Les disques 78 tours et microsillons dans les collections publiques en France
Bilan et perspectives
Gilles Pierret
Partant du constat que les collections de documents sonores édités (bien qu’il ne s’agisse pas d’archives sonores à proprement parler) ne se sont pas encore vu reconnaître la valeur patrimoniale qu’elles méritent, la journée d’étude organisée par l’Afas (Association française des détenteurs de documents audiovisuels et sonores) et la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 27 mai 2005, avait pour but de sensibiliser à la nécessité d’en assurer et d’en développer la conservation, qui s’impose d’autant plus aujourd’hui que l’avenir du disque est loin d’être assuré.
Les lieux-ressources
Il s’agissait, tout en replaçant ces documents dans leur contexte historique, économique et social, de dresser un état des lieux des principaux gisements existants. Au premier rang de ceux-ci, le département de l’Audiovisuel de la BnF, qui recense plus d’un million de supports, depuis les premiers cylindres (1891) jusqu’au disque compact, et bénéficie de l’apport (depuis 1938) des collections du dépôt légal, enrichies d’acquisitions et de dons réguliers ; la Discothèque centrale de Radio France, constituée au début des années 1950, qui renferme également des collections d’une richesse exceptionnelle (notamment 850 000 33 tours) ; les Archives sonores de la Médiathèque musicale de Paris, qui, malgré une taille beaucoup plus modeste (120 000 documents), possèdent l’originalité d’avoir été constituées à partir des collections de la Discothèque de France.
D’autres collections importantes étaient également présentées au cours de l’après-midi. Héritière de la Bibliothèque du Conservatoire fondée en 1795, la Médiathèque Hector Berlioz, riche de ses remarquables collections d’imprimés, n’en possède pas moins un très beau fonds de documents sonores, enrichi notamment par les dons réguliers de compositeurs, musicologues ou interprètes (Marc Pincherlé, président de l’Académie Charles Cros, Igor Markevitch, Norbert Dufourcq).
Nice, exemplaire parmi les BMVR (bibliothèques municipales à vocation régionale) pour avoir mis en place une politique volontariste de conservation à partir du fonds de la « Jazzothèque », continue d’accroître ses collections encyclopédiques grâce à des acquisitions, des dons, mais aussi des dépôts d’autres bibliothèques (Vitrolles, Marseille). On y recense 130 000 documents sonores, dont nombre de raretés, avec une section spéciale consacrée aux « collectors » (formats spéciaux, boîtes, pictures-discs).
La Médiathèque musicale Gustav Mahler, fondée en 1986 par Henry-Louis de La Grange et enrichie des collections de Maurice Fleuret, rassemble une documentation inédite constituée d’archives de musiciens (Kosma, Koechlin) ou d’interprètes (Marguerite Long), de dossiers de presse et de documents sonores (30 000 33 tours).
Cachez ce disque que je ne saurais voir…
Mais au-delà de ces lieux-ressources bien identifiés, la difficulté pour le disque à accéder au statut d’objet patrimonial demeure, comme l’expliquèrent, chacun sous un angle différent, les participants à la table ronde animée par Elizabeth Giuliani, présidente de l’Afas.
Yves Alix (Service scientifique des bibliothèques de la Ville de Paris) retraça d’abord, à travers l’action pionnière de la Discothèque de France (dès 1958), la naissance et le développement des collections de disques dans les bibliothèques municipales, avec la création du premier service de prêt de disques au Théâtre Marigny (1960). Il fit remarquer que, la musique étant entrée dans les bibliothèques par le disque, dans un but de diffusion culturelle, la conservation de cet objet destiné d’abord au prêt n’avait jamais été une priorité.
Myriam Chimènes (Institut de recherches sur le patrimoine musical), analysant le rapport des musiciens et des musicologues au disque, expliqua que celui-ci n’avait jamais été considéré comme un document vraiment digne d’étude. Elle rappela, alors que leurs bibliothèques étaient conservées avec le plus grand soin, la désaffection dont avaient fait l’objet les collections de disques – pourtant remarquables – de Francis Poulenc ou d’André Jolivet, considérées comme sans intérêt. Pourtant, si l’attention s’est portée jusqu’à une date récente essentiellement sur les créateurs, l’intérêt pour les interprètes (et donc pour le disque) commence à mobiliser de jeunes chercheurs, comme le fit remarquer Ludovic Tournès (Université de Rouen), en expliquant qu’il y a un gros travail à faire pour rendre les fonds accessibles et apprendre aux étudiants à analyser un document sonore en le mettant en rapport avec d’autres sources.
La journée se termina sur un vœu unanime, appelant à une mise en commun et à un meilleur signalement des ressources existantes. Comme l’a rappelé Valérie Tesnière (BnF), le Catalogue collectif de France (CCFr) envisage en effet l’ouverture à d’autres supports, en ambitionnant de devenir un guichet de localisation des ressources françaises par l’interrogation de portails régionaux ou de catalogues de grandes bibliothèques. Après l’ouverture du catalogue des manuscrits de France (octobre 2005), ce sera le tour des inventaires régionaux de la musique imprimée, puis des documents sonores. Des enrichissements sont d’ores et déjà programmés, à partir des collections des Pôles associés : catalogue des 78 tours de la Médiathèque musicale de Paris, en attendant la rétroconversion des fonds de microsillons, prévue, comme pour Nice, en 2007-2008 ; catalogues d’autres grandes collections comme les CNSMD (conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse) de Paris et de Lyon, Radio France…
Cette ouverture du CCFr aux documents sonores impliquera la création d’un outil commun, dont il faudra déterminer la forme, catalogue collectif ou solution éclatée avec interface BnF. Rendez-vous est pris en fin d’année pour en débattre. C’est dans cette perspective que l’Afas, par la voix de sa présidente, proposait en conclusion de cette journée riche d’enseignements et porteuse d’espoir, la mise en place d’un inventaire des fonds de documents sonores patrimoniaux édités (78 tours et microsillons).