Patrimoine écrit et numérisation

8es journées des pôles associés

Juliette Doury-Bonnet

Pour les 8es journées des pôles associés qui se sont tenues dans ses murs le 1er et le 2 juillet, la Bibliothèque nationale de France (BnF) avait choisi de s’interroger sur les politiques de conservation, de signalement et de diffusion pour son réseau national 1. Rappelant la vocation de coopération de la BnF précisée par le décret fondateur du 4 janvier 1994, son président, Jean-Noël Jeanneney, fit le bilan d’une décennie. Il insista sur la modernisation du dépôt légal et sur l’implication de l’établissement dans le réseau national des bibliothèques de recherche. Il appela à développer le dialogue avec les régions en conformité avec les lois de décentralisation.

Valérie Tesnière (BnF) annonça la création d’une liste de diffusion ouverte aux membres du réseau des pôles associés 2. Elle développa le rôle des deux outils majeurs pour la coopération : le Catalogue collectif de France (CCFr) et Gallica. Elle souligna le tournant décisif de l’évolution du CCFr et la collaboration plus étroite de la BnF avec le réseau pour l’alimentation du Répertoire national des bibliothèques et des centres de documentation (RNBCD), pour l’initiation de nouvelles conversions rétrospectives et pour la fourniture de documents à distance. Concernant Gallica, une charte documentaire sera bientôt accessible sur la Toile pour en rappeler les objectifs.

Conservation et/ou numérisation partagée ?

« Conservation et/ou numérisation partagée ? » fut le thème de la première table ronde qui réunit des membres du groupe de travail sur les bibliothèques scientifiques autour de Philippe Raccah (BnF). Ce dernier souligna les points positifs du partage documentaire : une bonne répartition des acquisitions, des regroupements régionaux, le signalement des collections. Moins positifs, les recoupements (dus en partie à la difficulté à échanger les listes d’acquisitions) et les réorientations des publics entre établissements. Il a appelé de ses vœux une carte documentaire par discipline et une conservation partagée, en particulier pour les périodiques. D’autres formes de collaboration comme la valorisation des collections par l’action culturelle ont vu le jour.

Parmi les intervenants, Natalie Pigeard (BnF) annonça que Gallica s’orientait vers une solution OAI qui permettrait la transparence pour le lecteur et l’accès à l’ensemble des collections numérisées des différents partenaires.

Elizabeth Cherhal présenta les nouveautés mises en œuvre depuis un an par la cellule MathDoc (CNRS-Grenoble I), « pôle associé label » pour la numérisation concertée en mathématiques, dont le site web offre un portail documentaire et l’accès au serveur Numdam de documents numérisés – en particulier la numérisation du Répertoire bibliographique des sciences mathématiques (1894-1912).

L’expansion massive de la documentation numérique change les habitudes des chercheurs : l’information qui n’est pas en ligne n’existe pas pour eux. François Cavalier (Lyon I) exposa la problématique des bibliothèques scientifiques partagées entre l’empire du numérique et la permanence du modèle des collections papier, tant pour les bibliothécaires, qui s’inquiètent de l’archivage, que pour les éditeurs dont la référence tarifaire est toujours le chiffre d’affaires des collections imprimées. Que faire ? Concernant l’archivage, il s’agit d’organiser la conservation partagée des collections papier et de préparer l’archivage numérique des collections acquises – Couperin envisage une clause dans ce sens. Quant à la numérisation de corpus patrimoniaux, la diversité des objectifs, la multiplicité anarchique des projets et la construction d’une politique de réseau suggèrent d’organiser la collecte des projets de numérisation.

Valorisation du patrimoine régional

« Une politique de réseaux au service du patrimoine régional » fut le thème de la deuxième table ronde animée par Frédérique Joannic-Seta (BnF) qui insista sur la nécessité de relais en région (bibliothèques municipales à vocation régionale, centres régionaux du livre…). Les interventions furent autant d’exemples de la diversité des modes de coopération possibles.

Nicolas Galaud (Bibliothèque municipale de Brest) présenta un exemple de réseau local réuni autour d’une opération de valorisation des collections. Pôle associé pour l’océanographie depuis 1995, la BM de Brest, le Service historique de la Marine, la bibliothèque du centre Ifremer de Brest et le Service commun de documentation (SCD) de l’Université de Bretagne occidentale ont mis sur pied en partenariat avec la BnF un projet d’exposition sur la mer qui s’inscrit dans une volonté de diversification pour la BnF et de valorisation pour le pôle associé. L’association, outre la mise en valeur de la coopération et des richesses documentaires de chaque partenaire, a permis de bénéficier de l’expertise de la BnF et de moyens financiers supplémentaires.

Thierry Delcourt (BM de Troyes) décrivit un projet « plus national que régional » articulé autour des collections troyennes riches d’un important fonds de littérature de colportage. Pôle associé depuis 2002 grâce à « un long travail enthousiasmant pour convaincre la BnF », la BM de Troyes a bénéficié d’une aide financière pour la conversion rétrospective du catalogue de son fonds ancien. Cette coopération a pour objectif la constitution d’une base bibliographique nationale, « si possible enrichie d’images ». Enfin, la BnF collabore à une exposition commune sur le bestiaire du Moyen Âge.

Livia Rapatel (Bibliothèque municipale et interuniversitaire de Clermont-Ferrand) exposa un projet en cours de constitution qui accompagne la construction prévue pour 2009 d’une grande bibliothèque communautaire interuniversitaire en centre-ville. Ce projet esquisse une nouvelle configuration de pôle associé, tête de réseau régional – à côté des pôles associés de partage documentaire et des pôles de dépôt légal imprimeur.

Alain Sainsot (SCD de l’Université de Bretagne occidentale) présenta Britalis, portail documentaire régional mis en œuvre par la Cobb (Agence de coopération des bibliothèques et centres de documentation en Bretagne). Il retraça les étapes du programme régional de numérisation partagée des publications des sociétés savantes pour lequel la Cobb a servi de lien entre la BnF et les bibliothèques de Bretagne. La mise en ligne du corpus numérisé est prévue sur Britalis pour fin 2005. Il sera consultable aussi sur Gallica.

La réforme du dépôt légal

Christian Lupovici (BnF) rappela le cadre juridique actuel du dépôt légal des documents imprimés dont il souligna les insuffisances. Il retraça les étapes qui ont conduit à la réforme en cours et énuméra les implications pour la BnF et pour les bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur (BDLI).

C’est ce second aspect qu’illustra Danielle Ducout (BM de Dijon). « La réduction en région du dépôt légal à un seul exemplaire institue de facto la reconnaissance d’un patrimoine national réparti », souligna-t-elle. Les questions soulevées sont de deux ordres : tous les documents récoltés doivent-ils être soumis à la même logique de conservation ? Quel niveau de traitement bibliographique adopter ? « Les bibliothèques régionales posséderont des documents absents de la BnF et seront amenées à collaborer à la production des outils de référence nationaux, tel que Rameau. » Désormais, seule est viable une organisation qui s’appuie sur un établissement de dimension régionale. Le Plan d’action pour le patrimoine écrit (Pape) 3 devra en tenir compte et favoriser la création d’infrastructures techniques communes pour la diffusion et la reproduction des documents.

Après un bilan des trois dernières années d’activité du dépôt légal imprimeur, Catherine Vassilieff (BnF) présenta les propositions du groupe de travail sur les « recueils » pour améliorer la collecte, le signalement et le stockage. Elle fit état de la réflexion sur la conservation partagée de la presse régionale.

Sophie Mazens (BnF) et Laurent Duplouy (BnF) relatèrent l’expérimentation du dépôt de fichiers numériques d’un quotidien régional à éditions multiples, Le Populaire du Centre.

Julien Masanès (BnF) et Sarah Toulouse (BM de Rennes) rendirent compte de l’expérience de repérage de sites électoraux dans la perspective du dépôt légal des sites web. Cette opération fut menée à l’occasion des élections régionales et européennes de 2004, en collaboration avec les BDLI de Caen, Lyon, Rennes et Toulouse.

Dans son discours de clôture, Éric Gross, directeur du livre et de la lecture, se félicita de « la meilleure articulation de la BnF avec la DLL et les autres établissements publics qui se lancent dans la coopération territoriale », comme la Bibliothèque publique d’information et la médiathèque de la Cité des sciences : il faut qu’il n’y ait qu’un seul réseau cohérent animé par l’État.