Les religions dans la classification Dewey

Annie Béthery

L’organisation de la classe 200 n’a guère varié depuis la première édition de la classification de Melvil Dewey en 1876 : le christianisme y occupe une place prépondérante. Un tournant a été pris avec la 21e édition et sera poursuivi, afin d’accorder une plus grande attention aux religions non chrétiennes.

The organisation of class 200 has hardly changed since the first edition of the Melvil Dewey classification appeared in 1876. Christianity occupies a predominant place in it. A turning point has been reached with the 21st edition and will be pursued, in order to give greater attention to non-Christian religions.

Die Organisation der Klasse 200 hat sich seit der ersten Ausgabe der Klassifikation von Melvil Dewey im Jahr 1876 kaum verändert: das Christentum nimmt einen herausragenden Platz ein. Eine Wende trat mit der 21. Ausgabe ein und wird weiter verfolgt um den nichtchristlichen Religionen eine grössere Aufmerksamkeit zu gewähren.

La organización de la clase 200 no ha cambiado en nada desde la primera edición de la clasificación de Melvil Dewey en 1876: el cristianismo ocupa en ésta un lugar preponderante. En la edición número 21 se produjo un giro y éste será perseguido, con el fin de otorgarle una atención más grande a las religiones no cristianas.

C’est en 1876 que paraissait, publié à Amherst (Mass.), un livret de 44 pages intitulé A classification and subject index for cataloguing and arranging the books and pamphlets in library. Melvil Dewey, alors assistant-bibliothécaire au « college » de cette ville, avait trois ans plus tôt mis au point les bases d’un système qui devait avoir un bel avenir, d’abord aux Etats-Unis, puis dans le monde anglo-saxon : en 1885, paraissait une seconde édition, très enrichie ; on en est aujourd’hui à la vingt et unième, quatre lourds volumes reliés, et la vingt-deuxième devrait paraître à l’automne 2003. La Classification décimale de Dewey (CDD) est publiée par Forest Press, d’abord rattachée à la Lake Placid Education Foundation, devenue en 1988 division d’OCLC (Online Computer Library Center).

Les responsables de chaque nouvelle édition travaillent en liaison avec l’EPC (Editorial Policy Committee), composé de bibliothécaires et d’experts, américains surtout, britanniques et canadiens. Depuis la 18e édition des années 1970, la CDD s’est imposée sur le plan international, adoptée par des dizaines de milliers de bibliothèques dans le monde entier, des plus petites aux plus grandes : c’est ainsi qu’elle a été retenue pour le classement des ouvrages en libre accès à la Bibliothèque nationale de France.

Parallèlement, l’édition complète américaine de langue anglaise a fait l’objet de traductions (plus de trente aujourd’hui), en langues espagnole, italienne, turque, russe, arabe, etc. Pour la langue française, le Groupe lyonnais de classification, dirigé par Geneviève Guillien, travaillait en liaison avec des collègues québécois pour publier en 1974 une première traduction intégrale dont le Cercle de la librairie éditait en 1976 le premier Abrégé ; enfin, fruit d’une collaboration entre les bibliothèques nationales du Canada, de France, et du Québec et publiée par ASTED (Montréal) après une édition intermédiaire, paraissait en 1998 la version française de la 21e édition, qui doit faire autorité désormais dans le monde francophone.

Une orientation idéologique

Inutile ici d’insister sur les raisons de ce succès indiscutable de la CDD ; indiquons plutôt comment les éditeurs des versions récentes ont tenté de remédier à la critique la plus fréquente du système, à savoir son orientation idéologique, qui fait la part belle aux réalités américaines et plus largement occidentales. Ce caractère est marqué dans les classes 400 (Langues) et 800 (Littérature) : les langues et littératures autres qu’européennes ne disposent que d’une division, 490 pour l’une, 890 pour l’autre ; mais ce caractère est flagrant pour la classe 200 (Religion), où le christianisme occupe la quasi-totalité, les « autres » religions ne disposant, comme dans le cas précédent, que d’une seule division (290) ; parmi ces « autres », l’islam (plus d’un milliard de fidèles), l’hindouisme (plus de 800 millions), le judaïsme (13 millions seulement, mais dont l’influence est très importante), en regard des 2 milliards de chrétiens, dont la pratique religieuse ne fait que diminuer.

La classe 200 de la 20e édition, parue en 1989, était ainsi composée :

200 Généralités sur le christianisme

210 Religion naturelle

220 Bible

230 Théologie doctrinale chrétienne

240 Théologie morale et spirituelle chrétienne

250 Églises chrétiennes locales et ordres religieux

260 Théologie chrétienne et société, Ecclésiologie

270 Histoire de l’Église

280 Confessions et sectes de l’Église chrétienne

290 Religions non chrétiennes

Cette organisation de la classe 200 n’a guère varié depuis le schéma mis au point en 1876 : la première division (indices 201 à 209) faisait du christianisme la religion de référence, suivie de la Bible (220) et de six autres divisions consacrées aux différents aspects du christianisme ; en revanche, les autres grandes religions (religions originaires de l’Inde, indice 294 ; judaïsme, 296 ; islam, 297), ne disposaient chacune que d’un indice assez peu développé. Les textes sacrés du judaïsme étaient séparés : indice 221 pour l’Ancien Testament, 296.12 pour le Talmud. L’ambition de faire de la CDD une classification internationale imposait évidemment certaines révisions.

Des aménagements récents

Un tournant a donc été pris pour la préparation de la 21e édition, sous la direction de Joan S. Mitchell 1 : « Une de nos préoccupations continuelles est d’accorder une attention particulière aux usagers du monde entier et aux collections qui comprennent des ouvrages de traditions non chrétiennes et non occidentales », lit-on dans la préface. Les changements majeurs sont les suivants :

– Les indices 201 à 209, qui correspondaient auparavant aux généralités du christianisme (philosophie et théorie, dictionnaires, publications en série, organisations, histoire et géographie) ont été libérés et transférés aux subdivisions pertinentes sous 230-270.

– 296 (judaïsme) et 297 (islam) ont été révisés et développés ; en outre, pour classer avec le judaïsme les bibles hébraïques, a été prévu un indice optionnel, 296.11 (au lieu de 221) avec les divisions subséquentes, le Talmud étant à 296.

– Autre option concernant les religions non chrétiennes : si l’on souhaite, en lieu et place du christianisme, mettre en évidence une autre religion, on peut attribuer à celle-ci les divisions 230 à 280, ses sources, les textes sacrés étant à 220, à la place de la Bible ; on classera dans ce cas le christianisme et la Bible à 298, indice vacant de façon permanente pour permettre cette opération ; d’autres options, moins intéressantes nous semble-t-il, sont d’ailleurs prévues à cet effet.

Ces nouvelles dispositions sont certes les bienvenues, mais on ne peut dire qu’elles changent fondamentalement l’architecture de la classe 200. Il s’agit toutefois, dit Joan S. Mitchell dans sa préface à la 21e édition (p. XXIII), « d’un projet pour diminuer la place prépondérante accordée au christianisme, changement qui se fera au cours de plusieurs éditions ». La 22e édition annoncée doit d’ailleurs poursuivre dans cette direction.

Reste néanmoins ce constat : qu’il s’agisse de l’anglais ou du français, l’intérêt des éditeurs et du public se porte très majoritairement sur le domaine chrétien, concernant souvent des sujets très pointus, alors que, pour les religions dites « autres », les publications sont beaucoup moins nombreuses et moins spécialisées. Ainsi, dans Les livres disponibles 2002, la religion occupe 180 pages, sur lesquelles on compte 10 pages pour les parties Généralités, Religion naturelle et Religion comparée, 12 pour le judaïsme et l’islam, 11 pour le bouddhisme, et 30 pour la mythologie, les religions africaines, scandinaves : plus de 130 pages sont donc consacrées au christianisme (encombrées certes de textes de menue importance publiés par des éditeurs très confidentiels). Mais il faut bien constater que, si le christianisme occupe « une place prépondérante » dans la CDD, cette place prépondérante existe également dans la production éditoriale, en matière de religion.

Certes, dans ce domaine, les choses ont depuis quelques décennies beaucoup évolué : l’islam, les religions d’origine orientale, notamment le bouddhisme, séduisent une partie de la population occidentale en mal ou en quête de spiritualité, les mouvements et le brassage des populations faisant le reste ; il est donc prévisible que les publications concernant ces autres religions iront en augmentant et en se spécialisant ; prévisible aussi que la CDD prendra en compte cette évolution pour tenter de devenir cette « classification universelle qui propose l’organisation rationnelle de l’ensemble des connaissances utilisable dans tous les pays », comme la définissent les éditeurs dans leur préface à la version française de la 21e édition (p. XI).

Septembre 2003

Illustration
L’Arche de Noé dans les Heures de Montauban, XVe siècle. Bibliothèque municipale de Rennes, ms. 1834, fo 29 verso. © BM de Rennes.

Illustration
Représentation de la Pentecôte dans les Heures à l’usage de Dol, XVe siècle. Bibliothèque municipale de Rennes, ms. 28, fo 59. © BM de Rennes.

  1. (retour)↑  Melvil Dewey, Classification décimale et index : 21e édition / dir. par Joan S. Mitchell ; version française sous la coordination de Raymonde Couture-Lafleur et Louis Cabral, Montréal, ASTED, 1998, 4 vol.