Les ennemis de la bibliothèque

BBF 2005-1 | Panorama du web

Panorama du web

BBF 2005 – Paris, t. 50, nº 1

La dernière date de consultation des liens est le 20 janvier 2005.

 Sommaire du Panorama

  Ennemis des bibliothèques : des documents et collections aux bâtiments

  (Dys)fonctionnement et image des bibliothèques

Les ennemis de la bibliothèque

L’émir Amr Ibn al-As, en 642 de notre ère, justifia ainsi la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie : si les livres sont en accord avec le Coran ils sont superflus, et s'ils contredisent le Coran ils sont pernicieux. On peut difficilement trouver ennemi plus radical et déclaré de ces lieux hétéroclites et pluralistes que sont les bibliothèques. Et cette destruction volontaire contraste avec l’incendie qui emporta une partie de la bibliothèque en 47 av. J.-C., suite à la mise à feu de la flotte d'Alexandrie par les troupes de César, et qui se propagea à une partie des bâtiments. Des ennemis naturels à ceux qui le sont moins, un premier temps de ce Panorama tentera de cerner ces ennemis qui menacent les documents eux-mêmes ou les bâtiments qui les renferment – et ce qui est mis en œuvre pour les contrer, les dénoncer, et amener à une prise de conscience de ces trésors en suspens. Puis un deuxième temps évoquera des menaces souvent moins visibles, ayant trait au fonctionnement même de ces institutions aux prises avec les lois du marché et les flux disparates de l’information.

  Ennemis des bibliothèques : des documents et collections aux bâtiments

   Les ennemis ‘naturels’

   Des ennemis moins naturels…

Ennemis des bibliothèques : des documents et collections aux bâtiments

Les ennemis ‘naturels’

  Les moisissures

Le serveur du ministère de la Culture et de la Communication propose depuis peu une base de données intitulée Moisissures & Biens culturels (MBc) (rubrique « bases de données »).Le Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques (CRCDG) élabore depuis de nombreuses années des traitements préventifs ou curatifs contre les moisissures. Plusieurs espèces contaminantes et autres données sur ces micro-organismes tenaces sont détaillées ici, cette présentation étant principalement destinée aux professionnels de la conservation-restauration.Diverses possibilités s’offrent pour effectuer une recherche : en consultant la liste des noms scientifiques de la vingtaine d’espèces actuellement répertoriées – celle-ci devrait rapidement s’allonger – ; en fonction du type de matériel attaqué, des pathologies engendrées, des toxines ou des enzymes. Ce site donne également accès à une centaine de photographies d’observations au microscope, et si l’on ne savait pas ce que ces clichés représentent, ces mosaïques d’images multicolores pourraient presque nous sembler belles !

  La lumière

Et également depuis le site du ministère de la Culture, dans la lettre « Culture & Recherche », n° 101, avril-juin 2004, vous trouverez un court encadré sur un Nouvel outil pour le contrôle de la lumière dans les lieux d’exposition (page 9).http://www.culture.gouv.fr/culture/editions/r-cr/cr101.pdfCet outil s’appelle LightCheck, il a été mis en place au court du programme de recherche européen LiDo (Light Dosimeter) – programme qui réunit des institutions patrimoniales, des entreprises et des laboratoires (dont pour la France le CRCDG), achevé au début de l’année 2004 ; il remplace avantageusement des dispositifs jusqu’ici onéreux et encombrants, ou insuffisamment sensibles.

  Le CRCDG

Le CRCDG, Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques, évoqué aux deux points précédents, a été créé par un arrêté interministériel (Affaires culturelles et Éducation nationale) en 1963.Les objectifs assignés étaient : « exécuter, promouvoir ou coordonner toutes les recherches tendant à la protection des documents graphiques ». Peu à peu son champ d’investigation s’est élargi aux objets en cuir, aux photographies, aux films et aujourd’hui aux supports numériques.S’attachant au départ à sauver les collections menacées, en améliorant les méthodes de conservation et de restauration, une grande part des recherches consiste aussi aujourd’hui à connaître les matériaux et l’action de l’environnement sur eux (température, humidité, lumière, micro-organismes, pollution), et mettre au point des traitements.

  Le GRIP

Le GRIP, Gateway for Resources and Information on Preservation, est une énorme base de données de ressources et d’informations sur la conservation de l’héritage documentaire.On y trouve une sélection de références annotées sur la littérature ayant trait à la conservation, des liens hypertextes vers des sites, des projets, des organisations ou des groupes de discussions. Cette base propose également des matériaux accessibles et récents sélectionnés par des experts et une introduction à de nombreux aspects de la préservation.Vous pouvez y effectuer une recherche par le biais des grands thèmes proposés (la préservation, les politiques – menées au niveau national et international –, les supports matériels, la prévention, la conversion de documents par microfilmage ou numérisation, les détériorations, les traitements, la préservation numérique et autres). Vous pouvez également faire une recherche par mots clés ou mots clés combinés.

  Syndrome du vinaigre et autres dégâts

Dans le cadre de la sauvegarde de l’héritage documentaire, l’Unesco donne plusieurs exemples, avec des photographies à l’appui des explications, de différents dommages qui peuvent être causés aux documents.On y trouve entre autres le syndrome du vinaigre sur les bobines de films, les dégâts causés par l’eau, les insectes, le type même du papier ou de l’encre utilisés, le crépitement des disques, le caractère éphémère des supports, etc.

Des ennemis moins naturels…

  Rapport pour l’Unesco

Voici un essai d’inventaire des grandes catastrophes qui ont détruit ou irrémédiablement endommagé des bibliothèques ou des archives, écrites ou audiovisuelles, au cours du siècle dernier, intitulé « Mémoire perdue – Bibliothèques et archives détruites au XXe siècle », accessible en rtf ou en pdf .Il s’agit d’un rapport, préparé au titre d’un contrat passé avec la CIA et l’IFLA, dans le cadre du programme « Mémoire du monde » de l'Unesco. Les ennemis identifiés sont bien sûr les guerres, et notamment les combats des deux guerres mondiales, mais aussi le feu, l'eau, le gaz et la chaleur, la poussière, l'ignorance et les relieurs.Ce document recense le patrimoine documentaire perdu dans plus de 100 pays. Le dessein de cet inventaire est le suivant : «Loin de vouloir dresser un quelconque monument funéraire, nous avons cherché par le présent document à sensibiliser les milieux professionnels et les autorités locales et nationales à l'immensité de la perte que représente la disparition des trésors enfouis dans les archives et les bibliothèques, à alerter l'opinion publique à ce sujet et à appeler l'attention sur l'urgente nécessité d'assurer la sauvegarde du patrimoine documentaire en péril partout dans le monde.»

  Lucien X. Polastron, Livres en feu

Signalons également l’essai récent de Lucien X. Polastron, qui retrace plusieurs siècles de destructions de bibliothèques, intitulé Livres en feu (Denoël). Une critique en a été faite dans le dernier BBF par Martine Poulain, qui y développait le point de vue suivant : « Disons-le tout net : il s’agit d’un mauvais livre sur un très beau sujet. »Laissons quand même la parole à l’auteur, avec cet entretien paru dans Le Point le 19 février 2004.

  Pillage et autres instantanés photos

Le 9 septembre dernier paraissait un message sur biblio.fr d’Hervé Le Crosnier , sous le titre « Pillage et autres instantanés photos », s’étonnant que la liste de discussion n’ait jusque là pas même évoqué les vols dans les bibliothèques révélés au cours de l’été.Ce message en a suscité trois autres, dont celui de Michel Fingerhut, donnant outre des précisions sur les vols à la BNF, d’autres exemples de vols perpétrés dans diverses bibliothèques. Et il évoque notamment le système adopté par le Vatican, «le marquage par puces radio des 120 000 volumes disponibles dans ses salles publiques de lecture, ce qui permet (entre autres) de retrouver facilement les ouvrages, d'établir un inventaire, etc. Le système Pergamon utilise la technologie RFID ».La technologie d’identification par fréquence radio (Radio Frequency Identification, ou RFID) est une technologie de pointe visant à assurer l'identification détaillée d’objets de tous types. Un article de Wikipedia y est consacré.Michel Fingerhut indique également un index de manuscrits volés.Nous signalons sur Biblioforum , dans la rubrique « Forum général », un débat lancé récemment sur les « vols de périodiques » - et qui ne demande qu’à être alimenté…

  (Dys)fonctionnement et image des bibliothèques

   Dérive vers le tout commercial ?

   Le tri de l’information : intox, désinformation et autres variantes

   L’image de la bibliothèque

(Dys)fonctionnement et image des bibliothèques

Dérive vers le tout commercial ?

  La numérisation par délégation

Au milieu du mois de décembre dernier, le projet de partenariat entre Google et de prestigieuses bibliothèques américaines (Harvard, Stanford, Oxford, la New York Public Library, University of Michigan) a été rendu public. Ce projet, lancé en février 2004 par Google sous le nom de projet OCEAN, consiste à numériser les fonds de ces bibliothèques tombés dans le domaine public (avant 1923, et donc libres de droits). Si la mise à disposition de ces fonds à une échelle planétaire peut réjouir, d’autant que Google supporterait seul les frais de ce projet, on ne peut que s’inquiéter de nombreux autres aspects. Et les blogs relèvent ces problèmes de fonds !Plusieurs points sont soulevés par Figoblog, dans un billet du 16 décembre 2004 : la question des droits d’auteur ; le danger de la délégation, qui peut à terme (comme pour les microfilms aujourd’hui) obliger les bibliothèques à payer pour disposer de leurs propres collections ; le manque de transparence qu’implique ce mode d’indexation : « Le web est un espace de chaos et la méthode de Google est sans doute la meilleure pour l'appréhender. Mais indexer pêle-mêle en plein texte des millions de livres, c'est vouloir appliquer le chaos à un matériau par nature structuré » ; et la non-adéquation de cette méthode du chaos avec le monde scientifique de plus en plus spécialisé. Ces réflexions ont suscité de très intéressants commentaires. L’Urfist a également vivement réagi, dans deux messages des 14 et 15 décembre, sous les titres « Nom de code : OCEAN » et « Aussi profond que l’OCEAN (suite) » :Outre une dénonciation des dangers du monopole des industries liées à l’information et à sa diffusion, vous y trouverez plusieurs liens vers les déclarations des protagonistes de cet accord et les communiqués de presse.Un débat sur ce sujet a été lancé – et a suscité de très nombreuses réactions – au mois de décembre dernier sur la liste ExLibris, sous l’intitulé Google's plan to digitize everything : damage ? (message d’origine daté du 14 décembre).

  L'invention de la recherche fédérée

Elle est dénoncée par le blog BiblioAcid, le 4 janvier 2005.« La société américaine WebFeat fait des moteurs de recherche fédérée pour les bibliothèques. Elle vient de se voir attribuer un brevet (U.S. patent #6,807,539) pour l'invention d'une méthode transparente de recherche concurrente sur des bases de données disparates. Ben on dirait du bon vieux Z39-50, hein ? Non monsieur : c'est une invention ! Bien sûr cette invention ne tient pas vraiment debout, mais pour le prouver et invalider le brevet, il faut engager des frais de justice. Donc, oyez oyez braves gens d'Elsevier, Archimed, Ex Libris et autres Qwam : debout WebFeat peut vous traîner devant les tribunaux ».

  Aspects juridiques : le problème du flou voire de l’absence de loi

Sur les thèmes du droit de reproduction et du droit de prêt, BiblioForum a lancé plusieurs débats.A la rubrique « Juridique », voir « Le piratage : tueur de la culture ou ‘bien public pur’ ? », « L’avenir du prêt en bibliothèque : hors la loi ? », ou encore « Prêter des copies de sauvegarde des cdroms, dvd : légal ? ».On peut regretter d’une manière générale que les auteurs des billets de ce Forum soient le plus souvent anonymes, identifiés par un simple prénom ou pseudo, et que les assertions soient parfois vagues voire inexactes. Mais avec un peu de patience, les débats lancés amènent les précisions nécessaires, et ils donnent le ton d’enjeux actuels.

Le tri de l’information : intox, désinformation et autres variantes

  Ce qui biaise l’information

L’attention portée à la vérification des sources d’information est constante sur Internet, pour en évaluer aussi bien la qualité que la simple validité. Le blog de l’Urfist (10 décembre 2004, « L’ère du faux ? ») relève une nouvelle menace, après avoir énuméré celles déjà existantes : après « les ‘hoax’ (canulars), le ‘spam’ (publicité abusive par messagerie), le ‘spamdexing’ (falsification de l’indexation dans les moteurs de recherche), le ‘positionnement payant’ (qui insère la logique commerciale dans les mots-clés [voir ci-dessous]), les innombrables faux sites, fausses informations, véritables manipulations, sites révisionnistes, de sectes, etc. », voici « un nouvel outil prometteur (!) : le faux blog… »Pour en connaître les modalités, il renvoie à l’article de Cyril Flévet dans le dernier Internet-Actu, expliquant le fonctionnement de ces « faux blogs personnels », particulièrement redoutables, car automatisés.Certes indirectement, les bibliothèques sont concernées par ces dérives, ne serait-ce que parce que l’outil Internet y est presque partout utilisé voire proposé aux usagers, avec parfois une sélection de sites mis à disposition. Il s’agirait d’accompagner la proposition de l’accès Internet en bibliothèque d’une explication sur les modalités de l’offre et la nature des informations disponibles sur la Toile – la profusion des données, le type de ressources, l’enjeu commercial (et en quoi il influe sur la recherche d’information), etc.

  La pratique du référencement et du positionnement payant

L’Urfist encore (et toujours le 10 décembre, « Objectif mon moteur ?? ») développe justement les conséquences de cette pratique, l’achat de mots clés semblant devenir le seul modèle économique viable pour les moteurs et annuaires. Il est précisé : « tant que les résultats "sponsorisés" apparaissent de manière distincte par rapport aux autres, pourquoi pas ... La morale est sauve. Sauf que la plupart des utilisateurs de ces moteurs ignorent tout de ces pratiques et que du coup la manière dont ils prennent pour argent comptant ce que leur renvoie leur moteur pose clairement de sérieux problèmes d'usage de l'information. Un rapport vient de faire le point sur cette question, il est édité par ConsumerWebWatch (une sorte de "50 millions de consommateurs" américain) et baptisé “In Search of Disclosure : How Search Engines Alert Consumers to the Presence of Advertising in Search Results” ».

L’image de la bibliothèque

Nous avons parlé des blogs lors du dernier Panorama. Voici ici évoqués certains aspects singuliers de bibliothécaires, de lieux, d’idées : ennemis ou amis des bibliothèques ?…

  Peut-on tout dire sur son blog ?

Les blogs peuvent sans doute laisser certains sceptiques : puisque les bibliobloggeurs parlent à titre personnel et sans contraintes précises, n’y a-t-il pas un risque de porter préjudice au métier de bibliothécaire, et plus précisément à son image, et (donc) aux bibliothèques ? Figoblog signale des échanges ayant eu lieu aux E.U. à ce sujet.Et notamment l’article, en français, sur le cadre juridique des blogs d’une manière générale, et les différences de législations entre la France et les E.U.Car que penser de sites tels que ceux signalés dans l’article de Jean-Claude Utard – The Modified Library ; Library Grrrls ; The Anarchist Librarians –, ou cet autre de la bibliothèque underground abordant notamment la Librarians sexuality.

  Stagnation de la fréquentation des bibliothèques

Pour lutter contre la stagnation de la fréquentation des bibliothèques, BiblioAcid (23 août 2004) rapporte la photo d’une bibliothèque installée au milieu d’un centre commercial : cette idée peut apparaître au choix comme une tentative innovante, ou comme une scandaleuse vulgarisation des bibliothèques, ne proposant rien de mieux que les livres du supermarché d’à côté...Le débat a été repris sur BiblioForum , rubrique « Forum général » puis « La bibliothèque hors des murs ».

  Les ennemis trouvés sur BiblioForum…

A la rubrique « Sur le terrain » puis « Carnet de bord d’un bibliothécaire », de nouveau contre le manque de fréquentation des bibliothèques, BiblioForum fait cette proposition : faire courir le bruit qu’un billet de 10 euros est planqué dans un bouquin… L’histoire dit aussi qu’une telle rumeur, lancée sur une radio aux Etats-Unis, a conduit ladite radio à rembourser le saccage de la bibliothèque désignée comme contenant un livre valant 100 dollars… Et puis contre l’ennemi rongeur, à savoir les souris, voici à la rubrique « Sites intéressants » un Recensement des chats de bibliothèques (!)Terminons enfin par cet ennemi entre tous…Trouvé à la rubrique « Sur le terrain » puis « Carnet de bord d’un bibliothécaire », le 24 avril 2004 :Lettre de protestation contre le bavardage des femmes dans la bibliothèque, 15 décembre 1906. Bibl. Sorbonne, Arch. mod., reg. 332, f. 228. Les Soussignés ; Etant donné que l’élément féminin tend tous les jours à envahir de plus en plus la salle de lecture de la bibliothèque ; Etant donné que par suite de la prédominance dudit élément féminin, des travailleurs sérieux se voient, faute de place, interdire l’accès de la bibliothèque ; Etant donné que lesdites femmes par leur bavardage intempestif rendent à leurs voisins tout travail sérieux absolument impossible ; Pour ces motifs ; Demandent à Monsieur le Conservateur d’interdire aux étudiantes du sexe féminin l’accès de la bibliothèque. Fait à Paris, le 15 Décembre 1906.

  Journée d’étude Mediadix

Nous signalons qu’une journée d’étude sur le thème Les ennemis des bibliothèques aura lieu au centre de formation Mediadix, le 15 février 2005.