Les procédures d'achats en bibliothèque

En attendant la loi

Juliette Doury-Bonnet

Le 27 janvier 2003, la section des bibliothèques publiques de l’Association des bibliothécaires français (ABF) organisait, dans le grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France, une journée d’étude sur le thème « Les procédures d’achats en bibliothèque (remises, marché) : en attendant la loi ». La Directive européenne sur le droit de prêt public avait provoqué de nombreux débats entre éditeurs, auteurs et bibliothécaires. Quelles perspectives le projet de loi, qui devrait être soumis à l’Assemblée nationale en mars, ouvre-t-il pour la chaîne du livre ?

Arrêt sur image

Deux représentants de la Direction du livre et de la lecture, Thierry Grognet, chef du département des Bibliothèques publiques et du Développement de la lecture, et Guillaume Husson, chef du département de l’Économie du livre, présentèrent un état de la question. Ce dernier rappela la législation sur le droit d’auteur et signala qu’un auteur pouvait s’opposer au prêt de ses livres. C’est un facteur d’insécurité juridique potentielle pour les bibliothèques, a-t-il noté. En effet, la Directive européenne relative au droit de location et de prêt dans le domaine de la propriété intellectuelle, adoptée le 19 novembre 1992, octroie à l’auteur un droit exclusif sur le prêt de ses œuvres. Elle accorde aux États membres la possibilité de déroger à ce droit exclusif, à condition que l’auteur soit rémunéré de façon équitable, et celle d’exempter certains établissements du paiement de la rémunération.

Parmi les professionnels du livre, deux positions extrêmes s’affrontaient : la demande de rémunération à l’acte et la demande d’exonération. En l’absence d’entente contractuelle, les professionnels se sont alors tournés vers l’État. En élaborant son projet de loi, le ministère de la Culture a eu trois objectifs : l’amélioration de la situation des auteurs et le financement d’une retraite, la prise en charge du droit de prêt afin de ne pas remettre en cause la lecture publique et le plafonnement des rabais pour soutenir la librairie de proximité.

Les choix du ministère ont été la création d’une licence légale, la mise en place d’un mécanisme de prêt payé (le prêt est payé en amont par la collectivité publique) et la garantie d’une rémunération des auteurs. Le projet de loi prévoit deux sources de financement : un forfait par inscrit (de 1 E pour les bibliothèques municipales et de 1,5 E pour les bibliothèques universitaires) et le versement par les fournisseurs de 6 % du prix public hors taxe des ouvrages à des sociétés de gestion qui devront être agréées par le ministère. Les remises seront plafonnées à 9 % (12 % la première année) : le niveau effectif sera donc de 15 %. La logique du « mieux disant », censée favoriser la petite libraire, sera privilégiée. Les données concernant les titres des livres achetés, le nombre d’exemplaires, la destination (prêt ou consultation) seront fournies par les bibliothèques aux sociétés de gestion et seront recoupées avec les informations transmises par les libraires.

Actuellement, les auteurs n’ont pas de régime de retraite complémentaire. Les sommes désormais affectées à ce régime sont plafonnées : 20 % des sommes recueillies au titre du droit d’auteur. Le calcul sera effectué à partir des livres acquis et non pas des livres prêtés. Dans le partage auteur/éditeur, 50 % au moins reviendront à l’auteur.

Un groupe de travail s’est penché sur un « code de bonne conduite » : il s’agit de garantir l’efficacité du plafonnement des rabais, de renforcer le savoir-faire des libraires et de définir les services qui peuvent leur être demandés.

Le projet de loi sur le droit de prêt en bibliothèque a été adopté le 8 octobre par le Sénat. Après l’examen du projet à l’Assemblée nationale, la loi devrait être applicable avant l’été. Le dispositif sera mis en place sur deux ans. Les marchés en cours pourront s’appliquer jusqu’à leur terme annuel. Un rapport public sera présenté au Parlement dans deux ans, afin d’évaluer les résultats de ces nouvelles mesures.

Sur cette question du droit de prêt, la France a adopté une position moyenne au sein de l’Europe : les pays du sud ont opté pour l’exemption (sous réserve que la Commission européenne donne son accord), alors que dans les pays du nord, les collectivités (ou les bibliothèques, comme aux Pays-Bas) se chargeront de la rémunération des ayants droit.

A work in progress

Hugues Wolff, de la direction des Affaires culturelles de la ville de Paris, considère que le nouveau code des marchés est encore un work in progress. Dans son intervention, il s’est penché sur les conséquences sur les commandes publiques du nouveau code des marchés et de la nouvelle loi. Il a contredit les propos de Guillaume Husson : « Les marchés annuels peuvent être reconduits dans la limite de trois à cinq ans, sans que les clauses soient modifiables. La reconduction à l’identique, si elle est prévue dans le marché, est possible. » La nouvelle loi ne modifie pas le code des marchés.

D’autre part, en tant qu’acheteur public, il considère que les propos du ministre de la Culture concernant la « mieux disance » sont ambigus et relèvent de la discrimination positive. Il est illégal de rompre l’égalité de traitement entre le libraire et le grossiste. Seul le critère de prix est objectif. D’ailleurs, la notion de « moins disance » a été abandonnée depuis longtemps. Au regard du code, le livre est une fourniture comme une autre.

Hugues Wolff a répondu à de nombreuses questions venant de la salle. Il a évoqué les articles 28 (« marché sans formalité », lorsqu’il n’y a pas de candidat à une procédure d’appel d’offre) et 30 (« procédure allégée », dans le cas des périodiques et des « bibliothèques constituées » proposées par les soldeurs). Il a rappelé que la notion de « hors marché » n’avait plus cours : le marché est une garantie pour le fournisseur. « On ne peut pas confondre libraires et candidats à un marché public. Il faut se donner les moyens de tester les compétences des candidats, grâce à un questionnaire pointu ou à une liste-test » a-t-il fait remarquer en réponse à une question sur la définition de la qualité de conseil dans le marché.

Le code des marchés publics est un carcan, a-t-il reconnu, mais il laisse un espace de liberté. Le bibliothécaire a un rôle important à jouer : il peut faire passer des informations, en particulier auprès des élus.

Tables rondes : bibliothécaires et libraires

L’après-midi a vu se succéder deux tables rondes. La première réunissait trois bibliothécaires, Anne-Marie Motais de Narbonne, directrice du service commun de documentation de l’université de Paris-Sud, Sylvie Pessis, directrice de la bibliothèque municipale de Pierrelaye et Joëlle Pinard, directrice de la bibliothèque départementale de prêt de la Drôme. Jean-François Jacques (BM d’Issy-les-Moulineaux) leur a proposé de faire le tour de leurs techniques d’acquisition. Des situations très hétérogènes, donc.

Claudine Belayche (BM d’Angers) a donné la parole aux représentants de quatre librairies, très dissemblables elles aussi : Avicenne (fonds consacré au monde arabe) à Paris, l’Armitière (fonds général) à Rouen, la Belle aventure (littérature de jeunesse) à Poitiers et la Société française du livre (grossiste parisien). La nécessité de formation et d’informatisation pour les libraires devant répondre aux appels d’offre et le rôle des Drac (directions régionales des affaires culturelles) ont été soulignés en conclusion de cette présentation.

Gilles Eboli, président de la section des bibliothèques publiques de l’ABF, a rappelé au cours de la journée que les associations de bibliothécaires avaient été conviées aux discussions pour trouver des solutions pragmatiques et efficaces et « éviter l’usine à gaz » : « Cela va peut-être être encore plus difficile d’acheter un livre, mais aussi une gomme… » En conclusion, il a incité les bibliothécaires à prendre leur place dans le work in progress, en informant les élus, en participant aux groupes de travail.