Le métier d'étudiant

l'entrée dans la vie universitaire

par Stéphane Bassinet

Alain Coulon

2e éd. – Paris : Économica : Anthropos, 2005. – 240 p. ; 22 cm. – (Éducation).
ISBN 2-7178-4968-8 : 27 €

Alain Coulon, professeur de sciences de l’éducation à l’Université Paris VIII et directeur du CNDP (Centre national de documentation pédagogique), nous livre ici la seconde édition d’un ouvrage paru en 1997 qui étudie les conditions de l’intégration des nouveaux bacheliers à l’université et donc s’interroge sur les processus de l’échec ou de la réussite universitaire de ce public que toutes les statistiques s’accordent à qualifier de très vulnérable. La grille d’analyse qu’il adopte est unique et annoncée d’emblée, celle de l’ethnométhodologie. Au long des 230 pages de l’ouvrage, Alain Coulon s’attache donc à retracer une étude qu’il a menée sur les étudiants primo-entrants de l’Université Paris VIII et à en tirer des conclusions qu’il affirme pouvoir être généralisées à « un bon tiers des universités françaises dans les dix prochaines années ».

L’étrangeté, l’apprentissage et l’affiliation

L’auteur part du constat évident que le problème aujourd’hui n’est plus d’entrer à l’université, mais d’y rester. L’étudiant, pour éviter l’échec universitaire analysé selon la grille ethnométhodologique comme « exclusion » ou « auto-exclusion », doit accomplir un rite de passage du statut social d’élève au statut social d’étudiant. Ce passage est caractérisé par trois phases appelées « temps » issues en droite ligne de l’ethnologie classique, qui composent chacune des trois parties de l’ouvrage : le temps de l’étrangeté, le temps de l’apprentissage, le temps de l’affiliation.

Le temps de l’étrangeté est celui des ruptures : ruptures des conditions d’existence, ruptures dans la vie affective, ruptures psychopédagogiques liées aux rapports différents entretenus avec l’enseignant du supérieur. Ce temps est marqué par la confrontation avec un code au final plus social que pédagogique, inconnu et déroutant, plongeant le néophyte dans le désarroi.

Le temps des apprentissages est celui de tous les dangers, de toutes les ambiguïtés pour l’apprenti-étudiant, la phase où ce dernier commence l’assimilation des codes, où à la déconstruction qui marque le temps précédent, succède peu à peu, et après une période de confusion plus ou moins longue, la restructuration.

Le temps de l’affiliation est, quant à lui, marqué par l’entrée officielle du néophyte dans la tribu, sa reconnaissance par la communauté comme un membre indigène, comme un étudiant professionnel. Cette reconnaissance est liée à la capacité de l’étudiant à interpréter les codes universitaires, voire à les transgresser. C’est dans l’usage, même déviant, de la règle et non dans sa simple compréhension que l’étudiant se réalise et est reconnu comme tel. Cette notion d’affiliation qu’Alain Coulon substitue très rapidement à celle de passage, constitue le cœur de sa thèse et s’avère la pierre de touche de la réussite universitaire à court terme du jeune étudiant.

Le titre même de l’ouvrage, l’idée d’un métier d’étudiant, d’un étudiant professionnel, peut agacer, ou pour le moins faire sourire en pensant aux figures d’éternels étudiants qui émaillent la littérature de la fin du Moyen Âge à Tchekhov. Alain Coulon est conscient du paradoxe de la notion et de son aspect provocateur. Son objectif n’est pas un sempiternel étudiant, mais au contraire un « pro » au sens où les sportifs emploient ce terme, c’est-à-dire un individu maîtrisant au plus haut niveau sa discipline. Pour en sortir, imagine-t-on. Pourtant jamais l’auteur n’évoque cet autre passage, celui d’un étudiant professionnel à un professionnel exerçant, autre passage pourtant parallèle au premier et qui lui donne même de plus en plus sa raison d’être dans le contexte actuel d’un enseignement supérieur de plus en plus professionnalisant.

Les techniques documentaires affiliatrices

N’importe, l’exégèse que nous lisons de ce premier passage est illustrée de nombreux exemples marquants, qui concourent à convaincre le lecteur du bien-fondé de la grille de lecture adoptée dans le décodage de l’intégration de l’étudiant à la sphère universitaire.

Comme tout rapport d’étude, celui-ci se contente d’observer et ne propose que des pistes d’amélioration du système universitaire propres à limiter l’échec en premier cycle, échec qui est pourtant le constat déclenchant de l’étude. L’introduction et la conclusion évoquent des évolutions possibles mais rapidement traitées et datant de la première édition de l’ouvrage. L’auteur semble proposer une application consciencieuse de l’arrêté du 9 avril 1997 et la mise en place des trois types d’unités d’enseignement que cet arrêté propose. Il suggère quelques « activités affiliatrices » menant aux trois objectifs induits par l’arrêté, qui paraissent pourtant anecdotiques, et il ne semble pas l’ignorer.

Les professionnels des bibliothèques ne manqueront néanmoins pas d’être sensibles au sort particulier que l’auteur réserve à l’initiation aux techniques documentaires. Celles-ci ont été mises en place à Paris VIII dans le cadre des enseignements méthodologiques. Alain Coulon insiste sur le fait que la réussite aux évaluations de ces formations est statistiquement un facteur favorisant de la réussite universitaire. Il avance pour expliquer ce constat brut que, bien sûr, la maîtrise de la méthodologie documentaire est un puissant outil dans la maîtrise des disciplines. Mais surtout, il propose l’idée que cet enseignement prouve plus clairement que d’autres aux étudiants qu’ils sont entrés dans un monde nouveau, celui des idées, un monde qui a ses règles de classement et ses codes qui, pour complexes qu’ils soient, ne sont pas pour autant secrets. Dans le cadre d’une fonction que l’auteur qualifie de symbolique, de métaphorique, l’apprentissage de ces techniques documentaires permet de réaliser, de mettre en pratique les trois opérations fondamentales de tout apprentissage intellectuel : penser, classer, catégoriser. Cet enseignement serait donc puissamment affiliateur.

Il paraît, quoi qu’il en soit, que le sort réservé par la communauté universitaire à la réforme Bayrou et les ambitions du processus de Bologne relayées par les premières tentatives sincères d’application des fondements de la réforme dite LMD, auraient pu apporter un autre éclairage, dans le cadre d’une réédition, sur la nécessité de l’évolution du système pédagogique universitaire que l’étude met en relief. L’auteur, qui évoque dès l’introduction l’absence pour le moins paradoxale de formation pédagogique initiale des enseignants-chercheurs et la nécessité d’une évaluation des enseignements universitaires et de ces mêmes enseignants-chercheurs, ne peut ignorer la puissante résistance au changement des milieux universitaires, et sait forcément que se cache ici un des leviers évidents de l’évolution que son étude appelle.

C’est « en creux » qu’Alain Coulon a précisément choisi d’apporter dans cet ouvrage sa contribution au débat sur l’Université, débat qui va revenir, n’en doutons pas, sur le devant de la scène dans les mois à venir.