Les bibliothèques pour la vie

Diversité, démocratie, service – le 68e congrès de l’IFLA

Agnès Colnot

Le 68e congrès de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA) s’est déroulé du 16 au 24 août 2002 à Glasgow avec 4 000 participants d’environ 100 pays, et plus de 220 conférences représentant les travaux de 46 groupes professionnels (sections et tables rondes). L’accueil dans le Centre écossais d’exposition fut à l’image de la ville : moderne et vibrant, comme Glasgow, ancienne cité industrielle en reconstruction. Parmi les événements marquants, la cérémonie d’ouverture illustrée par Seamus Heaney, prix Nobel de littérature, et le 75e anniversaire de la naissance de l’IFLA, à Edimbourg en 1927.

Les séances plénières s’articulaient autour du thème principal : « Les bibliothèques pour la vie : diversité, démocratie, service ». Au sein d’un programme foisonnant, je citerai les travaux des groupes « Bibliothèques nationales », « Bibliographie », « Technologies de l’information », « Droit d’auteur et questions juridiques » qui ont traité sous cet angle la question du libre accès à l’information dans l’environnement électronique.

Dépôt légal et droit d’auteur

Plusieurs conférences et ateliers se sont tenus sur des sujets comme : les enjeux mondiaux et les législations nationales sur la propriété intellectuelle, le dépôt légal des publications électroniques et leur recensement dans les bibliographies nationales, la question de la conservation des archives du web, les relations avec les éditeurs et autres acteurs de la chaîne de l’information. Les membres de ces différentes sections ou tables rondes ont organisé des séances communes, ce qui a permis de confronter les points de vue.

Ainsi, « Dépôt légal et droit d’auteur : comment faire concorder la législation avec les missions des bibliothèques nationales » a souligné les difficultés grandissantes que rencontrent les bibliothèques nationales pour remplir leurs missions de conservation des publications électroniques, patrimoine national de demain, dans le contexte juridique national et international. En effet, la collecte des pages web par les bibliothèques nationales, même si elle fait l’objet d’un dépôt légal obligatoire, n’entraîne pas automatiquement l’autorisation donnée au public de les visualiser. Pour permettre un accès durable à ces documents, il est nécessaire que les lois sur le droit d’auteur reconnaissent une exception spécifique, tout en tenant compte des changements de l’économie de l’information.

Pour illustrer l’importance de l’enjeu, l’accord entre Elsevier Science et la Bibliothèque nationale des Pays-Bas a été rendu public le 20 août à Glasgow. Selon les termes de cet accord, la Koninklijke Bibliothek (KB) devient le premier organisme de dépôt et de conservation des périodiques édités sur la plate-forme Science Direct, soit 1 500 titres de périodiques dans les domaines scientifique, technique et médical. L’accès à ces archives sera possible à tous les lecteurs de la KB.

La collaboration entre éditeurs et bibliothèques nationales

La question sensible d’une nécessaire collaboration entre éditeurs et bibliothèques nationales à l’ère du numérique s’est également posée à d’autres sessions et ateliers traitant du contrôle bibliographique d’Internet et du recensement dans les bibliographies nationales : « Réduire le fossé entre l’édition et les bibliographies nationales » et « Contrôle bibliographique ou chaos : comment traiter les ressources électroniques en ligne dans les bibliographies nationales ? »

Les métadonnées fournies par les producteurs d’information outre-Atlantique et en Europe 1 se développent et pourront être converties en format MARC. Mais, faute d’une normalisation internationale, certaines bibliothèques nationales, comme en Australie, n’utilisent pas les métadonnées des éditeurs, encore peu fiables. Il a paru néanmoins évident que seules la réutilisation et la coopération permettront d’arriver à un contrôle bibliographique d’Internet.

La Bibliothèque du Congrès met déjà en pratique ces principes et engrange régulièrement par programme informatique les données fournies par plusieurs centaines de bibliothèques membres du Programme pour le catalogage en coopération.

Le projet européen TEL, The European Library, est une autre initiative commune. Il s’agit d’un consortium de bibliothèques nationales dont l’objectif principal est la mise en place d’un cadre coopératif, basé sur le consensus avec les éditeurs, et permettant l’accès aux principaux corpus de textes en ligne. Parmi les principes généraux, il est prévu de développer un modèle de métadonnées au niveau européen assurant l’interopérabilité entre les systèmes bibliographiques existants. Les pays participant sont actuellement le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse, le Portugal, la Finlande, l’Italie et la Slovénie.

« La capture du web : expériences des bibliothèques nationales » a porté sur les méthodes de collecte et de sélection. La conservation des pages web dans le futur pose des problèmes techniques qui génèrent des problèmes juridiques, car elle nécessite une intervention directe sur le document (transfert, émulation…) pour en assurer l’accès dans l’avenir. De tels programmes ne peuvent se faire sans l’autorisation des auteurs et des éditeurs ni le soutien législatif des gouvernements.

Les expériences des bibliothèques nationales scandinaves sont avancées grâce à de nouvelles lois sur le dépôt légal et à la réflexion sur les systèmes de conservation et d’accès à ces ressources. L’Australie réalise depuis 1996 une collecte sélective des publications électroniques en ligne et leur archivage (aujourd’hui environ 2 400 « titres »).

Diversité des expériences et des situations locales

La session « Les technologies pour optimiser l’efficacité des bibliothèques » a permis à deux orateurs, l’un japonais, l’autre indien, d’illustrer la diversité des expériences et des situations locales. L’étude japonaise portait sur un nouveau moyen d’accéder aux services des bibliothèques par le téléphone portable équipé de l’accès Internet. Certains systèmes intégrés de bibliothèques, publiques ou universitaires, proposent désormais la consultation du catalogue sur l’écran du portable et développent de nouvelles fonctions comme la réservation de document, l’accès au compte du lecteur ou l’envoi de courrier électronique vers les bibliothécaires.

À l’opposé, l’offre de l’accès Internet aux habitants des campagnes près de Pondichéry semble-t-elle justifiée pour une population démunie du minimum nécessaire pour subsister ? Telle était la question posée par l’intervenant qui a démontré formidablement combien les informations et les services disponibles sur le réseau pouvaient améliorer leur vie quotidienne : la météo pour les pêcheurs, le cours des céréales pour les agriculteurs, les offres d’emploi, les renseignements administratifs, l’enseignement, etc. Les centres d’information, où les femmes en particulier viennent se former, sont implantés dans les villages, parfois à côté du temple bouddhiste, image de tradition et de modernité.

Beaucoup d’autres événements ont rendu ce congrès très riche : visites de bibliothèques à Glasgow et Édimbourg, exposition professionnelle, participation d’écrivains (Anne Fine, auteurs de livres pour enfants), etc. Enfin, pour parler de la vie de l’association et de sa vitalité, cette année 2002 a vu la naissance d’une nouvelle section (Généalogie et histoire locale), suivie en septembre de huit autres (Bibliothèques mobiles, Périodiques, Gestion des associations de bibliothèques, Femmes en bibliothèques, Formation des utilisateurs, Formation professionnelle continue, Histoire des bibliothèques, Revues professionnelles). Quel que soit le domaine des bibliothèques qui nous concerne, la présence au congrès annuel de l’IFLA est une source d’information inestimable pour comprendre l’évolution de notre profession aujourd’hui.

  1. (retour)↑  Par exemple, ONIX est un standard basé sur XML et adopté par les éditeurs en Amérique du nord et du sud, au Royaume-Uni, bientôt en France et en Allemagne http://www.editeur.org/onix Mais Dublin Core reste peut-être la plus connue des structures pour les métadonnées.