La place de la Bibliothèque nationale de France dans les réseaux nationaux de coopération

Bilan et perspectives

Mireille Bousquet

Noémie Lesquins

Caroline Wiegandt

Le réseau des pôles associés de la Bibliothèque nationale de France s’est mis en place à partir de 1994. L’objectif initial était la couverture documentaire exhaustive sur le plan national, en complémentarité avec les collections de la BnF. Une deuxième étape a consisté en la mise en place d’un réseau de bibliothèques pour le dépôt légal imprimeur. La BnF est maintenant intégrée dans un réseau de bibliothèques municipales possédant des fonds patrimoniaux et de bibliothèques de recherche et de l’enseignement supérieur. De nouvelles formes de collaboration, notamment axées sur la numérisation et la conservation partagée, ont émergé au cours de ces dernières années.

A network of axes associated with the Bibliothèque nationale de France was set up at the end of 1994. The initial objective was exhaustive documentary coverage on the national plan, in conjunction with the collections of the BnF. A second stage has consisted in the setting up of a network of libraries for legal deposit from printers. The BnF is now included in a network of municipal libraries that possess heritage material, research libraries and higher education libraries. New kinds of collaboration, notably focused on digitisation and shared conservation, have emerged in the last few years.

Das Netzwerk der französischen Nationalbibliothek besteht seit 1994, zuerst mit der Zielsetzung, auf nationaler Ebene alle Dokumente vollständig zu erfassen und somit die Sammlungen der BnF zu ergänzen. Ein weiterer Schritt war die Einrichtung einer Vernetzung der Archivbibliotheken für Pflichtexemplare. Die BnF ist heute in ein Netz von öffentlichen Bibliotheken mit kulturell wertvollen Sammlungen und von Hochschulbibliotheken eingebunden. Während der letzten Jahre haben sich neue Formen der Zusammenarbeit ergeben, vor allem in Richtung Digitalisierung und gemeinsam getragener Konservierungsaufgaben.

La red de los polos asociados de la Biblioteca Nacional de Francia se instaló a partir de 1994. El objetivo inicial era la cobertura documental exhaustiva en el plano nacional, en complementaridad con las colecciones de la BNF. Una segunda etapa consistió en la instalación de una red de bibliotecas municipales que poseen fondos patrimoniales y de bibliotecas de investigación y de la enseñanza superior. En el curso de estos últimos años emergieron nuevas formas de colaboración, especialmente teniendo como eje la numerización y la conservación compartida.

Au cours de la seconde moitié du XX e siècle, le travail en réseau – dans un objectif de mutualisation des ressources humaines, financières, documentaires et techniques – s’est progressivement imposé dans le monde des bibliothèques, à commencer par celles de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. À un niveau national, les bibliothèques américaines ont très tôt reconnu l’utilité de regrouper leurs ressources, notamment pour les activités du prêt et du catalogage, comme par exemple à travers le réseau RLG (Research Libraries Group 1). En France, un des premiers réseaux nationaux mis en place fut celui des centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (Cadist).

L’intérêt de la coopération entre les bibliothèques peut s’évaluer sous différents aspects : l’économie de moyens qui permet un vrai partage des tâches ; l’amélioration du service rendu à la communauté des utilisateurs, sur place ou à distance (d’une part, parce que les moyens dégagés peuvent être consacrés à de nouvelles activités, d’autre part, parce que l’accès réciproque à des ressources mises en commun permet d’élargir la gamme des documents et services disponibles) ; et enfin, un aspect d’ordre plus politique et stratégique, le positionnement des bibliothèques au sein d’un réseau.

Les missions dévolues à la future « Grande Bibliothèque » par le président François Mitterrand dans la lettre de mission adressée au Premier ministre en août 1988 – collecter le patrimoine documentaire national, couvrir tous les champs de la connaissance, être à la disposition de tous, utiliser les technologies les plus modernes de transmission de données, pouvoir être consultée à distance – ne pouvant être assumées par une institution seule en un seul site, l’Établissement public de la Bibliothèque de France définit le travail en réseau non seulement comme un souhait, mais surtout comme une nécessité.

D’une part, la Bibliothèque nationale ne pouvait prétendre à l’exhaustivité en matière de collections courantes spécialisées et devait s’appuyer sur les nouvelles technologies de l’information pour organiser avec d’autres bibliothèques un partage des ressources documentaires. D’autre part, elle ne pouvait non plus prétendre représenter à elle seule le patrimoine national, également conservé dans les bibliothèques municipales héritières des confiscations révolutionnaires ou dépositaires du dépôt légal imprimeur.

La mise en place du réseau des pôles associés de la BnF

Pratiques anciennes

En tant qu’institution nationale, la Bibliothèque nationale participe depuis de nombreuses années à diverses formes de coopération avec les établissements nationaux et internationaux extérieurs. Outre son rôle de « fournisseur » national pour l’information bibliographique, elle assure une fonction d’expertise sollicitée, notamment dans des domaines comme la conservation ou les collections spécialisées. Elle participe à des échanges professionnels dans le cadre d’associations, de comités nationaux et internationaux, et à des projets collectifs de catalogues, inventaires et répertoires, parmi lesquels on peut citer à titre d’exemple le Répertoire international des sources musicales (RISM). Les moyens tant techniques, humains que financiers d’un grand établissement comme la BnF justifiaient le renforcement de sa mission de coopération et la définition d’une forme nouvelle de celle-ci, fondée sur une relation contractuelle.

Le réseau des pôles associés de la BnF est né de cette nouvelle vision. Le décret 94-3 du 3 janvier 1994 portant création de la Bibliothèque nationale de France pose les jalons de ce nouveau type de coopération. L’article 2 définit, dans le cadre des missions principales de la bibliothèque, la coopération avec « d’autres bibliothèques, centres de recherche et de documentation français et étrangers, notamment dans le cadre des réseaux documentaires » et la participation à « la mise en commun des ressources documentaires des bibliothèques françaises ». L’article 3 définit les moyens de ces actions, « en particulier par la voie de convention ou de participation à des groupements d’intérêt public, avec toute personne publique ou privée, française ou étrangère, et notamment avec les institutions qui ont des missions complémentaires des siennes ou qui lui apportent leurs concours » 2 .

Le réseau des pôles associés fut mis en place dès 1994 dans un double objectif d’aménagement du territoire et de complémentarité documentaire. Le pôle associé fut défini comme un « ensemble documentaire organisé autour d’un site géographique cohérent, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, s’efforçant de développer une spécialisation en renforçant ses collections en harmonie avec celles de la Bibliothèque de France » 3 .

En s’insérant au cœur du réseau des bibliothèques françaises patrimoniales et de recherche, la Bibliothèque nationale entendait dès 1994 animer, soutenir et accroître le dynamisme de ce réseau, sur la base d’un partenariat équilibré et équitable et non dans l’esprit d’une administration de tutelle.

Deux réseaux de coopération distincts correspondant à des objectifs différents

Deux réseaux de coopération distincts existent actuellement :

–un réseau de collecte partagée pour le dépôt légal imprimeur, au sein duquel chaque bibliothèque a la charge effective d’une fraction d’une collection nationale. Il concerne 29 établissements ;

–un dispositif de partage documentaire, constitué en fait de relations bilatérales entre la BnF et 39 établissements ou réseaux locaux dans une discipline donnée.

En 2002, ce sont donc, en tout, 65 conventions de coopération avec des pôles associés qui étaient en vigueur, représentant 73 institutions 4. L’ensemble est constitué de 25 bibliothèques des collectivités locales (municipales ou départementales), 16 services communs de la documentation des universités, bibliothèques interuniversitaires, bibliothèques de grands établissements, 16 bibliothèques d’établissements de recherche et d’enseignement supérieur, 4 bibliothèques ou centres de documentation d’autres organismes publics, 3 centres d’archives, 8 organismes de statut associatif ou privé, une bibliothèque à statut national. Au total, l’ensemble des pôles associés dessert près d’un million d’inscrits et conserve plus de 25 millions de volumes.

Sur les 39 pôles associés pour le développement et le signalement de collections spécialisées (rétroconversions, bibliographies régionales, bases spécialisées) en complémentarité avec la BnF, 29 reçoivent des subventions dans le cadre de ces conventions. Une majorité de ces bibliothèques relève de l’enseignement supérieur ou d’organismes de recherche et est spécialisée dans les sciences et techniques et les sciences sociales. Géographiquement, un équilibre région parisienne/province est assuré.

La répartition du dépôt légal entre un dépôt de l’éditeur centralisé à la Bibliothèque nationale et un dépôt de l’imprimeur en région remonte à la loi du 19 mai 1925 (publiée au J.O. du 27 mai 1925) créant l’obligation de dépôt par l’éditeur tout en maintenant celle des imprimeurs. Mais il faut attendre le décret n° 1720 du 21 juin 1943 pour que des bibliothèques soient officiellement chargées de la collecte de ce dépôt, jusqu’alors confiée à des services dépendant des préfectures. La première liste diffusée par arrêté du 4 octobre 1943 nomme dix-sept bibliothèques municipales des principales villes de la métropole, habilitées à recevoir le dépôt des imprimeurs localisés dans les départements désignés comme étant de leurs compétences. De nombreux réajustements ont abouti, en 1996, à la mise au point d’une liste de 29 établissements responsables de la collecte du dépôt légal imprimeur selon des compétences territoriales coïncidant avec les régions administratives de France et d’outre-mer, liste à laquelle il faut ajouter la BnF pour l’Île-de-France.

C’est autour de ces 29 établissements, principalement des bibliothèques municipales classées, mais également des bibliothèques départementales, des bibliothèques de centres d’archives départementales ainsi que la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, que s’est constitué le réseau des pôles associés pour le dépôt légal. Certes, des liens entre la Bibliothèque nationale et les bibliothèques dépositaires en région existaient structurellement depuis 1943, notamment dans le cadre du contrôle croisé entre le dépôt légal éditeur et le dépôt légal imprimeur. Mais la contractualisation des relations sous forme d’une convention de type pôle associé a permis de mieux définir les modalités d’échanges entre les établissements chargés de la collecte et de la conservation du patrimoine national.

Aujourd’hui, 25 bibliothèques ont signé des conventions avec la BnF, consistant notamment dans le versement par la BnF de subventions pour la rémunération de personnel chargé de la collecte, du traitement et du signalement des collections entrées par dépôt légal. Afin de mesurer l’importance de la mission des bibliothèques en région, il n’est pas inutile de préciser que plus des trois quarts de la production éditoriale française sont imprimés en province.

Conforter des politiques locales de développement documentaire sur la base du volontariat pour garantir l’implication des tutelles, favoriser la constitution de réseaux locaux avec des pôles associant plusieurs établissements, s’inscrire dans une carte documentaire nationale (Cadist, bibliothèques municipales à vocation régionale…) impliquant un recoupement des réseaux constituent les premiers objectifs de la politique de la BnF.

Développer des ressources au niveau national (réorientation du public, fourniture à distance), rationaliser au niveau de chaque établissement (concertation pour les achats les plus onéreux…) et mettre en réseau des ressources documentaires constituent les seconds objectifs. Deux outils pouvant servir ces objectifs furent mis en place depuis au sein de la BnF : la bibliothèque numérique Gallica, ainsi que le Catalogue collectif de France et son module de prêt entre bibliothèques.

Presque dix ans après la signature des premières conventions, ces objectifs ont-ils été atteints et quelles perspectives peut-on envisager pour le développement du réseau ?

Succès et limites du réseau

Une collecte du dépôt légal véritablement partagée

Même si la participation financière de la BnF – 89,5 % des coûts de personnel – est loin de couvrir la totalité des frais engendrés par le traitement du dépôt légal (en particulier les coûts en terme d’espace de stockage), elle a permis une meilleure compréhension du rôle patrimonial des bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur (BDLI) au niveau local.

La pérennisation des emplois destinés au traitement des documents, l’affirmation de procédures rigoureuses d’identification et de règles de conservation et de communication, la contractualisation des échanges d’informations et de documents entre la BnF et les bibliothèques en région ont permis de structurer une seconde collection nationale répartie sur l’ensemble du territoire, qui, loin de se contenter de doubler celle de la BnF, en est également complémentaire. L’intérêt de la coopération pour les établissements signataires réside dans cette double caractéristique des fonds collectés.

Le recoupement des collections conservées à la BnF et dans les établissements régionaux permet, dans un premier temps, un contrôle des dépôts et une collecte la plus exhaustive possible. La présence dans au moins deux lieux de conservation d’un même document et la participation des pôles associés au prêt entre bibliothèques offrent, d’autre part, au chercheur des facilités en matière de consultation des documents.

Toutefois, le recoupement des informations bibliographiques a ses limites et si le contrôle croisé s’effectue de manière tout à fait satisfaisante pour les monographies et pour une partie des périodiques, il s’avère beaucoup plus compliqué, voire impossible, pour les documents en marge (brochures, tracts, affiches, cartes postales…), sujets à des traitements par lots plus qu’à l’unité. Sur cette frange non négligeable de documents, les collections de la BnF et celles des bibliothèques régionales peuvent se recouper en partie sans qu’il soit possible de l’identifier précisément, mais elles sont également dans une grande mesure complémentaires. En effet, la proximité des bibliothèques régionales avec les lieux de production des documents explique que celles-ci collectent mieux les périodiques et les documents divers (tracts, brochures etc.), notamment d’intérêt local, difficilement repérables dans le circuit de l’édition commerciale. La complémentarité réside, au-delà de la collecte, dans le degré de signalement des documents. En effet, les documents d’intérêt local qui seront traités par lots à la BnF et signalés dans une notice avec un titre forgé, seront plus systématiquement traités à l’unité dans les bibliothèques régionales.

Le rôle de centre de ressources régionales des bibliothèques dépositaires du dépôt légal imprimeur, dont une dizaine ont par ailleurs bénéficié du programme BMVR, s’est vu renforcé par ailleurs par l’attribution systématique par la BnF depuis 1996 d’un exemplaire de toutes les monographies reçues par le dépôt légal éditeur à la bibliothèque située dans la région d’édition.

Désormais, les perspectives de développement du réseau sont fondées, d’une part, sur le renforcement des bases mises en place et, d’autre part, sur l’affinement du travail sur la collecte et le signalement de certains types de documents, notamment dans le cadre de la complémentarité.

Le partage documentaire : un concept à renouveler et enrichir

Environ 15 000 volumes, essentiellement des publications courantes, sont acquis chaque année dans le cadre des conventions de partage documentaire. Grâce à la capacité des pôles associés à acquérir des documents difficiles d’accès pour la BnF (documents mal diffusés, documentation étrangère, dons…), le réseau garantit au niveau national l’existence d’une collection spécialisée complète, répartie précisément et mise en valeur par des bases bibliographiques, des dépouillements et des opérations de numérisation. Toutefois il s’agit là, parfois, encore davantage d’un objectif que de la réalisation idéale attendue. Néanmoins, l’obligation pour les bibliothèques d’informatiser et de mettre en ligne leurs catalogues, qui était mentionnée dans les conventions, a pu donner aux établissements l’impulsion nécessaire pour atteindre cet objectif, et le constat aujourd’hui est très positif en ce sens, puisque la plupart des pôles documentaires possèdent un catalogue en ligne.

En 2000, le rapport au Sénat de Philippe Nachbar et Philippe Richert (cf. bibliographie) pointait surtout les limites du réseau, allant même jusqu’à parler de « politique alibi ». Entre autres questions, était soulevé le problème de définition du pôle associé, notion vague à laquelle auraient manqué des critères précis « permettant d’identifier les institutions ayant vocation à devenir des pôles associés ». Les critères de partage documentaire y étaient qualifiés de « restrictifs » car reposant uniquement sur la complémentarité des fonds avec ceux de la BnF. À cette occasion, était suggéré un redéploiement thématique du dépôt légal qui aurait permis un véritable enrichissement des collections des pôles. Enfin, le manque de contacts réels et fréquents entre les partenaires, et par là même, le manque d’échanges d’informations relatives au partage documentaire étaient justement critiqués.

Ce rapport aura eu le mérite d’obliger la BnF à une nouvelle étape de réflexion autour de son réseau. Sur la notion de pôle associé et sur le partage documentaire, il convient en effet de nuancer les conclusions évoquées ci-dessus. Certes, la définition du champ de partage documentaire peut sembler parfois extrêmement pointilliste. Il s’agit alors d’achats portant sur des langues rares ou dont les moyens de diffusion rendent l’acquisition difficile à la BnF, ou bien de secteurs de recherche trop pointus pour une collection « encyclopédique ». Dans la pratique, il est constaté et admis des recouvrements avec les acquisitions de la BnF. Certains pôles, en particulier ceux qui sont en région, constituent des collections dont les champs disciplinaires vont inévitablement recouper ceux de la BnF.

On peut citer l’histoire du livre à la Bibliothèque municipale de Lyon, la civilisation médiévale à Poitiers et les sciences religieuses à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, secteurs d’excellence aussi bien à la BnF que dans ces établissements.

Sur les acquisitions étrangères, l’obligation qu’on se donnerait de ne jamais doublonner serait factice, voire peu souhaitable, car il est important souvent qu’un même titre puisse être localisé dans au moins deux établissements. Il est vrai que des considérations budgétaires peuvent, et vont sans doute de plus en plus à l’avenir, entraîner des hésitations sur des achats coûteux qui pourraient alors être choisis par un seul établissement selon des critères de public et de politique documentaire, véritable fédération des ressources qui commence à être envisagée par les partenaires. Les possibilités de prêt, de localisation des documents telles qu’elles existent à présent (Sudoc, CCFr, et leurs modules de prêt) permettent une réflexion fine sur les acquisitions presque titre à titre dans certains cas.

Quoi qu’il en soit, on peut noter un souci de plus en plus marqué de réelle concertation entre les bibliothèques de l’enseignement supérieur et la BnF. Si, dans les Cadist et les bibliothèques universitaires, les acquéreurs ont la possibilité de travailler et de réfléchir avec les enseignants et les chercheurs, à la BnF la fonction d’acquéreur est par nature plus solitaire. Le retour d’expérience dont nous font bénéficier les pôles est à cet égard indispensable. Le Cadist de l’université de Toulouse (pôle associé pour les langues, littératures et civilisations ibériques et latino-américaines), qui propose chaque année à la BnF de participer à sa réunion d’acquisition, offre ainsi aux acquéreurs de la BnF une possibilité de contact direct avec l’université, en termes de pratiques et d’évolutions. On peut ajouter que la diversification des publics à la BnF, en particulier l’apparition des étudiants de premier et second cycles non présents sur le site de Richelieu, crée un nouveau sujet d’intérêt commun.

La BnF, il faut le reconnaître, n’a pas toujours eu la disponibilité nécessaire pour travailler sur le fond et en détail avec ses pôles. La conjoncture actuelle est positive pour démarrer une collaboration plus suivie et plus en rapport avec l’attente des pôles associés. La BnF est entrée, enfin, dans une phase apaisée et stabilisée de son fonctionnement après les péripéties de son ouverture difficile. L’effort de ces dernières années, pour la mise à niveau des collections et la stabilisation d’un système informatique qui permettra la communication de listes d’acquisitions, favorisera une véritable coopération sur le terrain. La refonte de la charte documentaire de la BnF devrait permettre de fournir un outil de travail à ses partenaires et d’affiner le partage documentaire.

Autre constat de ce rapport, l’impossibilité pour la BnF à elle seule d’assurer une couverture documentaire au plan national. Pour des raisons budgétaires et à cause de la définition « encyclopédique » de ses collections, la mise en place de chaque pôle n’a pu se faire qu’au cas par cas et non de façon exhaustive ou systématique. Le partage documentaire y trouve effectivement sa limite naturelle. Établi sur une architecture en étoile, il consiste à compléter les collections de la BnF plutôt qu’à assurer des pôles d’excellence. Avec toutes les nuances qu’on peut y apporter, la BnF conserve une fonction centralisatrice de fait.

Reste la question globale du partage documentaire qui s’est constitué à partir de la visée encyclopédique d’un établissement dont la richesse des collections en sciences humaines en faisait d’office un pôle d’excellence. La complétude dans ces domaines ne peut se faire que sur des axes de recherche très pointus ou des besoins très spécifiques. Mais il est compliqué de faire travailler le tout encyclopédique et les parties spécialisées de manière harmonieuse. Sur certaines disciplines en sciences humaines, la BnF conserve une richesse exceptionnelle. Mais sur des secteurs plus récents comme les sciences politiques ou les sciences et techniques, le partage documentaire et les échanges entre les bibliothécaires se font plus naturellement, du fait de la nouveauté de ces fonds. Dans ces domaines où la BnF cherche encore en partie son public, son attente est forte vis-à-vis de ces pôles qui eux possèdent l’expérience, le savoir-faire, le recul et l’antériorité des collections qui font partiellement défaut ici.

Une des réussites notables de la mise en place du réseau aura consisté dans la création de réseaux locaux, Brest, Poitiers et Aix-Marseille pour ne citer qu’eux, dont la force et l’originalité est de fédérer des types d’établissements fort différents : bibliothèque municipale, bibliothèque universitaire, centre de recherche, service de l’inventaire… Grâce à son insertion dans ces réseaux locaux, la BnF a tissé un lien avec des organismes de recherche comme l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). La dernière étape du partage documentaire suppose une évaluation rigoureuse, désormais possible, puisque presque tous les partenaires possèdent les outils nécessaires et le recul indispensable.

C’est à partir du double constat d’une certaine stabilisation du réseau documentaire, au risque d’une relative monotonie de la coopération, et de l’impossibilité de couvrir budgétairement une véritable carte documentaire, que la nécessité de nouvelles formes de coopération a émergé. De fait, les demandes se font pressantes de la part des établissements pôles associés pour des actions de collaboration concrètes.

L’émergence de nouvelles formes de collaboration

Une meilleure valorisation du dépôt légal

Une fois la phase de contractualisation entre la BnF et les bibliothèques partenaires bien rodée, il est important que les bibliothèques commencent à mieux se connaître entre elles. La BnF joue non seulement un rôle d’interlocuteur privilégié de chacun des établissements mais se doit aussi de développer la coordination, de créer des occasions de rencontres et d’échanges entre toutes les bibliothèques. L’organisation de journées de travail sur des thèmes précis concernant le dépôt légal est une occasion de prises de contacts individuelles entre les différents partenaires. Une liste de discussion, « modérée » par la BnF, permettant un échange régulier d’expériences et de réflexions sera mise en place dans les prochains mois.

À l’échelle nationale, la valorisation des collections entrées par dépôt légal a connu en cinq ans de nombreuses améliorations, notamment par l’identification du mode d’entrée Dépôt légal dans les notices des documents et l’informatisation des catalogues. Au début de l’année 2003, treize des vingt-cinq pôles avaient mis leurs catalogues en ligne et les conventions devraient continuer d’encourager cette action. Dans le cadre d’un projet de reconstitution de la collection conservée en région, le Catalogue collectif de France pourrait devenir une sorte de portail vers les différents catalogues et permettre ainsi de localiser les documents par l’intermédiaire d’un sous-ensemble Dépôt légal imprimeur.

D’autres actions de valorisation menées généralement sans le soutien de la BnF sont vouées à se développer, telles que la constitution de bases bibliographiques régionales (notamment la base bibliographique bourguignonne en collaboration avec la BM de Dijon et le centre régional du livre de Bourgogne, Les Annales de Normandie à la BM de Caen, la bibliographie alsacienne à la BNUS de Strasbourg, la base bibliographique franc-comtoise à la BM de Besançon), la constitution de dossiers de presse (dans les BM de Lyon, Clermont-Ferrand et Montpellier) et l’organisation d’expositions sur la production éditoriale locale (« Éditeur en Aquitaine » à la BM de Bordeaux en 2001, « Promenades en Puy-de-Dôme » à la BMIU de Clermont-Ferrand en 2002). S’appuyant sur l’aspect local de la documentation collectée, d’autres opérations telles que la mise en place de plans de conservation partagée des périodiques ou l’extension de l’opération Sociétés savantes 5 à d’autres régions pourraient être pilotées par la BnF, en reliant le réseau des pôles associés à des réseaux locaux existants, notamment celui des agences de coopération régionales.

Globalement, trois types de collaboration sont à développer : une mise en commun de la réflexion sur les modes de traitement matériel de certains types de documents pour lesquels les bibliothèques ont moins d’expérience (documents spécialisés, brochures, tracts, bulletins municipaux, etc.), la valorisation des collections d’intérêt régional et, enfin, des modalités nouvelles de coopération dans le cadre de l’archivage des sites web (indexation plus spécialisée, valorisation des sites régionaux, etc.).

Diversification des actions en matière de coopération documentaire

Hormis le traditionnel partage documentaire qui pourrait faire l’objet d’une concertation plus approfondie et qui nécessiterait une évaluation effective, des propositions ont émergé ces dernières années pour des types d’action bien différents. C’est avec la collaboration du Centre national de la bande dessinée d’Angoulême (CNBDI) que l’exposition « Maîtres de la bande dessinée européenne » a pu être réalisée par la BnF, qui souhaitait affirmer une image plus contemporaine dans sa nouvelle programmation culturelle. Cherchant un partenaire pour compléter ses collections d’albums imprimés par des originaux et un spécialiste de la question pour assurer le commissariat de l’exposition, la BnF a trouvé en Thierry Groensteen, alors directeur du musée du CNBDI, un collaborateur enthousiaste, et une convention a pu être finalisée. Ce principe d’exposition partagée est en voie de s’ancrer comme un axe de coopération à part entière puisqu’à son tour la ville de Brest, à sa demande, prépare une exposition sur la mer avec la BnF pour 2004. La demande d’exposition partagée est une tendance qui se généralise car elle permet la valorisation réciproque.

Profiter du partenariat avec des structures plus petites et plus souples, c’est pour la BnF un moyen de tirer parti des ressources d’établissements capables d’assurer une véritable valorisation de leurs collections, ainsi éventuellement que de celles de la BnF via le prêt, valorisation impossible à la taille d’une bibliothèque nationale, sinon sur un nombre de projets limités et de grande envergure. Par exemple, l’organisation commune de journées d’études est envisagée à moyen terme avec le pôle de Poitiers sur le thème du Moyen Âge. L’intérêt de cette nouvelle forme de collaboration, c’est d’offrir au partenariat une visibilité dont l’absence ou la difficulté a souvent été regrettée de part et d’autre en ce qui concerne le partage documentaire.

À présent que le réseau est stabilisé, l’objectif consiste à favoriser les échanges des partenaires entre eux. Jusqu’à présent, outre les relations personnelles ou les échanges dans le cadre des journées professionnelles, il n’y a guère eu que la journée annuelle des pôles associés pour favoriser les discussions entre partenaires, par le biais notamment d’ateliers thématiques.

Ce ne sont pas les sujets de réflexion qui manquent. Par exemple, autour des accès et des formats pour les catalogues, la BnF devrait pouvoir proposer la constitution de groupes de travail pour que la collaboration avec les bibliothèques de l’enseignement supérieur (qui existait lors du partage du catalogage dans BN-Opale) se poursuive. Sur le catalogage du livre ancien, en particulier, la demande est récurrente. Là aussi, elle est exprimée avec force notamment par les pôles scientifiques. Dans un contexte documentaire très évolutif et contraignant, confrontés à l’inflation des coûts liés au développement du numérique, ces pôles – eux-mêmes regroupés dans d’autres réseaux – attendent une implication de la BnF dans la réflexion sur les consortiums d’achat tels que Couperin, ou sur la possibilité de s’associer sur le modèle de JSTOR 6, entre autres. Mais cette attente des partenaires peut favoriser l’apparition de nouvelles pratiques plus décentralisées, auxquelles la spécificité de certaines missions de la BnF ne l’a pas toujours préparée, même si ses pratiques ont considérablement évolué ces dernières années.

Autre type d’évolution de la coopération, le partage de la conservation de périodiques anciens est une piste riche de possibilités qui serait complémentaire de celle des périodiques courants avec les bibliothèques du dépôt légal imprimeur. Par exemple, le souci commun du département Sciences et Techniques et du Muséum national d’histoire naturelle concernant la sauvegarde et la valorisation de publications de sociétés savantes en sciences naturelles a débouché sur une proposition de projet dans le cadre de la formation des conservateurs à l’Enssib. Six stagiaires ont effectué un travail considérable de recensement de titres complémentaires entre les deux institutions, de propositions de scénarios opérationnels, de critères de choix de titres et d’évaluation des états de collections, produisant à l’arrivée un véritable outil pratique d’aide à la décision (cf. bibliographie). Derrière cette opération, la volonté de fédérer des ressources communes, ici des titres de périodiques diversement partagés par les deux bibliothèques, exemplaires uniques pour certains, pour d’autres collections incomplètes ou abîmées susceptibles d’être complétées par les exemplaires de l’autre établissement, repose sur le souci de ne pas multiplier des opérations de sauvegarde sur les mêmes titres. À terme, est envisagée la numérisation partagée de ces titres très demandés par les chercheurs, une fois réglés les problèmes de droits, critère absolu pour la Bibliothèque nationale de France pour ce type d’opération. D’autres secteurs disciplinaires souhaitent mener des opérations analogues.

Autre piste, la numérisation partagée qui a le double avantage de permettre la reconstitution d’un corpus dispersé physiquement et d’assurer une large diffusion à des documents difficiles d’accès. C’est le cas de l’opération Sociétés savantes qui a été menée avec les institutions de conservation des régions d’Aquitaine et de Lorraine, qui aboutit à la mise en ligne sur Gallica de collections complètes de bulletins de sociétés publiés dans ces deux régions jusqu’en 1914 et qui, comme nous l’avons vu précédemment, pourrait se développer en s’appuyant sur le réseau des pôles associés pour le dépôt légal et des agences de coopération régionales. C’est le cas également du projet Philidor qui devra se conclure par la reconstitution virtuelle et l’interrogation par une même interface de recherche de la collection des recueils manuscrits musicaux dispersée entre le département de la Musique de la BnF et les fonds musicaux de la BM de Versailles 7.

Au-delà de la numérisation elle-même, l’intervention intellectuelle sur des documents numérisés peut permettre la création d’accès plus fins. C’est le cas du projet en partenariat avec la Cellule de coordination documentaire nationale pour les mathématiques 8, qui se propose de faire une indexation pointue sur des périodiques de mathématiques anciens. À travers la numérisation concertée, on retrouve la dynamique de la complémentarité entre l’encyclopédisme raisonné de la BnF et la spécialisation des établissements partenaires.

Le choix d’une évolution par gestion de projet pose néanmoins le problème de la permanence des pôles associés. Car c’est bien sur la permanence obligée du partage documentaire, action qui se déroule nécessairement sur le long terme, et de même pour les bibliothèques du dépôt légal imprimeur, que s’est constitué le réseau et c’est sur cette base stable qu’il continuera à pouvoir fonctionner. Cependant, on peut imaginer à l’avenir deux types de pôles associés : certains s’appuyant sur la permanence de la complémentarité documentaire, d’autres fonctionnant sur des projets, comme par exemple la bibliothèque Sainte-Geneviève pour la rétroconversion de ses fonds anciens ou la bibliothèque municipale de Rennes pour la Bibliographie régionale de Bretagne.

Ensemble composite, que sa variété rend peut-être parfois peu lisible et qui peut donner l’apparence d’un manque de cohérence, le réseau des pôles associés tire en réalité sa richesse et sa souplesse de cette même diversité. La définition du pôle associé ne peut être uniforme. Tout établissement ayant vocation à collaborer avec la BnF dans le cadre d’une politique contractuelle, avec l’objectif de développer et valoriser ses collections, peut prétendre à cette dénomination. Qu’elle reste ouverte, c’est bien ainsi, car c’est de cette façon qu’elle offrira le plus de liberté d’action.

Diversité du réseau dans la collaboration aussi bien avec des bibliothèques municipales que des bibliothèques de l’enseignement supérieur, c’est là aussi une variété nécessaire à la BnF, car si les préoccupations sur les fonds patrimoniaux et certains publics spécialisés peuvent être communes avec les bibliothèques municipales, la BnF partage avec l’enseignement supérieur des préoccupations sur les publics et les niveaux des collections. Presque dix ans après la signature des premières conventions de pôles associés, il est possible d’affirmer que la BnF a réussi son intégration dans le réseau des bibliothèques de recherche et de conservation patrimoniale, réseau clairement distinct de celui de la lecture publique. Elle souhaite y rester et le développer dans les années à venir.

L’évolution de la politique de coopération se conçoit désormais d’une part comme la consolidation des bases posées depuis dix ans, d’autre part comme l’adaptation des objectifs à l’évolution des besoins et des moyens des bibliothèques.

Janvier 2003

Illustration
Journée 2001 des pôles associés. Site François-Mitterrand. © David Carr / BnF © ADAGP, Paris 2003

  1. (retour)↑  Le Research Libraries Group, fondé en 1974 par les universités de Columbia, Harvard et Yale et la New York Public Library, regroupe aujourd’hui plus de 160 bibliothèques de recherche. Un des principaux outils mis en place par RLG est le réservoir de données RLIN (Research Libraries Information System). Cf. http://www.rlg.org
  2. (retour)↑  Décret n° 94-3 du 3 janvier 1994 portant création de la Bibliothèque nationale de France, J.O. n° 2 du 4 janvier 1994.
  3. (retour)↑  Établissement public de la Bibliothèque de France, Rapports des groupes de travail 1991, novembre 1991, p. 198.
  4. (retour)↑  La différence numérique s’explique par le regroupement de certains établissements dans une même convention.
  5. (retour)↑  Cf. infra et http://gallica.bnf.fr/
  6. (retour)↑  http://www.jstor.org (organisation américaine à but non lucratif fondée en 1995, réunissant des bibliothèques et organismes documentaires, pour la numérisation et la mise en ligne de périodiques et revues).
  7. (retour)↑  La collection Philidor (du nom d’André Danican Philidor [1647-1730], copiste et bibliothécaire de Louis XIV) regroupe quarante-cinq volumes de recueils de musique jouée à la cour de Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, et est l’une des sources principales pour l’édition des œuvres de Lully. La numérisation des documents de la BM de Versailles est inscrite dans le cadre du programme de numérisation de la MRT (Mission de la recherche et de la technologie) au ministère de la Culture.
  8. (retour)↑  La Cellule MathDoc, unité mixte de service CNRS- Université Joseph-Fourier, a été créée en 1995. Travaillant en collaboration avec le Réseau national des bibliothèques de mathématiques (RNBM), elle est destinée à valoriser les ressources documentaires pour la recherche en mathématiques française, notamment par le biais de catalogues collectifs et d’un programme de numérisation.