Rapport annuel 2002 de l'Inspection générale des bibliothèques

par Anne-Marie Delaune

Rapport accessible sur Internet à l’adresse : http://www.education.gouv.fr/syst/igb

Pour ce treizième rapport annuel, 2002 fut une année particulière pour les neuf inspecteurs qui, au-delà de leurs missions d’évaluation, se sont trouvés en manque de demandes précises émanant des ministères, ainsi que l’explique le doyen Jean-Luc Gautier-Gentès en avant-propos. Situation féconde, puisque les « Thèmes d’intérêt général », laissés au choix des inspecteurs, concernent tout naturellement des sujets brûlants : la baisse d’audience des bibliothèques aux États-Unis, la vacance de nombreux postes de conservateurs, la validité des structures interuniversitaires.

Le monde des bibliothèques, qui s’attend toujours à quelque surprise des vues aériennes que lui propose chaque année l’Inspection générale des bibliothèques (IGB), sera comblé : trois parties – les activités, les études et observations, le fonctionnement de l’IGB – et huit annexes, au total 127 pages d’informations (des faits, des chiffres), de réflexions, de préconisations, dans le style clair et précis de l’administration française. Le miroir, cependant, n’est pas lisse, nul ne s’y trompera et chacun, dans son domaine ou pour sa partie, pourra en sonder l’eau profonde.

Activités de l’IGB

Passons rapidement sur les activités traditionnelles de l’IGB : 55 missions ont été menées en 2002 sous forme de visites, évaluations, expertises. Sont évoqués des dysfonctionnements, des difficultés, quelques conflits, le suivi de chantiers, l’élaboration de projets. Il est rendu compte également des activités internationales et de la participation de l’IGB à des instances scientifiques et techniques, à des jurys de concours et d’examens, à des groupes de travail.

La participation de l’IGB au comité stratégique des bibliothèques d’Île-de-France en 2002 nous vaut un bilan des travaux très synthétique avec ses conclusions sur la numérisation dans les bibliothèques universitaires : priorité à la numérisation des périodiques du secteur Sciences humaines et sociales, en mode texte, accompagnée d’outils de navigation efficaces pour la recherche documentaire et, parallèlement, mise en place d’une instance transversale de pilotage qui s’attellerait, entre autres tâches, à résoudre le problème des droits d’auteurs, assez épineux pour les revues.

La coopération interuniversitaire régionale, qui se trouve mise en question dans un contexte de réseau national (Sudoc, CCFr), est étudiée à travers l’évolution de quelques catalogues collectifs (Redoc, Relais, La Passerelle) et des portails (Interface, Brain et Pelleas). « L’objectif est de construire des systèmes qui, pour les établissements d’enseignement supérieur d’une région, mettent à disposition leurs ressources bibliographiques, donnent accès aux documents électroniques, valorisent et éditent leur production (thèses, rapports, publications). »

Les IUFM

Au chapitre Études et observations, outre quelques observations générales sur les concours, l’IGB rend compte pour la première fois de l’organisation documentaire en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM).

Rapport très dense d’Albert Poirot qui, à l’instar de son rapport sur la Bibliothèque nationale de France en 1999, pose un diagnostic, évalue les difficultés ou les manques et n’hésite pas à rappeler avec autorité certains principes et à préconiser les mesures à prendre. Les responsables de services communs de documentation (SCD) en IUFM trouveront dans ce texte – qui incite l’administration à augmenter les moyens documentaires de ces établissements – certainement un encouragement à poursuivre leurs efforts et surtout un document programmatique de référence propre à les aider à se faire mieux comprendre et entendre, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur IUFM.

Le contexte dans lequel évolue cette organisation documentaire en IUFM semble toujours aussi mouvant, de la création des IUFM en 1991 à l’apparition des SCD : « Les centres de documentation ont besoin d’être performants, bien organisés, avec un professionnalisme poussé qui puisse (r)enseigner un public que l’on doit construire dans ses exigences. Cette quête de la performance passe par des ajustements incessants aux mutations disciplinaires que prévoit l’Institut de formation. » Leurs principales missions sont la « mise en place d’une documentation pertinente à l’usage des futurs professeurs [et] assurer une bonne coordination entre les CRD [centres de ressources documentaires] répartis sur les différents sites ».

Les neuf conservateurs directeurs de SCD en fonction (sur 16 postes créés pour les 29 IUFM), « au statut incertain », sont présentés en quelque sorte comme des pionniers rencontrant de « nombreuses ambiguïtés et difficultés », subissant le silence ou l’indifférence de l’administration centrale. Ils animent des « équipes fragiles » (37 % d’emplois précaires subventionnés, ce qui fait « courir le risque d’une déprofessionnalisation à ces structures numériquement faibles et dont l’attractivité est limitée ») aux régimes disparates (en particulier le statut des professeurs certifiés de documentation qui reste flou quant au temps de travail effectif) et à la « culture CDI [centre de documentation et d’information] » quasi tribale, « une culture professionnelle qui privilégie l’usager local et les usages locaux, au détriment d’une pratique plus ouverte qui mettrait en avant le réseau, les formats d’échange, les complémentarités des fonds et une dynamique d’ensemble ».

Les collections sont évoquées sous deux angles : les fonds destinés à la recherche et le rôle de la documentation électronique. Les principes sont énoncés clairement : un texte-charte, un bilan de l’existant, une répartition des fonds, un accroissement de la documentation électronique, la numérisation des mémoires. Quant au partage des territoires face au lobby des Tice (technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement), « on insistera donc pour dire que le SCD est pour l’IUFM le lieu naturel de l’utilisation de la documentation électronique ». Les principes de conservation du patrimoine documentaire sont également rappelés. Le regroupement des fonds, issus en grande partie des écoles normales, est préconisé avec une priorité aux collections rétrospectives de didactique et aux manuels scolaires. Quant aux matériels pédagogiques, « il serait dommage de s’en dessaisir », mais il serait bien de prospecter du côté des musées pédagogiques…

La question de l’informatique est clairement dite « peu excellente » avec l’implantation très répandue de logiciels pour CDI. Les autres aspects de l’organisation sont examinés méthodiquement : les locaux, le budget – avec une mise en garde adressée aux IUFM : « Il ne faudrait pas que l’aide apportée par le ministère (SDBD) pour la documentation autorise un effort local moindre » –, les publics et en particulier leur formation, avec une recommandation d’introduire « un module de documentation dans le cursus de l’étudiant, validé par le biais d’épreuves sanctionnées par une notation ».

En conclusion, un rapprochement avec les SCD des universités est fortement conseillé à tous points de vue, malgré le peu d’enthousiasme de la part de ces derniers, et la fusion avec la documentation des centres régionaux de documentation pédagogique (CRDP) est vivement souhaitée comme moyen rationnel d’« unir forces et ressources ». En somme une injonction à rompre l’isolement.

Thèmes d’intérêt général

L’IGB dresse un constat concernant les vacances de postes de conservateurs d’État. Au vu des tableaux comparatifs du nombre de candidatures et du nombre de postes vacants en province et en Île-de-France, la situation paraît inquiétante. Les postes de direction en province sont difficiles à pourvoir, parfois du fait des collectivités d’accueil mais aussi, sans doute, à cause du faible niveau de compensation pour les conservateurs. Le problème de la longévité dans un même poste est aussi évoqué.

Un tour complet de la problématique des bibliothèques interuniversitaires est présenté par Denis Pallier et Daniel Renoult.

Une étude très approfondie de Claudine Lieber 1 sur la baisse d’audience des bibliothèques américaines apporte une sérieuse contribution au questionnement sur la stagnation des bibliothèques françaises. À partir des statistiques de l’ARL (Association of Research Libraries) sur dix ans (1991-2001), Claudine Lieber constate la diminution de 28 % en fréquentation et 9 % en prêts, alors que le prêt entre bibliothèques augmente de 109 % et la formation des usagers de 43 %. Cette tendance est corroborée par les statistiques de l’ALA (American Library Association) pour les bibliothèques publiques. L’Internet aurait changé non seulement le comportement des usagers – par rapport aux documentaires pour adultes par exemple – mais aussi celui des bibliothécaires « de plus en plus habitués avec les collections électroniques à accéder au document sans l’acquérir ». Par ailleurs la consultation des ressources électroniques reste peu ou mal mesurée.

En dernière partie de ce rapport, on trouvera une description très précise du fonctionnement de l’IGB en 2002.

Ce document, riche en observations, permet à l’IGB de pallier quelque peu l’absence provisoire du Conseil supérieur des bibliothèques.