L'héraldique et le livre

par Agnès Marcetteau-Paul
sous la dir. de Matthieu Desachy ; avant-propos de Michel Pastoureau. Paris : Somogy éditions d’art ; Toulouse : Service interétablissements de coopération documentaire, Université de Toulouse I, 2002. – 141 p. ; 24 cm. ISBN 2-85056-565-2 : 23 €

Le service interétablissements de coopération documentaire de Toulouse, les bibliothèques municipales de Montauban et d’Albi, la bibliothèque et le département Archives et médiathèque de l’université de Toulouse Le Mirail se sont associés pour faire découvrir que « l’art héraldique est présent partout dans le livre ancien ». Cette collaboration a connu une triple déclinaison : une exposition itinérante présentée successivement à Montauban, à Albi et à Toulouse entre décembre 2002 et l’automne 2003, un projet pédagogique du département Archives et médiathèque de l’université de Toulouse Le Mirail, un ouvrage coédité par le service interétablissements de coopération documentaire de Toulouse et les éditions Somogy.

État des lieux

Après avoir planté le décor et justifié « le choix des armes », les auteurs de l’ouvrage reconstituent la chaîne du livre, en explorant non seulement les multiples occurrences et avatars de l’art héraldique qui s’y rencontrent, mais surtout leur signification.

Le blason se fait marque commerciale et d’authentification en s’intégrant dans les filigranes ou les marques d’imprimeur. Les commanditaires, mais aussi les auteurs, affichent leurs armes aux frontispices, sur les bandeaux et les reliures des ouvrages (on trouve même de rares exemplaires de dédicaces ornées des armes peintes de l’auteur), en une multiplicité de combinaisons et de mises en scène, toutes porteuses de sens plus ou moins cachés et du subtil équilibre à maintenir entre l’importance respective des deux protagonistes.

Quant aux dédicataires, ils sont logiquement au centre de toutes les attentions et de l’ouvrage, où le plus long chapitre leur est consacré. Il convient alors de distinguer – en une typologie précise – dédier et dédicacer, dédicace et envoi : les dédicataires « chérissent le haut des frontispices », mais se rencontrent également sur les pages de titres, les colophons et les épîtres dédicatoires ; sur les exemplaires de dédicace et de présent, la qualité des reliures suit le rang social des bénéficiaires. La pratique des dédicaces fournit d’ailleurs à la librairie d’Ancien Régime un vaste champ commercial, que la Révolution vint interrompre et que la Restauration ne parvint pas à rétablir durablement. Le XVIIIe siècle voit ainsi la mode des reliures brodées sur lesquelles Pierre-Paul Dubuisson, « héraldiste passionné et artiste inventif », associe chinoiseries, décors sous mica et armoiries peintes, et dont les bibliophiles ont fait les « reliures papillonnantes ». La pratique académique et sociale des thèses se décline sous forme de volumes et de placards, pour lesquels les imprimeurs ne tardent pas à proposer aux impétrants des cadres pré-gravés destinés à recevoir les armes du dédicataire.

Puis viennent les possesseurs, qui apposent sur les livres ex-libris et fers de reliure armoriés, mais aussi de fragiles cachets de cire dont on retrouve aujourd’hui avec émotion les fragments. Aussi longtemps que les livres furent rangés à plat, des armoiries furent également peintes sur les tranches. Avant de disparaître, lorsqu’on prit l’habitude de ranger les livres verticalement, cette pratique connut ses deux plus belles déclinaisons. Dans les collections princières et royales françaises et italiennes du XVIe siècle, elles ont une fonction d’apparat et répondent au « dessein politique d’exalter l’idéal monarchique et humaniste de la Renaissance au sein d’une bibliothèque déployant luxe et magnificence ». Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles sont de nouveau utilisées pour rendre hommage aux agonothètes, « terme un peu précieux » utilisé dans les collèges pour désigner « celui qui fait la dépense des prix qu’on distribue aux écoliers ». Fermant la marche, viennent enfin les donateurs qui se sont parfois attachés à perpétuer leur mémoire sous forme d’ex-dono héraldiques gravés.

L’état civil du livre

Introduisant à « une réalité, celle du don, associée à la volonté de transmettre », l’héraldique, dans ces deux derniers cas comme dans les précédents, ne peut être considérée seulement comme un art aristocratique et décoratif. Dans une société pré-révolutionnaire, où elle n’est pas – contrairement à l’idée reçue – l’apanage de la classe nobiliaire, mais participe du système identitaire communément admis, l’héraldique donne à lire les structures sociales et de production à travers ses trois fonctions : la possession, l’ostentation, la décoration.

En s’appuyant sur les collections locales directement à leur disposition et en faisant appel à quelques ressources nationales et internationales révélées par des travaux antérieurs, c’est tout l’état civil du livre que les auteurs de l’ouvrage souhaitent ainsi nous aider à mieux connaître et comprendre. Pour ce faire, leur démarche « se veut l’application à l’histoire du livre des nombreux champs d’étude ouverts par Michel Pastoureau en héraldique nouvelle ». En déclinant les pratiques héraldiques de chaque protagoniste du livre, comme on l’a vu plus haut. En décryptant ses possibles développements dans l’art littéraire du blason et l’emblématique parahéraldique, ou en recourant aux « sciences jeunes ou récemment renouvelées » de l’emblématique, la symbolique et la taxinomie pour interpréter les couleurs des reliures.

On ne peut douter que l’objectif pédagogique ait été atteint auprès des étudiants étroitement associés à l’entreprise et auteurs d’une bonne partie des textes. Si les différentes contributions à l’ouvrage ne sont pas exemptes de répétitions et renouvellent plus ou moins la problématique, on y trouvera matière à une lecture agréable. Mais aussi à compléter et mieux structurer ses connaissances sur le sujet, pour se mieux convaincre qu’il n’est pas meilleure (ré)invention du monde que sa mémoire écrite, quand on sait prendre le temps de lire et de décrypter les « entrelacs du dessin et du mot ».