Revue de la Bibliothèque nationale de France

Le catalogue

par Yves Desrichard
Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2002, n° 9. - Paris : BnF. – 94 p. ; 30 cm. - ISBN 2-7177-2119-3 – 21,34 €

Pour son numéro 9, l’élégante Revue de la Bibliothèque nationale de France a choisi de traiter le thème central entre tous du catalogue. Ouverte sur une illustration de l’antinomie de Russell, variante du métacatalogue (faut-il inclure dans lui-même un catalogue qui mentionne tous les catalogues qui ne se mentionnent pas eux-mêmes ?), la livraison comporte un ensemble de points de vue des plus érudits, mais suffisamment concis et variés pour ne pas lasser l’attention d’un sujet qu’on croit réservé au spécialiste – ou au praticien.

L’invention d’un trésor

En ouverture, Marcelle Beaudiquez, dont l’autorité sur la question ne saurait être contestée, vient souligner que, longtemps conçu pour le bibliothécaire, le catalogue, devenu immatériel, est désormais essentiellement entre les mains du lecteur. Pour autant, à l’image de celui de la BnF, il reflète aussi l’histoire de l’établissement qu’il a charge de syncrétiser, tout autant que celle des collections qu’il décrit.

C’est ce dernier aspect qu’illustre admirablement le premier article, « Histoire quantitative de l’édition en langue française d’après les collections de la BnF (1460-1969) ». Comme le rappelle joliment Yann Fauchois dans son introduction, à l’origine de l’enquête dont l’article se veut le résumé, il y a « l’invention d’un trésor », la conversion rétrospective des catalogues de la BnF, œuvre monumentale dont on n’a peut-être pas célébré à sa juste valeur l’accomplissement. En analysant ce trésor, les auteurs livrent « une histoire sérielle du livre à vocation multidimensionnelle ». Le propos est parfois ardu, mais passionnant. Au-delà des estimations savantes et des aperçus quantitatifs, c’est en fait toute l’histoire du livre en France qui se révèle et même, au-delà, l’histoire de France, de la Bibliothèque du roi du XVe siècle jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale. Un seul chiffre, mais éloquent : d’une moyenne de 8 acquisitions entre 1477 et 1483, on parvient à près de 16 000 entre 1958 et 1963…

Le deuxième article reprend une citation d’Anatole France : « Je ne sais pas de lecture plus facile, plus attrayante, plus douce que celle d’un catalogue. » On pourra ne pas y souscrire, mais le propos est amoureusement illustré par quelques extraits choisis de la collection de catalogues de la BnF – soit environ 3 000, apprend-on au passage. De toutes tailles et de tous types de classement, entre « ordre et désordre », ces catalogues sont, comme l’indiquent les auteurs, « des objets porteurs de l’histoire des usages du livre et des pratiques de travail », et présentés et défendus avec enthousiasme par leurs gardiens et gardiennes.

Cette part intime du « moi »

Après l’objet, c’est le cœur du catalogue que l’article suivant, « Du nom d’auteur dans les catalogues de bibliothèques », traque. Le nom, cette « part intime du “moi” », s’est imposé lentement comme l’un des éléments privilégiés de recherche dans les catalogues. Laurent Portes montre que cette pratique n’a rien de spontané, et qu’elle obéit en fait à nombre d’habitudes et de présupposés. Le « père de la science bibliographique », Conrad Gesner, auteur du Bibliotheca universalis (1545), le plus ancien ouvrage imprimé du genre, proposait déjà un classement des livres par ordre alphabétique d’auteurs, en apportant sur ceux-ci des indications bibliographiques, des extraits et des remarques, en quelque sorte le premier exemple de fichier d’autorités. Et Laurent Portes souligne combien Gesner, en se souciant avant tout de « la commodité de consultation » pour le lecteur, pourrait servir encore d’exemple à bien des catalogues plus « élaborés ».

Sa dense étude propose des aperçus stimulants sur l’invention de la catégorie des « gens de lettres », sur le dévoilement des auteurs anonymes, pratique presque policière, et sur la « naissance de la “vedette” », désormais battue en brèche par l’informatisation du catalogue, mais aussi de la production littéraire elle-même. Le texte, réécrit ou enrichi, cesse d’appartenir de manière exclusive à son créateur, tandis que « s’estompe quelque peu le nom de l’auteur ».

L’article suivant, consacré au catalogue manuscrit du bibliophile Gaignat, étant à réserver justement aux bibliophiles avertis, « Le géométral de la bibliothèque, ou Comment l’espace détermine la conception du catalogue », retiendra plus volontiers l’attention. À partir de deux exemples fameux, celui de la bibliothèque universitaire de Göttingen et celui de la bibliothèque Warburg, les auteurs montrent comment les catalogues de ces bibliothèques, dans une approche topographico-mentale, s’efforcent de « s’identifier au plus près à l’espace de la collection », qui donne son sens et sa justification à l’existence même du catalogue.

Un clin d’œil très borgesien

« Catalogue alphabétique à Londres et catalogues systématiques à Paris » développe et approfondit un thème largement esquissé dans l’article de Laurent Portes, à savoir les profondes différences culturelles dans les pratiques bibliothéconomiques françaises et anglo-saxonnes. On ne saurait mieux le résumer qu’en reprenant à son compte une citation de Prosper Mérimée qui date de… 1858 : « D’un côté, une aspiration vers la perfection, qui ne tient compte ni du temps ni des difficultés ; de l’autre, un esprit pratique qui saisit avec empressement les moyens les plus prompts d’arriver à un résultat utile. » Et la contribution dissèque, en prenant l’exemple de l’élaboration des catalogues des deux bibliothèques nationales, le British Museum d’une part, la Bibliothèque nationale de l’autre, ce que cette assertion a de bien fondé. Est-il besoin de souligner qu’elle semble – encore, sinon toujours – d’actualité ?

Après deux autres contributions sur les catalogues illustrés d’une part, le catalogage des documents audiovisuels de l’autre, Catherine Lupovici vient tout à la fois refermer et ouvrir cette saga avec sa pertinence coutumière. Refermer, car l’ère des catalogues objets est désormais terminée, dispositifs de fascination ou de répulsion, cauchemar du lecteur ou fierté du bibliothécaire. Ouvrir puisque désormais, dans un clin d’œil très borgesien, c’est le monde qui semble devenu un immense catalogue de lui-même. L’on n’arrête plus de décrire, d’autodécrire, d’ordonner, de raisonner, l’incroyable profusion d’informations qu’il n’est plus temps de songer à canaliser, encore moins à maîtriser dans son entièreté. Le catalogue, c’est sûr, a de beaux avenirs devant lui.