Le 33e congrès de l’ADBU
Anne-Marie Bertrand
C’est dans les locaux de la nouvelle « faculté et bibliothèque de droit et sciences économiques » de Limoges que s’est déroulé le 33e congrès de l’ADBU (Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation), du 11 au 13 septembre derniers. Un soleil vaillant, des vendanges tardives, l’encouragement de la race bovine et un tirage au sort pour un week-end dans un « Relais et Châteaux » laissaient augurer une certaine douceur de vivre. Le congrès, cependant, ne manqua pas de piquant.
L’évaluation des personnels : réalité et évolution
La journée d’étude portait, cette année, sur le thème de l’évaluation des personnels – elle n’était pas sans lien avec le thème du congrès 2002, la gestion du changement. Comme l’année dernière, où l’animateur de la journée, André Chauvet, n’avait pas craint d’affirmer qu’il est légitime de craindre le changement, cette journée d’étude débuta par une intervention roborative. Jean-Louis Muller, de la société CEGOS, présenta un panorama très large de l’évaluation aujourd’hui : le contexte général, l’implication contractuelle, les évolutions en cours. Quel objectif général explique le développement de l’évaluation ? Pour le secteur privé, il s’agit d’optimiser (le chiffre d’affaires, la marge) ; pour le secteur public, de « faire mieux avec moins » (« l’évaluation est un sport de pauvres », dit Jean-Louis Muller : pendant les Trente Glorieuses, on n’évaluait pas, on n’en avait pas besoin).
Les enjeux de l’évaluation sont triples : clarifier le positionnement de l’évalué (son rôle, ses savoir-faire, son degré d’autonomie, sa rémunération) ; lui apporter de la reconnaissance (appréciation de sa contribution et de ses compétences, définition d’objectifs et projets, attribution de primes) ; tracer des perspectives (plan de formation, possibilités de mobilité). Les obstacles à l’évaluation sont multiples : les collaborateurs (selon la formule employée) n’aiment pas rendre des comptes et ne croient pas à l’objectivité de l’évaluateur ; les cadres évaluateurs redoutent la confrontation et doutent de l’efficacité même de l’exercice ; les dirigeants craignent les turbulences et la mise en lumière de cas qu’on aurait préféré laisser dans l’ombre ; tous disent qu’ils n’ont pas le temps, apprécient le confort du non-dit et reconnaissent que les pairs connaissent mieux le travail que les chefs – et sont donc de meilleurs évaluateurs.
Cependant, la procédure d’évaluation a lieu – même si le système le plus usité, dit Jean-Louis Muller, est l’évaluation « sauvage, implicite, informelle, empirique ». Puisqu’il s’agit de mesurer l’écart entre les résultats obtenus et les objectifs assignés, on peut dire que l’évaluation est aujourd’hui à la fois formalisée et contractuelle : formalisée pour unifier les pratiques et garantir l’objectivité de l’exercice ; contractuelle car les objectifs à atteindre ont été définis l’année précédente ; il s’agit de vérifier que le contrat a été rempli. Cette vérification doit s’appuyer sur des faits (« Elle n’a pas tenu les délais ») et non pas sur des impressions (« Elle manque de rigueur »).
Des exemples « sur site » ont été présentés par Bertrand Wallon pour la Bibliothèque nationale de France (BnF) et par Joëlle Muller pour la documentation de Sciences-Po. Dans les deux cas, l’entretien d’évaluation est annuel, formalisé (fiche de poste, compte rendu), pratiqué par le supérieur hiérarchique direct (« N + 1 ») et plutôt bien accueilli. La différence est que, à Sciences-Po où les contrats de travail sont de droit privé, l’évaluation a une incidence financière (promotion et augmentation), même si elle est minime.
Pour les agents de l’État, l’exercice va être modifié (bouleversé ?) par le décret du 29 avril 2002 sur l’évaluation, la notation et l’avancement. En quoi ? Trois grandes évolutions en sont attendues, expliqua Didier Ramond, sous-directeur à la DPMA (Direction des personnels, de la modernisation et de l’administration, au ministère de l’Éducation nationale). D’une part, l’entretien d’évaluation, annuel, est dissocié de la notation (biennale) : il aura pour objet d’apprécier les résultats du fonctionnaire au regard des objectifs assignés, de mettre en évidence les besoins de formation et d’évoquer les perspectives d’évolution professionnelle. D’autre part, la notation, qui n’aura donc plus lieu que tous les deux ans, ne se limitera plus au « carcan » de l’échelle scolaire (0 à 20) : il s’agit de « faire voler en éclats le 20/20 » explique Didier Ramond. Enfin, l’avancement sera accéléré. Encore en chantier (des arrêtés ministériels doivent définir les modalités d’application), cette réforme pose bien des questions, en particulier celle de la définition des critères d’appréciation et celle de l’harmonisation des notes – « Je vous dis bon courage ! », conclut ironiquement Didier Ramond.
Documentation et universités
Tous les ans, le congrès de l’ADBU est l’occasion d’un dialogue (conversation polie ? monologues successifs ?) avec la Conférence des présidents d’université (CPU), au cours duquel l’ADBU appelle à une intensification des relations à laquelle le représentant de la CPU se dit prêt. Le congrès 2003 n’échappa pas à la tradition. Christian Lupovici, président de l’ADBU, regretta que ses offres de dialogue n’aient été suivies d’effet ni l’année dernière, ni cette année, et les renouvela, l’actualité appelant un effort de clarification : on le sait, les projets de décentralisation universitaire sont liés, pour la CPU, à une demande de globalisation des budgets (la fin des crédits fléchés) et de gestion décentralisée des personnels – question à laquelle fut consacré le congrès de la CPU, à Poitiers, ce printemps. Or, analysa Christian Lupovici, la documentation n’est pas convenablement prise en compte dans ces projets et « ses enjeux échappent complètement à la mentalité de l’université française ». De plus, « la vision bipolaire (personnels enseignants/personnels non enseignants) doit être nuancée, avec au moins trois ensembles de personnels », le troisième ensemble étant, bien sûr, celui des métiers de l’information. Si la filière documentation apparaît « décalée », au point d’être ignorée, c’est qu’elle est « sous-développée », expliqua-t-il encore.
Le représentant de la CPU, Michel Kaplan, président de l’université Paris I, se déclara en accord « sur bien des points, même s’il y a bien des divergences ». L’accord portait sur l’importance de la documentation : lui-même historien, il dit fortement : « Un historien sans bibliothèque, ça n’existe pas », mais ajouta que la documentation à l’université souffre d’un problème structurel, l’insuffisance des bibliothèques centrales, qui génère, par défaut, un foisonnement de bibliothèques de recherche, mal outillées mais « accessibles le dimanche ». Les divergences ? Michel Kaplan évoqua la « nécessaire modernisation de la gestion des ressources humaines » et « la présence d’un nombre excessif de corps, tous métiers confondus ». La CPU, dit-il encore, « ne méconnaît pas la spécificité des corps de bibliothèque, notamment du corps scientifique », mais (pourquoi mais ?) « il y aurait intérêt à définir sa place par rapport à la recherche et sa participation à la recherche ». Dialogue de sourds ? En tout cas, il se conclut sur le souhait (rituel) d’un travail commun entre la CPU et l’ADBU.
C’est par le même souhait que commença son intervention Dominique Antoine, directeur des personnels, de la modernisation et de l’administration : offre de « relations réellement partenariales », peut-être pour effacer la déception de l’ADBU de ne pas avoir obtenu le rattachement à la direction de l’Encadrement : oui, dit Dominique Antoine, vous êtes du personnel d’encadrement, reconnu comme tel, mais « ce qui a prévalu, c’est le souci de préserver l’intégrité de la filière », qui ne compte que 6 684 agents et aurait pâti d’une partition.Se voulant rassurant, il affirma qu’une « éventuelle fusion de la filière bibliothèque avec la filière ITARF n’était pas à l’ordre du jour » et que « l’interministérialité du corps n’était pas en question ». Cependant, il faut rationaliser : huit corps dans la filière, c’est beaucoup, c’est trop, c’est « balkanique ». Revenant sur le sujet de l’évaluation, il souligna l’importance de déconnecter évaluation et notation : l’évaluation, c’est la dernière étape d’un processus de management participatif ; la notation, c’est un acte administratif. La formalisation et l’harmonisation de ces exercices appellent des outils : fiches de poste, voire lettres de mission, référentiels de métier (à remettre en chantier). Il annonça la création d’un observatoire des métiers et des compétences.
Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, qui représentait Jean-Marc Monteil, directeur de l’enseignement supérieur, apporta des éléments d’information sur le budget 2004, qui devrait notamment voir se poursuivre la politique de modernisation du réseau et la transformation des emplois de catégorie C en catégorie B, et sur l’accélération des procédures contractuelles. Il fit le point sur plusieurs dossiers : le travail étudiant en bibliothèque (moniteurs-étudiants), intégré dans le chantier ouvert sur l’accompagnement social des étudiants ; l’aménagement de la carte documentaire nationale, avec une réflexion sur les Cadist (centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique) ; le projet de constitution d’un groupement d’intérêt public (Gip) pour gérer Couperin ; les avancées du Sudoc, Système universitaire de documentation (intégration de nouveaux établissements, élaboration d’un portail) ; la diffusion numérique des thèses ; et la numérisation, où la programmation doit aider à éviter un saupoudrage inefficace.
Enfin, Claude Jolly salua l’action de Christian Lupovici à la présidence de l’ADBU : car ce congrès fut aussi celui du passage de relais entre Christian Lupovici (qui rejoint la BnF) et Isabelle Sabatier, directrice de la bibliothèque de l’université de Paris IX, élue nouvelle présidente.