L'assassinat des catalogueurs
Le catalogage descriptif est de plus en plus sous-traité à des sociétés de services, surtout dans le cas du catalogage dérivé. Cependant le contrôle du bibliothécaire expert est garant de sa qualité. On assiste également à une simplification des notices, soi-disant pour des raisons de coût et de convivialité de l’Opac. En conséquence, l’enseignement du catalogage est réduit et dévalorisé. Quant à la question des accès sémantiques, elle demeure posée.
More and more descriptive cataloguing is being outsourced to service companies, notably in the case of derivative catalogues. Nevertheless, control from the librarian as expert is a guarantee of its quality. We are also seeing a simplification of entries, supposedly for economic reasons and the user friendliness of the Opac. In consequence the teaching of cataloguing has been reduced and devalued. As for the issue of semantic access, this remains an open question.
Die deskriptive Katalogisierung wird immer mehr Zulieferfirmen anvertraut, besonders auf dem Gebiet der Fremdübernahme. Der berufsmässig ausgebildete Bibliothekar ist jedoch Garant für Qualität. Heute besteht eine fortschreitende Vereinfachung von bibliografischen Datensätzen, angeblich aus Kostengründen und um die Nutzerfreundlichkeit der OPACs zu gewährleisten. Damit wird der Unterricht des Fachs Katalogisieren reduziert und entwertet. Die Frage nach einem semantischen Einstieg in den Katalog bleibt jedoch offen.
La catalogación descriptiva es cada vez más subcontratada a sociedades de servicios, sobretodo en el caso de la catalogación derivada. Sin embargo el control del bibliotecario experto es garantía de su calidad. Se asiste igualmente a una simplificación de las reseñas, pretendidamente por razones de costo y de convivialidad de la Opac. En consecuencia, la enseñanza de la catalogación está reducida y desvalorizada. En cuanto a la cuestión de los accesos semánticos, ésta sigue planteada.
Il arrive de plus en plus souvent que des activités spécifiques des bibliothèques soient sous-traitées à des sociétés de services spécialisées. Cette tendance ne pouvait pas ne pas concerner ce qui a été pendant longtemps considéré comme l’activité essentielle des bibliothécaires et comme la base de leur savoir professionnel : la mise à disposition et la description des collections d‘une part, l’organisation de l’accès aux documents de l’autre. Aujourd’hui, le catalogage demeure assurément nécessaire, mais il est de plus en plus fréquemment externalisé. Dès lors, l’opposition entre catalogage sur fiches et catalogage informatisé se creuse irrémédiablement ; on considère que les connaissances en catalogage ne sont plus nécessaires à l’exercice de la profession de bibliothécaire et certaines bibliothèques cessent même de cataloguer.
Faut-il sous-traiter le catalogage ?
Michael Gorman considère que sous-traiter le catalogage signifie méconnaître les objectifs essentiels des bibliothèques. Selon lui, le fait de confier à des non-professionnels la récupération des données met en doute leur fiabilité, d’autant plus que l’automatisation des processus ne résout pas les problèmes de cohérence des bases de données 1. Glen Holt admet qu’il peut s’avérer utile de sous-traiter certaines tâches, à condition de s’être au préalable assuré que la résolution de ces problèmes n’en créait pas de nouveaux, telles la baisse de la qualité du service, ou la nécessité de mettre en place un contrôle qualité, etc. 2
On admet aujourd’hui qu’il n’y a pas de raison de s’opposer systématiquement à la sous-traitance. Mais, comme le remarque Karen Schneider, la sous-traitance ne donne de très bons résultats que si elle est suivie d’un contrôle qualité. « S’il y a, chez les bibliothécaires, une tendance irritante, c’est bien celle qui consiste à renoncer aux capacités spécifiques du métier. Subtiliser leur travail aux bibliothécaires, contrairement à ce qui se passe dans d’autres professions, équivaut à leur indiquer qu’ils sont moins importants que d’autres professionnels 3. » Pat Oddy soutient, non sans raison, que les catalogueurs éprouvent un plaisir masochiste à s’entendre dire qu’ils sont dépassés 4. Cette remarque peut d’ailleurs s’appliquer à l’ensemble des bibliothécaires qui ont une tendance naturelle à dévaloriser leur spécialité. On peut en fait réaliser une sous-traitance modérée à condition de maintenir du personnel pour effectuer le catalogage plus complexe et résoudre les problèmes spécifiques 5.
À Toronto, lors d’un congrès sur l’avenir des normes de catalogage nord-américaines, Sherry Vellucci s’est déclarée favorable à une simplification des normes à l’usage des « paraprofessionnels non experts », auxquels est confié le catalogage courant. Gorman affirme au contraire que suivre une telle voie équivaut à accepter un catalogage inexact 6. De son côté, Thomas Mann remarque avec justesse que le principe du moindre effort invite les aides bibliothécaires à utiliser les sources les plus facilement disponibles, quelle que soit leur qualité 7.
En 1997, Deborah Mohr et Anita Schuneman avaient noté que 77,1 % des bibliothèques universitaires américaines avaient engagé des sociétés de services spécialisées pour faire du catalogage descriptif. Les employés de ces sociétés faisaient la partie la moins gratifiante du travail, tandis que les bibliothécaires titulaires s’occupaient des problèmes catalographiques les plus complexes et du contrôle qualité, dégageant ainsi du temps pour des activités plus spécifiques 8. Cette situation a été confirmée en 1999 par Sever Bordeianu et Virginia Seiser 9 pour les mêmes catégories de bibliothèques : 84,5 % des bibliothèques utilisaient des sociétés de services pour le catalogage dérivé et 67 % pour le catalogage original.
Il faut cependant remarquer que, contrairement à l’opinion répandue dans la littérature professionnelle qui déplore la diminution du nombre de bibliothécaires qualifiés, en Angleterre, alors que la part du catalogage centralisé augmente ainsi que le recours aux sociétés de services, les notices restent de bonne qualité. Parallèlement, on note, dans ce pays, une augmentation du nombre de catalogueurs qualifiés et du catalogage original, et une diminution du catalogage en réseau 10.
Le personnel des bibliothèques doit avoir des connaissances en catalogage. Ceci est une évidence, même si les possibilités offertes par la coopération et par la technologie réduisent – en termes d’emplois et de temps passé – l’activité catalographique. Le contrôle d’au moins une activité en partie sous-traitée est toujours nécessaire, mais il faut se rappeler qu’il y a dix ans, Gorman et Oddy avaient soutenu que le catalogage et la classification requéraient une plus grande qualité professionnelle que par le passé 11, en raison non seulement de la multiplication des supports et des formats, mais aussi de la nécessité de choisir avec plus de discernement les données importées et récupérées. De ce fait, le contrôle se trouve complexifié.
Ce contrôle, pourtant, existait déjà au temps où les bibliothèques réalisaient elles-mêmes leur propre catalogage. Les difficultés étaient alors souvent sous-évaluées, notamment – mais pas seulement – celles concernant les accès sémantiques, quand l’accumulation des fiches portant des descriptions voisines accentuait la nécessité de mieux distinguer, circonscrire et organiser les groupes de fiches reliées entre elles par un même point d’accès.
Par ailleurs, confirmant ce qui a été dit plus haut, Balsamo 12 se rappelle que, dans les années 1950, on préférait parler d’inventaire plutôt que de catalogage, montrant ainsi, peut-être involontairement, un certain désintérêt pour les catalogues, quand le travail du catalogueur s’achevait aux limites de son pupitre et qu’il ne se préoccupait pas des fiches qu’il immergeait dans un océan de fiches antérieures : la cohérence du catalogue et l’analyse des réactions du public n’étaient pas considérées comme faisant partie du travail de catalogage.
Faut-il que les bibliothécaires soient des médiateurs ?
Maria Luisa Ricciardi se réfère aux observations d’Eblida (European Bureau of Library, Information and Documentation Associations) et à celles de la communauté européenne sur le développement des systèmes télématiques. Elle note qu’il est « évident que, pendant longtemps, on aura encore besoin d’une intermédiation que seuls les bibliothécaires et les bibliothèques sont susceptibles d’effectuer 13 ».
Gorman 14 remarque d’une part que le catalogage réalisé par les bibliothécaires professionnels est plus pertinent, et d’autre part que le fait de récupérer des notices catalographiques existant dans des réservoirs bibliographiques n’élimine pas la nécessité d’une expertise. Dans un fascicule dédié à la bibliothèque en ligne, Christian Ducharme écrit : « Si la bibliothèque récupère des notices, le bibliothécaire en catalogue moins. Cela signifie-t-il pour autant que l’organisation du catalogue lui donne moins de travail 15 ? » En réponse, Marcelle Beaudiquez affirme que le bibliothécaire est « le garant de la qualité du catalogue 16 ».
Quand on parle de la bibliothèque, on fait en réalité référence à un objet unique et pourtant éclaté. Or, nous ne pouvons pas ignorer que la première motivation des chercheurs est de trouver des documents à lire et à consulter : la recherche part des documents conservés dans la bibliothèque, puis s’élargit, en cas d’échec, à ce qui est repérable dans d’autres bibliothèques. Dès lors, on peut se demander comment mettre en évidence les documents spécifiques à la bibliothèque (archives, fonds particuliers, manuscrits, bibliothèque personnelle d’un écrivain, particularités d’un exemplaire, apostilles, marques de possession 17).
On parle aujourd’hui de désintermédiation. Cette expression, bien que significative, est ambiguë. Elle englobe tous les bibliothécaires dont la fonction de médiateur est aujourd’hui mise en cause, car ils participent non seulement à l’organisation et à la gestion de cet instrument de médiation qu’est le catalogue, mais ils doivent, à ce titre, établir un lien entre le public et les informations. Gorman affirme que le catalogage et le service d’information de la bibliothèque sont interdépendants 18. Il avait par ailleurs soutenu que ce serait une grave erreur de considérer que le catalogage n’est pas lié aux autres activités de la bibliothèque, car cela « indui[rait] une perte de confiance dans le métier de bibliothécaire 19 ».
Actuellement, avec les nouvelles offres d’information, la notion de bibliothécaire médiateur se trouve exaltée. Son champ d’action dépasse les seuls catalogues et répertoires traditionnels et son activité ne se limite pas à la recherche d’informations ; elle consiste aussi à aider les lecteurs à utiliser les nouveaux outils informationnels.
Le bibliothécaire se trouve dans une situation paradoxale : le catalogage est à la fois allégé grâce aux techniques de communication et rendu plus complexe du fait de l’apparition de nouvelles structures ; en outre, la possibilité de faire une recherche directe par Internet exclut en elle-même la médiation du bibliothécaire, dont l’aide est pourtant utile à la recherche d’informations difficiles à trouver par les moyens traditionnels ou sur Internet. Comme le remarque Claude Baltz, la circulation d’informations est incluse dans un rapport hypertextuel dans la « forêt planétaire des signes ». La « culture informationnelle » n’est pas simplement une culture de l’information et encore moins une culture informatique.
Faut-il simplifier le catalogage ?
Le phénomène de désintermédiation découle d’une tendance à la simplification de la description bibliographique, et est renforcé par le coût du catalogage et par le doute sur l’utilité de certaines informations. Les lecteurs, en grande majorité, ne lisent pas les fiches, s’arrêtent aux premières lignes et ne se préoccupent pas de la possibilité de choisir entre plusieurs éditions ou en fonction du format. Ils n’évaluent pas la pertinence de certaines informations. Tout ceci pousse donc à réduire la quantité des données cataloguées, au détriment des rares lecteurs disposés à utiliser les données complètes du catalogue.
Le catalogue de la Library of Congress lui-même, comme l’a observé Rossella Dini à propos de certaines publications cataloguées au niveau minimal, sans accès secondaires et sémantiques et sans contrôle, n’est pas fiable 22. Cette tendance à la simplification apparaît aussi en France où le catalogage individuel est de plus en plus rare et où l’on voit la Bibliothèque nationale de France abréger la description bibliographique de publications étrangères 23.
On ne peut ainsi qu’être d’accord avec l’affirmation selon laquelle « l’exigence de rendre la consultation en apparence plus aisée, en simplifiant les données informatives, sacrifie l’information au mythe de la simplification et génère une fausse convivialité de l’Opac 24 », où nous retrouvons pour la énième fois le terme très dangereux de « convivialité » qui englobe l’usager à son insu, en lui attribuant des désirs inexprimés. Il est curieux de noter qu’à un moment où l’usager est placé sur un piédestal et considéré comme l’objectif principal de la bibliothèque – comme si c’était une nouveauté de l’époque actuelle –, le piédestal semble aujourd’hui si élevé qu’il rend invisible, d’en bas, celui qui est dessus.
De même, comme l’affirme Fugmann, le problème des coûts doit-il être dépassé par la prise en compte des avantages qu’un catalogage complet procure aux chercheurs 25. Il faut également, dans l’évaluation des coûts, prendre en compte l’offre des moyens d’accès aux documents, les temps de recherche et les résultats de la recherche. Il est nécessaire, à l’instar de Phil Teece, d’adopter une vision plus large 26 : si nous ne faisons qu’évaluer, sans nous préoccuper du futur, le coût de la production catalographique, nous ne ferons que confirmer les réserves exprimées par certains sur les services rendus par la bibliothèque, dont les retombées positives sont moins directes que celles d’autres services.
Au demeurant, il ne semble pas que les métadonnées offrent une réponse à la question de la simplification 27. En réalité, les métadonnées ont une fonction différente de celle des notices catalographiques. Gradmann remarque avec raison qu’elles ne constituent pas un catalogage ou une description bibliographique simplifiés, mais un moyen de repérer les ressources grâce à des données qui ne sont pas fournies par des experts, que le résultat soit, ou ne soit pas, compatible avec le format Marc.
Les métadonnées ne correspondent pas à des notices, mais sont constitutives de l’objet 28. Pour cette raison, comme le reconnaît Hakala, on ne peut envisager une description normalisée d’un côté et des données qui s’ajoutent de l’autre 29. Aussi, faut-il peut-être considérer comme réductrice l’opinion de Gorman selon laquelle les métadonnées sont conçues comme une « troisième voie » entre un catalogage coûteux et une recherche inefficace par mots clés 30. De même, Elaine Svenonius considère que l’introduction des métadonnées a pour conséquence une déprofessionnalisation du travail du catalogueur 31 et Amy Weiss que la difficulté d’utiliser les normes de catalogage actuelles a ouvert la voie aux métadonnées 32.
L’emploi des métadonnées naît de l’existence d’un nouveau type de documents, les documents électroniques, qui sont privés de certaines caractéristiques qui semblaient établies par la tradition (support physique, visible et retrouvable, contenu immuable, existence de plusieurs exemplaires). Enfin, Gorman, qui se déclare optimiste sur l’avenir du catalogage, soutient que « nous autres, bibliothécaires, devrons nous efforcer collectivement et individuellement d’identifier, de cataloguer et de conserver les documents électroniques 33 ».
Faut-il modifier la formation des bibliothécaires au catalogage ?
Le catalogage partagé et le catalogage dérivé apportent un gain de temps évident : le rapport habituel entre le catalogage et les autres activités de la bibliothèque s’en trouve modifié. Ce changement se reflète aussi dans les formations professionnelles avec la réduction de la place du catalogage, qui était excessive par le passé, lorsque le temps dédié au catalogage imposait de sacrifier d’autres activités, et notamment l’apprentissage de la recherche documentaire.
Le catalogage non seulement s’est vu réduit, dans l’organisation de la bibliothèque et dans l’enseignement professionnel, à la portion congrue, mais il a également été dévalorisé 34.
Nous avons vu les limites d’un recours universel à un catalogage sous-traité : à cela correspond l’élimination du catalogage de l’enseignement. Tout se passe comme si les catalogueurs des sociétés de services spécialisées ne devaient pas recevoir une formation adéquate. En somme, il ne s’agit pas de réduire seulement le temps, mais aussi la valeur d’une activité dont la cohérence logique, comme l’a affirmé Gorman, forme la base de l’enseignement de la bibliothéconomie 35.
L’enseignement du catalogage de base limité à une connaissance superficielle des normes considérées selon leur application directe et répétitive n’a aucune efficacité sans la connaissance des fondements intellectuels de ces normes. Comme le dit Carpenter, la simple étude des normes, sans en comprendre les raisons, « finit par produire un sentiment de futilité et un désintérêt pour le catalogage de la part de l’étudiant. On doit savoir pourquoi on catalogue quelque chose, non comment 36 ».
La réduction, mais pas l’élimination, de l’enseignement du catalogage dans une université sud-africaine a été bien justifiée dans un article publié dans Libri 37 : l’augmentation des sources d’information et des formats réduit l’importance du catalogage en termes de temps de travail, d’apprentissage et d’acquisition des connaissances de base.
On parle aujourd’hui d’une « déprofessionnalisation des catalogueurs ». Pourtant, en réalité, comme on l’a déjà dit, le catalogage et la gestion des catalogues sont devenus bien plus complexes que par le passé ; ils sont à présent réservés à un nombre moindre de personnes, mais la connaissance des problèmes généraux relatifs aux catalogues est nécessaire à tous les bibliothécaires. Ainsi, l’Université de Pretoria n’a pas éliminé l’enseignement du catalogage, mais l’a réduit : dans le même temps, une enquête sur les préférences des étudiants a révélé un intérêt moindre pour les problèmes de catalogage que pour les questions d’organisation générale.
Virginia Massey-Burzio, qui constate que les étudiants préfèrent la commodité à la qualité et qu’ils privilégient donc Internet aux services d’information de la bibliothèque, au catalogage, à l’accès libre aux documents et à la photocopie, soutient que le rôle du bibliothécaire est de convaincre les étudiants d’évaluer les informations et qu’il ne faut pas que les bibliothécaires limitent leur action à mettre à disposition des documents et des services 38.
Pat Oddy affirme à juste titre que la capacité professionnelle se réduit quand le catalogage est moins étudié : « En se concentrant sur les moyens, on oublie l’objectif 39. » Il n’est pas étonnant que les erreurs linguistiques et les erreurs d’indexation rencontrées dans le catalogage partagé aient fait parler d’une « désintellectualisation du catalogage 40 ». Le risque existe de subordonner le service de la bibliothèque à la technologie au lieu d’utiliser la seconde à de simples fins de service. L’appel à ne pas supprimer des cursus de formation l’enseignement du catalogage et des classifications 41 permet au contraire de mettre en évidence les risques que présenterait une diminution de la connaissance des techniques catalographiques 42.
Faut-il un catalogue sans catalogueurs ?
La crise actuelle n’est pas toujours envisagée dans la continuité historique. Charles Martell – nomen omen – soutient que le contact des bibliothécaires avec les usagers sera toujours plus virtuel, au point de rendre bientôt exceptionnel le rapport direct et physique entre eux. Dès lors, le catalogage fondé sur des langages contrôlés sera moins important et l’accès à la documentation prévaudra toujours sur le fait de posséder la documentation : le bibliothécaire se séparera progressivement de la bibliothèque et de ses fonds 43.
Le rapport entre catalogage et information est toujours plus fort ; l’évolution vers la bibliothèque virtuelle se fait en défaveur de la bibliothèque physique. Le rapport entre catalogage et bibliothèque est pourtant indissoluble. Laurence Santantonios affirme malgré tout qu’« il faut remettre en discussion ce qui fut la gloire des bibliothécaires, le catalogue. Aujourd’hui on doit peut-être réfléchir sur la disparition des catalogueurs comme des catalogues 44 ». Un catalogue sans catalogueurs serait-il imaginable ? Alors qu’il s’agit précisément de demander de plus grandes compétences aux catalogueurs, le catalogueur ne peut aujourd’hui se limiter à la transposition informatique de la logique d’un catalogue papier, il doit aussi acquérir des connaissances dans le champ de la technologie de l’information : « La préparation des catalogueurs exigerait que les enseignants de bibliothéconomie et les conservateurs de bibliothèque renouvellent leurs cours et leurs programmes de formation 45. » Aussi, comme l’observe Walt Crawford, si on dévalue le catalogage, on dévalue les bibliothécaires qui cataloguent, et « si on considère comme égales toutes les informations, aucune d’entre elles ne justifiera le coût du catalogage 46 ».
Comment traiter, dès lors, le problème gravissime de la recherche et du catalogage de ressources virtuelles qui exige de faire un choix dans un ensemble non sélectionné au départ ? Si, dans le discours sur le catalogage, prévalent aujourd’hui encore des considérations sur le catalogage descriptif, la problématique sur les accès sémantiques est bien plus lourde de conséquences. La difficulté est double : analyser les contenus et organiser les accès.
Pour ne parler que de l’indexation, les difficultés d’unification dans un catalogage en réseau sont telles que certains préfèrent renoncer à une analyse par sujets et laissent au chercheur le soin d’écrémer les informations reçues à l’aide de mots clés. Paradoxalement, le chercheur est confronté à la fois à la faible correspondance entre les mots clés et ses sujets de recherche et à la présence de bruit dans sa recherche.
C’est là une vieille difficulté qui peut aujourd’hui s’atténuer – en utilisant par exemple des langages contrôlés – mais qui demande l’intervention de catalogueurs qualifiés. Arlene Taylor admet « une érosion de la confiance » dans les recherches effectuées à partir des sujets alors que l’élaboration de l’indexation est coûteuse. Pour cette raison, nombreux sont ceux qui préfèrent se contenter d’une recherche par mots clés. Au contraire, Michael Gorman confirme l’importance des accès : soit une expression exprimant un concept spécifique – et il considère comme très importante la structure syntaxique des index – soit la classification jouent ce rôle. Il rappelle que « le temps passé par le catalogueur pour créer des vedettes matières devrait s’avérer être inversement proportionnel au temps passé par l’usager pour effectuer sa recherche 47 ».
Sur l’insuccès des recherches par sujets dans le catalogue en ligne, il existe à présent une littérature abondante, notamment en ce qui concerne les bibliothèques universitaires 48. Dans les bibliothèques publiques norvégiennes, on note que plus de la moitié des recherches par sujets dans les catalogues échouent et que les bibliothécaires n’aident guère les usagers ; 70 % des recherches bibliographiques échouent (18 % en raison d’erreurs lexicales, 21 % en raison d’erreurs de syntaxe et 56 % en raison d’erreurs sémantiques 49).
Vers une bibliothèque mondiale ?
Parmi les effets les plus visibles de la technologie avancée, la tendance qui consiste à atténuer la différence typologique entre les bibliothèques est incontestable. Comme le notait Leskien, la globalisation induit que chaque bibliothèque tend à être égale à une autre, que ni le marché de la fourniture d’information ni la clientèle des bibliothèques ne sont plus locaux 50.
Sans vouloir contribuer à propager l’idée d’une immense bibliothèque mondiale et sans faire l’hypothèse de la fin des bibliothèques, depuis qu’il est possible d’obtenir des informations de chez soi – l’expression « bibliothèque virtuelle » est une contradiction terme à terme –, on peut dire que l’informatique de la bibliothèque hybride rassemble les bibliothèques autour de caractéristiques communes. Mais la mission de la bibliothèque, la raison de son existence, les fonds qu’elle possède et le choix des publications électroniques confirment le fait que les fonctions et les publics des bibliothèques sont divers. Voilà pourquoi il est important de soutenir la singularité des bibliothèques : l’attention de la bibliothèque publique se porte sur les minorités ethniques, les enfants, la littérature de fiction ; la bibliothèque universitaire entretient un rapport avec le savoir marqué par le développement technologique.
La singularité des bibliothèques se manifeste aussi à travers les informations auxquelles elle donne accès par le biais du catalogue et, s’il est impossible de nier que « le développement de la coopération signifie qu’on ne peut plus prendre de décisions en matière de catalogage sur la base des besoins d’une seule bibliothèque 51 », il ne semble pas contradictoire d’admettre qu’il est possible de mettre en valeur des documents spécifiques, des thèmes, des particularités qu’il serait inopportun de signaler dans un catalogue en réseau, mais qui doivent figurer au catalogue de la bibliothèque. L’intérêt global et l’intérêt local sont complémentaires, même s’ils peuvent parfois se trouver en conflit 52.
Cela semble une lapalissade que d’affirmer que les catalogues de bibliothèques doivent continuer à exister. Pourrait-on assigner à Internet les mêmes objectifs ? Devons-nous externaliser le catalogage ou le confier à une unique organisation centrale ? Devons-nous récupérer des notices préexistantes et créer les rares notices manquantes dans un catalogue unique en réseau ? Même si les catalogueurs sont cachés, invisibles, ils ne sont pas virtuels. Et que dire des nouveaux aspects du catalogage, du catalogage des documents électroniques, de la récupération par Internet des sources utiles au catalogue, des normes universelles 53 ? Par qui sera constituée cette nouvelle communauté de catalogueurs 54 ? S’agira-t-il d’un groupe de théoriciens détachés des réalités quotidiennes, d’un petit corps de spécialistes qui ne sera plus du tout intégré à une profession aux contours toujours plus vagues ?
Si, par absurde, « il existait une seule structure qui catalogue et qui produise des notices d’autorités, des normes seraient encore utiles pour le faire et cela toucherait la communauté entière des bibliothécaires 55 ». La situation nouvelle créée par les moyens modernes de communication a redimensionné une situation devenue ingérable par l’accumulation des retards et par la lenteur de la mise à disposition des informations : mais, comme cela arrive souvent, les effets de la réaction ont dépassé les limites du raisonnable. Il apparaît aujourd’hui utile de redimensionner le redimensionnement.
Il faut donc accepter si nécessaire l’apport de sociétés de services dont les agents doivent être – et être considérés comme – des professionnels, accueillir au sein de la bibliothèque des aides bibliothécaires pour une activité liée au catalogue collectif et organiser un système de contrôle interne qui maintienne la cohérence d’ensemble des catalogues tout en conservant les informations spécifiques à chaque bibliothèque.