Livres en feu

histoire de la destruction sans fin des bibliothèques

par Martine Poulain

Lucien Xavier Polastron

Paris : Denoël, 2004. – 429 p. ; 23 cm. – (Médiations). ISBN 2-207-25573-5 : 22 €

Disons-le tout net : il s’agit d’un mauvais livre sur un très beau sujet. On l’attendait, ce livre, et on s’en réjouissait à l’avance… Malheureusement, il souffre de défauts majeurs.

Qui trop embrasse, mal étreint : à force de vouloir traiter de toutes les destructions de bibliothèques, dans toutes les périodes, de l’Antiquité à nos jours, et sur tous les continents, on risque évidemment une superficialité fautive, tant un tel sujet réclame une investigation et une rigueur scientifiques. Autant le parti pris de « tout traiter » aurait été imaginable si l’auteur s’était livré seulement à une chronologie détaillée, par exemple (au lieu de la ridicule « chronologie sélective » d’à peine six pages qu’il livre à la fin du volume), ou à une anthologie historique de textes évoquant ces destructions, autant la prétention à vouloir saisir la très longue « histoire de la destruction sans fin des bibliothèques » (une des seules choses réussies de ce livre : son sous-titre, plagiat bien trouvé) est nécessairement vouée à l’échec.

Car l’auteur est un accumulateur : ce qui lui importe, ce n’est pas réellement de faire sens, c’est de terrifier le lecteur avec l’énumération du plus grand nombre possible de destructions de bibliothèques. Il mélange allègrement au passage, et avec une démagogie inacceptable, les destructions volontaires (des armées, de l’Inquisition ou des religions faites loi en général, des régimes totalitaires, nazi ou soviétique, etc.) et les grands accidents (les inondations de Prague, l’incendie de la bibliothèque universitaire du quai Claude-Bernard à Lyon, l’incendie du dépôt des Belles Lettres, etc.), qui peuvent, bien sûr, avoir des origines et des responsabilités humaines, mais qui ne sont en rien comparables. Les chapitres finaux sur la destruction des bibliothèques par le virtuel sont un exemple particulièrement agaçant de cette démagogie, sur un sujet trop essentiel pour être si mal traité.

Le ton du livre est plus que déplaisant. Mal écrit, à la hussarde, ne reculant devant aucun sacrifice pour scandaliser le lecteur, il repose sur l’idée que tous les régimes, toujours, et tous les humains (y compris les écrivains et les bibliothécaires, c’est d’ailleurs le titre d’une des annexes), ont toujours cherché à détruire les bibliothèques. Il a recours pour en convaincre à un style aussi acrimonieux que l’est sa pensée. Tous les épisodes mis en scène sont évidemment invérifiables, aucun travail sérieux ne pouvant être mené pour prolonger le propos, puisque l’auteur ne pratique pas la citation avec références, et que l’appareil de notes, forcément insuffisantes sur un tel sujet malgré leur nombre, ne permet pas réellement de savoir d’où viennent les informations de l’auteur.

Bien sûr et malgré cela, toutes les bibliothèques devront acheter ce livre. Rien de ce qui concerne ce sujet ne peut nous être indifférent et les livres qui en traitent sont trop peu nombreux pour qu’on puisse bouder celui-ci. Mais il ne peut avoir qu’un usage : celui de susciter d’autres livres sur le même sujet, cette fois modestes, rigoureux et sérieux. Celui-ci ne peut que susciter la déception chez tout lecteur passionné par le sujet.