (Resource Description Framework), présenté par Jacques Kergomard (Opsys), établit des relations entre des documents et des métadonnées. Ce modèle conceptuel et sérialisé (XML) permet à une machine de lire un document XML et d’en extraire le sens. La définition du vocabulaire des métadonnées (ontologies 2, taxinomies) et les relations entre les documents et les métadonnées donnent une vision globale de la manière dont toutes les données du web sont organisées. Jacques Kergomard estime que les nouvelles générations de systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB), qui intégreront la norme RDF, seront disponibles dans les trois ans à venir.

Les modalités nouvelles d’accès aux ressources dans les bibliothèques

Caroline Wiegandt a indiqué que des observations, réalisées par la Bibliothèque nationale de France (BnF) sur les modes d’accès à Gallica, ont montré que l’accès par le catalogue à des données numériques n’était pas plébiscité par les utilisateurs. « Il faut repenser la mise à disposition des ressources numériques et leurs accès. »

À l’université de Paris VIII, l’équipe de recherche pluridisciplinaire « Documents numériques et usages » du laboratoire Paragraphe propose le « Visual… Catalog 3 ». Cet outil, élaboré avec la collaboration des professionnels du service commun de documentation de l’université, permet des recherches basées sur le « sens ». Il offre de plus une visualisation globale de la collection, des outils et des lieux documentaires par le biais d’une interface graphique. Les interfaces des systèmes d’information doivent aussi favoriser l’accès aux ressources et Nicole Lompré (laboratoire Société environnement territoire, CNRS-Uppa) a présenté, au travers de quelques exemples, les principaux critères en ergonomie 4.

Du côté des industriels, le rapprochement des demandes des utilisateurs et du contenu des documents est au centre des préoccupations et, pour Xavier Henri-Bourgain (société Cadic), les moyens de rapprocher les demandes et les ressources sont multiples. La réflexion, sur des outils de plus en plus évolués, doit aussi tenir compte de la législation qui « ne permet pas de faire toujours ce que l’on veut ».

Outils personnels et outils publics : la fin d’une frontière ?

Michel Fingerhut (Ircam) estime que les nouveaux outils disponibles sur le web repoussent les frontières des bibliothèques, des collections, de l’organisation et de l’appropriation des savoirs 5. Il envisage les futurs systèmes comme des « dispositifs intégrés, polymorphes et personnalisables [permettant] le référencement, la gestion, l’organisation, la circulation et la diffusion de documents de nature différente […] et de ressources numériques choisies […] offrant des moyens de s’approprier les contenus et de communiquer sur ces contenus ».

Cependant, même si les fonctionnalités des outils de recherche sont de plus en plus élaborées, Véronique Mesguisch (infothèque du pôle universitaire Léonard de Vinci) pense que « l’outil informatique ne va pas tout résoudre ». L’utilisateur doit disposer d’autonomie face à la complexité des outils qui sont proposés : elle souligne le « primat de la recherche par mots clés au détriment de la recherche par arborescence » et note l’importance de « faire émerger la recherche sérendipitaire 6 ».

Les prévisions montrent que, dans dix ans, l’équipement individuel des usagers sera très important face à une masse d’informations galopante. Pour Marc Richez (Ever Ezida), il importera de valoriser ces informations, de permettre des échanges entre systèmes, de mettre en œuvre et de faire dialoguer des ontologies, pour que les utilisateurs puissent appréhender la quantité et la variété des informations auxquelles ils accéderont.

Quel avenir pour l’informatique dans les bibliothèques ?

Cette dernière table ronde terminait une journée particulièrement riche en informations. Pour Gilles Gudin de Vallerin (directeur de la bibliothèque municipale de Montpellier), les bibliothèques doivent accompagner les utilisateurs dans leurs démarches d’accès au savoir et offrir des services personnalisés. Dans ce nouveau paysage, « la fonction du bibliothécaire change peu : sa mission est toujours d’orienter le lecteur, quelles que soient les modalités de son intervention. On ne peut ignorer le rôle des bibliothèques dans les accès à l’information… et il faut souhaiter participer à la constitution de savoirs en étant ambitieux et modeste ».

Jean-Pierre Sakoun (société Ineo) pense qu’il faut développer des services interactifs documentaires (recherches et accès), des services au lecteur (compte, réservations, emprunts, DSI [diffusion sélective de l’information]), des services « utilitaires » (impressions, réservation de places, etc.).

Enfin Gérald Grunberg, directeur de la Bpi, a conclu cette journée en soulignant la nécessité de « mutualiser les efforts pour constituer des bases de connaissances ». Il en veut pour preuve le partenariat entre la médiathèque paloise et l’Uppa, mais aussi entre la Bpi, les industriels et des universités de technologie. Il rappelle que « la BnF, au nom de ses missions, a les moyens d’entreprendre des démarches de recherche et de développement sur les évolutions nécessaires… [et qu’]il faut continuer à travailler à ces rapprochements, même si les intérêts divergent ».