Le bonheur de vivre en enfer

par Martine Poulain

Emmanuel Pierrat

Paris : M. Sell, 2004. – 125 p. ; 19 cm. ISBN 2-35004-006-2 : 12 €

Au prix d’un travail certainement intense, Emmanuel Pierrat a connu une carrière fulgurante, devenu en quelques années l’un des avocats les plus réputés des affaires éditoriales et de droits d’auteur.

Mais son activité boulimique ne s’arrête pas là : Emmanuel Pierrat publie aussi « à tour de bras » dans des domaines extrêmement variés, du traité juridique à, de plus en plus, et c’est évidemment sa vraie passion, l’exercice romanesque. Son dernier roman, L’industrie du sexe et du poisson pané (M. Sell, 2004) a connu un beau succès.

La bibliographie de l’interdit

Disons-le tout de suite, au risque de déplaire à l’auteur : Le bonheur de vivre en enfer n’est pas un livre immortel ! Vite écrit, il se veut léger et impertinent, mais n’apporte que peu d’éléments de réflexion nouveaux au sujet traité. Avocat de jour, lecteur de livres interdits ou réprouvés de nuit, bibliophile de l’Enfer, Emmanuel Pierrat a voulu consacrer à cette passion nocturne un petit essai. Mais ses insomnies, si souvent évoquées, n’ont pas été suffisamment longues pour que la belle question de la subversion soit réellement traitée.

On devra donc prendre ce petit livre pour ce qu’il est : un parcours sautillant dans les refoulés de notre société et de notre histoire, tels qu’ils peuvent être écrits et lus dans la littérature interdite. Il permettra à ceux qui ne connaissent pas le sujet de disposer d’une bonne bibliographie des ouvrages interdits entre XVIIIe et XXe siècles, et de les lire, ces ouvrages étant aujourd’hui tous disponibles, peu ou prou. Il n’apprendra pas grand-chose à un sujet qu’Emmanuel Pierrat est parfaitement à même de penser, puisque son talent d’avocat s’engouffre justement quotidiennement dans ses failles : les relations entre censure et morale sociale, les relations entre l’horizon intellectuel du censeur et celui de la société dont il est un acteur. Pourquoi, par exemple, Mervyn Griffith-Jones, magistrat réputé, qui représenta la Grande-Bretagne au procès de Nuremberg en 1945 (excusez du peu !), devient-il le censeur ridicule, objet de la risée de tous, même en 1965, de L’amant de Lady Chatterley, lorsqu’Allen Lane (célèbrissime fondateur des éditions Penguin, tout à fait reconnu lorsqu’il se lance dans cette provocation voulue et réfléchie) le publie en poche ? De quel décalage ce choix est-il le signe ?

Allez, mon cher Maître, encore un effort. On attend, justement, de la relation entre vos nuits et vos jours une belle pensée, subtile et difficile, sur un sujet qu’on n’aurait garde de « ringardiser ». Car la censure, qu’on le veuille ou non, n’appartient pas au passé. Elle est éternelle. Comme l’enfer.