Service commun de la documentation et université
Développer des partenariats
Catherine Muller
Quelles sont aujourd’hui les relations des services communs de la documentation (SCD) avec l’université ? Depuis la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur redéfinissant les missions de l’université, le SCD est-il réellement le maître d’œuvre de la documentation ainsi que le préconise le législateur ? Avec l’accroissement que connaît la documentation électronique dans les abonnements des bibliothèques universitaires (BU) et l’investissement financier lourd qu’elle suppose, est-ce le SCD et/ou l’université qui décident et financent la politique documentaire de l’enseignement supérieur ?
Autant de questions sur la notion de partenariat réel ou souhaitable entre le SCD et l’université qui furent abordées par les professionnels de la documentation, réunis à Nice du 13 au 15 novembre 2001. Ce stage, organisé par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), était placé sous la responsabilité de Louis Klee, directeur du SCD de l’université de Nice-Sophia Antipolis.
L’intérêt des débats a résidé dans la diversité de ses approches : législateur, médiateur, président d’université, directeurs de SCD, militants de la documentation électronique ou des réseaux d’édition parallèles, responsables de la formation des usagers, chaque voix apportait son éclairage sur la situation actuelle.
L’intégration du SCD dans l’université
Jean-Luc Gautier-Gentès, inspecteur général des bibliothèques, fit le point sur la place du SCD dans l’université ; il rappela que les grands principes fondateurs du SCD sont posés par le décret de 1985, en faveur d’une plus grande participation à la politique documentaire de l’université. Placé sous l’autorité du président de l’université, il en devient de ce fait plus proche. Pour autant, si cette proximité permet de mieux articuler les missions de la bibliothèque avec celles de l’enseignement supérieur, la greffe ne s’est pas effectuée partout avec le même succès.
L’équilibrage des compétences est précaire, entre ceux qui évaluent et orientent la politique documentaire en commissions d’acquisitions et ceux qui décident en conseil scientifique et administratif, sans compter les unités de formation et de recherche (UFR) ou laboratoires qui brandissent la notoriété de leurs chercheurs pour jouer la carte des autonomies. Partenariat de haute lutte donc, quand les uns souffrent du manque de participation des universitaires et que les autres doutent de la spécificité de la filière. Il reste pourtant incontestable que le SCD s’est replacé au centre du dispositif documentaire depuis l’introduction de la documentation électronique à l’université au début des années 1990.
Jean-Luc Gautier-Gentès conclut de ce bilan que la loi de 1985 a démontré son efficacité et n’est pas en cause dans les difficultés d’intégration de certains SCD. Seul le rapprochement des sections de bibliothèques avec les unités de formation et de recherche (UFR) déjouera les affrontements résiduels de territoires. À l’avenir, il encourage les bibliothécaires à asseoir leur crédibilité sur la bonne connaissance qu’ils ont des besoins universitaires et sur leurs aptitudes à garantir l’intérêt général de l’université.
La bibliothèque électronique, clef de voûte du partenariat
Depuis une décennie, avec le rôle croissant des nouvelles technologies dans l’accès au savoir, les SCD ont multiplié initiatives et partenariats pour conquérir la documentation électronique. C’est à eux que revient le mérite d’en avoir diffusé et balisé l’usage au sein de l’université.
Un bel exemple d’implication réciproque entre les deux institutions est illustré par l’ampleur qu’a prise, au cours de ces dix dernières années, la documentation électronique à l’université de Nice-Sophia Antipolis. Le responsable du service, Michel Roland, retraça les étapes du partenariat qui a permis au SCD d’y introduire le média électronique à la fin des années 1990. Le dispositif, qui obtint immédiatement le soutien de la présidente, repose sur une entente préalable entre responsables des enseignements et professionnels de la documentation, sur les moyens de financer le coût élevé des ressources électroniques d’une part, et sur la possibilité ensuite de confronter dans des commissions annuelles les besoins documentaires aux lois du marché. Depuis 2000, le consortium Couperin (Consortium Universitaire des PÉRiodiques Numériques) offre la possibilité au SCD de cofinancer ses achats avec d’autres instituts documentaires et confirme les bienfaits du partenariat. L’enjeu de ce regroupement d’achat est d’obtenir – moyennant certaines conditions 1 – des remises auprès des éditeurs. Car paradoxalement ce sont eux qui détiennent le monopole de la production scientifique universitaire. Fort de son adhésion au consortium, le SCD peut alors proposer à l’université un catalogue de référence, susceptible de couvrir l’ensemble des besoins universitaires. À terme, l’objectif du partenariat est de permettre le transfert progressif des abonnements des laboratoires vers la BU moyennant une participation financière équitable de l’ensemble des participants 2. Seule réserve à l’efficacité de ce dispositif : il est impératif que l’ensemble des acteurs joue le jeu.
À son tour, Iris Reibel, directrice du SCD de l’université de Strasbourg 1, expliqua avec ferveur comment est né Couperin, le premier consortium français en documentation, à l’initiative des SCD des universités de Strasbourg 1, de Nancy 1, d’Angers et d’Aix-Marseille 1 en 1999. Elle observe qu’il faut que les SCD se regroupent, à l’instar de leurs homologues d’Europe du Nord, pour négocier avec les éditeurs des conditions financières d’abonnement plus favorables. L’objectif de cette mutualisation est double : améliorer et élargir l’offre documentaire de la BU, mais encore assurer le même accès de documentation à toute l’université. Dans ce but, le SCD doit retrouver le double contrôle des abonnements et des financements, et mettre fin à la dualité entre lui-même et l’unité de recherche. Juridiquement, il adhère au nom de son université. Économiquement, le consortium prend de plus en plus de poids auprès des éditeurs : il regroupe aujourd’hui 72 membres, dont plusieurs écoles nationales supérieures. Pour coordonner les moyens de la recherche publique à l’échelle nationale, ce dynamisme bénéficiera en 2002 de nouvelles négociations menées avec les grands organismes de recherche, tels le CNRS, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). À condition, toujours, de s’entendre sur les modalités du partenariat et la répartition des missions respectives.
Autre illustration de bibliothèque électronique qui renforce la cohésion entre les volets recherche et pédagogie des missions universitaires, le projet de campus numérique, Canege, imaginé par six universités 3, en partenariat avec leur SCD et le Centre national d’enseignement à distance (Cned ). L’idée est de mettre en ligne un cursus de formation à distance en économie-gestion et d’assurer aux étudiants distants un service de documentation adapté. Outre les cours en ligne, l’étudiant aura à sa disposition des bases de données, des revues électroniques et même des manuels numérisés sur le modèle des universités américaines. Ce projet, conçu en partenariat avec la cellule NTICE (Nouvelles technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) des universités, obtient une subvention de 2 MF du ministère de tutelle.
Témoin encore des initiatives suscitées par la bibliothèque électronique, le projet de thèses en ligne mis en œuvre par le centre de documentation de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) afin de valoriser la production scientifique. Une fois le financement de numérisation obtenu par le directeur, le centre de documentation a réalisé le projet en coordonnant à partir de 1997 des actions partenariales internes et externes avec les éditeurs et les autres établissements de recherche de la région.
Les difficultés du partenariat
Les convergences d’intérêts entre les partenaires ne vont pas sans divergences susceptibles d’entraver la bonne marche du succès. C’est ce que nous rappela fort à propos le point de vue du médiateur André Chauvet, consultant auprès d’organismes publics dans l’accompagnement au changement. Depuis une décennie, la fonction publique est elle aussi visée par l’obligation de résultats, la légitimité du service public se mesurant aujourd’hui à l’aune de son efficacité pour l’usager. Plus question pour le SCD de se réfugier derrière un quelconque savoir pour justifier sa place dans l’université. Mais accepter de travailler en partenariat sur le modèle du privé risque aussi d’altérer l’identité de l’institution et celle de son personnel. C’est pourquoi, dans un partenariat, seule la connaissance des règles du jeu permet aux participants de déjouer les risques d’inertie et les jeux de pouvoir stériles : la seule logique à adopter demeure avant tout la production de services, et non l’obtention de la reconnaissance de son partenaire, dont l’attente ne peut que compromettre les bases de l’entente mutuelle.
Ces difficultés du partenariat sont bien connues des SCD créés ex nihilo dans les années 1990 dans un contexte universitaire hostile. Catherine Burger, directrice du SCD de l’université de Strasbourg 2, rapporte les nombreux obstacles qu’elle a rencontrés pour conduire le projet de création de la bibliothèque. Ce projet émerge en 1992, à la demande de l’État soucieux de restructurer le paysage documentaire éclaté de la ville dans le cadre de U3M (Universités du 3e millénaire). La Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS) ne répond plus aux besoins des trois universités, et les bibliothèques spécialisées, disséminées dans la ville, ne constituent pas de réseau documentaire cohérent. Pour autant, les UFR ont le monopole de la documentation et accueillent avec hostilité l’idée d’un partenariat avec le SCD. Au terme de nombreuses tractations avec les trois universités et la BNUS, qui s’accompagne d’un gigantesque travail de réorganisation de l’offre documentaire, la mise en commun du catalogue collectif a finalement raison des conflits d’intérêts.
Autre exemple d’homogénéisation difficile de la documentation, la création du SCD de l’université de Toulouse 3 en 1997, dont Pierre Chourreu, actuel directeur, se fit l’écho. Il s’agit là aussi de mettre en place un partenariat avec les bibliothèques d’UFR et des nombreux laboratoires du campus dans l’objectif de définir une politique documentaire commune. L’évaluation de la couverture documentaire se fait en collaboration avec les chercheurs et la création de comités des bibliothèques associées œuvre aux convergences des intérêts. Mais ce sont surtout la participation financière du SCD à l’informatisation d’un catalogue partagé et le financement de la documentation électronique par l’université qui sont les arguments principaux du SCD pour désamorcer le clivage entre universitaires et bibliothécaires.
Rôle et missions du SCD
Pour clore les débats sur les perspectives qui s’ouvrent aux SCD sous cet angle dynamique du partenariat, deux interventions ont montré comment la conquête ou la reconquête par le SCD de savoir-faire jusque-là peu exploités, comme l’édition et la formation, lui permet de se repositionner au sein de l’université.
En se chargeant lui-même de l’édition de la production scientifique de son université, le SCD court-circuite les pressions économiques des éditeurs sur le marché de la documentation électronique et met en péril l’équilibre des monopoles. À terme, ainsi que le montre bien l’initiative des bibliothèques universitaires et de recherche américaines avec la coalition Sparc (Scholarly Publishing & Academic Resources Coalition) 4, l’objectif des bibliothèques est de reconquérir l’édition universitaire et de promouvoir un autre modèle d’accès à l’information. Il s’agit de convaincre les universitaires d’éditer eux-mêmes leurs travaux sous forme électronique et de permettre ainsi à l’université de créer ses propres revues scientifiques. Concrètement, ce sont déjà plusieurs titres clefs de l’édition scientifique qui sont publiés en marge des circuits éditoriaux classiques à un coût défiant toute concurrence 5, comme par exemple Organic Letters, titre alternatif du JOC (Journal of Organic Chemistry).
Autre initiative menée par le SCD de l’université de Paris 3, la formation des usagers qui mobilise à la fois les compétences des enseignants et des bibliothécaires. Proposée en 1997, dans le cadre de la réforme du diplôme d’études universitaires générales (Deug), par le SCD aux UFR qui sont partie prenante, cette initiation à la recherche documentaire est soutenue par la présidence et le conseil d’administration. Elle s’adresse aussi bien aux 1er, 2e et 3e cycles, qu’aux enseignants qui souhaiteraient se familiariser avec les outils de travail du bibliothécaire. Ces formations aux outils documentaires sont intégrées aux cursus des Deug et sont assurées à la fois par l’enseignant pour l’aspect pédagogique et par le bibliothécaire pour la maîtrise des outils.
C’est l’approche originale de la présidente de l’université de Nice-Sophia Antipolis, Geneviève Gourdet, qui conclut le stage. Elle souligna tout d’abord que le terme de partenariat est inapproprié pour rendre compte de la nature exacte du lien qui existe entre ces deux établissements d’enseignement supérieur. La convergence de leurs missions et l’intégration du SCD dans l’université rendent impératives des avancées solidaires sur le terrain musclé de la documentation électronique. Enfin, elle observe que les découpages disciplinaires du SCD, calqués sur la territorialisation de l’université, entretiennent des rivalités et complexifient inutilement la défense des intérêts communs de l’ensemble de l’université.