Le métier de bibliothécaire
Association des bibliothécaires français
Le Métier de bibliothécaire occupe une place singulière dans notre littérature professionnelle : « manuel de base », selon la formule consacrée, il propose aux bibliothécaires et à ceux qui souhaitent le devenir une synthèse des principales connaissances et des principales croyances qui nourrissent le milieu professionnel. Il véhicule, dit-on couramment, la doxa professionnelle, le discours sur lequel les bibliothécaires s’accordent. Une nouvelle édition du Métier est donc l’occasion de mesurer l’évolution du discours, et donc de la culture professionnelle. Or, cette édition, sept ans après la précédente (10e édition, 1996), comporte de nombreux changements – sur la méthode comme sur le contenu.
Un contenu renouvelé
Lors de la présentation de cet ouvrage à la presse, son maître d’œuvre, Dominique Peignet, évoquait une édition « entièrement renouvelée et repensée », notamment en raison de la publication de nouveaux ouvrages sur le catalogage ou l’informatisation, permettant au Métier d’aborder plus succinctement certains aspects techniques. Cette édition s’est en effet allégée de 70 pages par rapport à la précédente (385 pages sans les annexes, contre 457 pour la 10e édition).
Surtout, le propos des éditeurs s’est déplacé : il s’agit de « donner des clefs de compréhension », écrit Gérard Briand dans l’avant-propos, de publier un « guide » plus qu’un « cours ». D’où la permanente volonté de replacer la bibliothèque dans la société contemporaine et dans son environnement (deuxième et troisième parties, ouverture de la sixième partie). Tracer le cadre d’activité plutôt que décrire les techniques employées est une entreprise que la prolifération de la littérature professionnelle comme l’élévation du niveau de connaissances sur les bibliothèques rend aujourd’hui possible.
Pour autant, la réalité des activités, fonctions, moyens, publics des bibliothèques n’est pas oubliée, loin s’en faut. Un nouveau chapitre a pour objet les bibliothèques en réseaux, le patrimoine est bien traité, la lecture en France, la typologie des bibliothèques, la gestion des collections, les services aux publics, la gestion administrative, les ressources humaines, pour ne prendre que quelques exemples, sont clairement présentés. Toutefois, le plan adopté amène des redites, notamment dans la partie centrale (« Documents, collections et accès à l’information ») qui occupe à elle seule près de 150 pages : le traitement des documents est abordé dans la typologie des documents puis, à nouveau, dans les « Techniques de base relatives à l’organisation d’une collection » ; la production éditoriale est abordée dans « Environnement économique et juridique » puis dans « Typologie des documents » et dans « Acquisitions et gestion des collections » ; la connaissance des publics est abordée dans la deuxième partie et dans la sixième.
De nouvelles incertitudes
Le grand nombre de contributeurs (26) est peut-être une des causes de ce qui apparaît comme le changement le plus notable par rapport à l’édition précédente : la diversité des points de vue ou, même, l’absence de point de vue. Diversité, par exemple, sur la question de l’offre et de la demande dans les collections (p. 192 et 290). Absence de point de vue, par exemple, sur l’obsolescence du support vidéo.
Puisqu’il ne s’agit pas d’un cours mais d’un guide, l’ouvrage aurait pu aborder, contextualiser, expliquer certains débats récents ou actuels : mais il n’y a rien (ou presque) sur la querelle du droit de prêt, sur l’application de la directive sur les droits d’auteur dans la société de l’information, sur la censure, sur la décentralisation à venir, sur la formation… et surtout sur les missions des bibliothèques. Certes, ces missions sont évoquées à plusieurs reprises mais on y parle plutôt des fonctions des bibliothèques (p. 37), de l’héritage du passé (p. 57), de l’organisation administrative (p. 82) ou de la différence entre clients et usagers (p. 305). Étrangement, c’est dans le chapitre sur le patrimoine qu’on trouve la formulation la plus claire de ces missions (les collections patrimoniales comme « instrument d’une politique culturelle et intellectuelle vivante »). De ce point de vue, l’édition précédente semblait plus explicite – notamment sur le rôle du directeur de la bibliothèque dans l’élaboration des politiques publiques.
Ces contradictions, ces abstentions reflètent la complexité de l’environnement professionnel : la multiplicité des visages de la bibliothèque aujourd’hui induit probablement une difficulté à prendre position, à dire « le vrai et le bon ». Et puis, il ne s’agit plus d’un manuel mais de livrer des « clefs de compréhension » et la mue n’est sans doute pas tout à fait achevée.
On aura compris qu’il s’agit d’un ouvrage très riche, réellement nouveau dans sa conception, dont il faut saluer la visée totalisante (la bibliothèque comme objet social et culturel).
Les quelques erreurs repérées – dans les années 1960, la Direction du livre n’existait pas (p. 32) ; le CSB n’a pas été créé en 1991 (p. 72) ; c’est André Miquel qui est l’auteur du rapport éponyme, pas Pierre Miquel (p. 92) ; le Centre national des lettres n’existe plus (p. 193) – pourront être corrigées lors d’un nouveau tirage.