Le siècle de la presse : 1830-1939

par Philippe Poirrier

Christophe Charle

Paris : Éd. du Seuil, 2004. – 399 p. ; 21 cm. – (L’Univers historique).
ISBN 2-02-036174-4 : 26 €

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, Christophe Charle est l’auteur d’une œuvre importante qui s’inscrit à la charnière de l’histoire sociale et de l’histoire culturelle. Il est par ailleurs l’un des rares historiens à s’être approprié les outils de la sociologie de Pierre Bourdieu.

Une synthèse érudite

Issu d’un cours professé en Sorbonne, ce livre se présente comme une synthèse sur l’histoire de la presse en France de 1830 à 1939. De cette origine, l’ouvrage conserve la clarté de l’exposition et le souci didactique. En quinze chapitres, solidement construits, l’auteur propose une analyse du premier média de masse. La déclinaison chronologique conduit du régime de Juillet – issu d’un processus révolutionnaire qui trouve ses origines dans la censure des journaux – à l’effondrement de la Troisième République. Pour Christophe Charle, ce siècle offre à l’analyste un cycle complet : essor, apogée et déclin de la presse.

La presse est ici entendue dans un sens relativement large : journaux, spécialisés ou non, revues généralistes et littéraires. L’auteur mobilise les méthodes et les approches de l’histoire sociale, de l’histoire politique et de l’histoire culturelle. Une chronologie analytique, une bibliographie très informée et un double index des noms et des titres confèrent à ce volume le statut d’outil de travail pour tous ceux – étudiants ou professionnels – qui s’intéressent aux médias.

Un outil d’analyse des problèmes d’aujourd’hui

L’ouvrage de Christophe Charles permet de bien saisir le lien étroit qui se construit progressivement entre la société française et la presse. Premier bien de consommation de masse, la presse contribue à l’unification culturelle relative de la population. La France de la monarchie de Juillet était hiérarchisée en trois univers culturels étanches : les lettrés lecteurs des journaux et acteurs de la vie politique ; les demi-exclus de l’imprimé qui participent d’une culture dominée par l’oralité ; les analphabètes quasi étrangers en leur propre pays. À la fin des années 1930, le journal est désormais lu par tous les Français, urbains et ruraux, élites et classes populaires.

La presse s’affirme également comme l’un des supports centraux de l’espace public. C’est l’un des médiateurs essentiels des opinions qui s’affrontent dans une démocratie. Cette contribution essentielle à l’affirmation du modèle français de démocratie, sous la forme du modèle républicain, est contrebalancée par la censure grandissante de l’argent. À ce titre, Christophe Charle démontre que la presse porte une grande responsabilité dans la crise qui emporte la IIIe République. Cette synthèse n’est pas qu’érudite, elle affiche explicitement des vertus civiques : « Ce livre d’histoire peut donc être un outil d’analyse des problèmes d’aujourd’hui et un garde-fou réflexif contre le renouvellement des mêmes erreurs » (p. 358). Loin des discours lénifiants d’une profession qui se vit le plus souvent comme un contre-pouvoir indispensable au fonctionnement de la démocratie française, l’auteur pointe à juste titre les effets dévastateurs d’une presse de plus en plus liée aux grands groupes capitalistes. Les propos récents de Serge Dassault, actionnaire majoritaire de la Socpresse, sur les « idées saines » et la presse confirment les inquiétudes de Christophe Charle *.