Le désir de métier

engagement, identité et reconnaissance au travail

par Anne-Marie Bertrand

Florence Osty

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2003. – 244 p. ; 24 cm. – (Des sociétés). ISBN 2-86847-760-7 : 14 €

Alors que les bibliothécaires continuent à s’interroger sur leur identité professionnelle – on se reportera, par exemple, à l’intervention de Robert Damien lors des journées d’étude 2002 de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP) ou au dossier « Formation professionnelle, fin et suite » du BBF (no 1, 2003) –, il est éclairant de prendre connaissance des analyses d’autres milieux professionnels en ce domaine.

C’est ce que fait l’ouvrage de Florence Osty : celle-ci s’appuie sur un corpus d’enquêtes, réalisées depuis 1988 sous la houlette du sociologue Renaud Sainsaulieu, pour analyser le « désir de métier comme mode de définition de soi au travail ». C’est dire que la question de la culture de métier et de l’identité professionnelle est largement traitée dans son ouvrage. Partant explicitement de quatre enquêtes (les techniciens d’une centrale nucléaire, l’équipe d’un service de réanimation, les vendeurs dans une chaîne de boutiques de prêt-à-porter et les agents de centres d’impôt), elle en synthétise les résultats tout en s’appuyant sur les travaux des sociologues du travail.

Le métier est ici identifié comme un savoir (reconnu et transmissible), sa forme organisée (profession), ses pratiques professionnelles et « un groupe social caractérisé par une capacité d’action collective et un espace d’identification ». La transmission du savoir et la constitution d’une identité collective sont au cœur de cet ouvrage.

Difficulté structurelle : les savoirs nécessaires à l’exercice du métier sont « à l’intersection des savoirs acquis et d’une situation de travail », ils procèdent à la fois de la formation et de l’expérience. Leur transmission reste « énigmatique », les mécanismes d’apprentissage se déroulant au cours des interactions de travail, entre collègues. Une fois de plus, on est amené à considérer que la formation professionnelle ne prend pas fin avec l’obtention d’un diplôme – les métiers de services, où les interactions sont importantes (ici, vendeurs ou agents des impôts, ailleurs, enseignants ou bibliothécaires), sont de plus confrontés à une nécessaire improvisation, chaque interaction (la vente, le conseil au contribuable, le renseignement en bibliothèque) nécessitant l’identification de la demande (de la question, du problème) et la fourniture de sa solution.

L’expérience est, dès lors, une part importante de la compétence puisqu’elle permet de reconnaître des similitudes dans les situations, d’acquérir de l’aisance, « du métier ». D’ailleurs, Florence Osty souligne qu’on parle moins, dans le monde du travail d’aujourd’hui, de qualification ou de formation que de « compétence, c’est-à-dire des qualités mobilisées dans l’exercice concret de l’activité professionnelle, fondées tout à la fois sur un savoir technique formalisé et sur un savoir expérientiel ».

Cette compétence est, de plus, appropriée au degré grandissant d’« autonomie productive » dans les entreprises – et, lourd tribut, permet une évaluation individuelle, subjective et implicite des salariés : « La régulation par la compétence pose une difficulté quant à sa mesure et son évaluation » – alors que la régulation par la qualification reposait sur « une négociation collective et explicite ».

Le métier (de médecin, d’infirmière, d’agent des impôts, etc.) peut être bien identifié ou en cours d’émergence. Comment se construit un métier ? Il y a un savoir constitué, nous l’avons vu. Il y a aussi « un collectif d’appartenance homogène sur le plan de ses valeurs, de ses normes de comportement et de ses croyances ». La « culture de métier met en jeu un système de normes, de valeurs et de représentations », système qui se transmet dans des espaces de socialisation – structures de formation mais aussi « frottement aux anciens », en situation réelle de travail. L’ensemble des valeurs, normes et compétences forment « le modèle culturel du métier », qui doit se définir, se transmettre et être reconnu. La reconnaissance est, ainsi, le troisième volet de cette culture de métier. Reconnaissance symbolique (par les pairs), reconnaissance institutionnelle (par la hiérarchie). Reconnaissance individuelle, reconnaissance collective – celle-ci passe aussi, dit Florence Osty, par « l’efficacité du service rendu à la communauté » et, donc, par une « activité rhétorique » supposée déployer un « argumentaire convaincant ». Cela ne vous rappelle rien ?

La dimension identitaire du métier est, dans cet ouvrage, particulièrement bien traitée et les bibliothécaires y trouveront du grain à moudre, non seulement à propos de la culture de métier, de la transmission des savoirs, de la compétence, mais aussi d’une revendication de mission de service public ou d’une « quête inassouvie » de reconnaissance.