Quelle formation pour les responsables de fonds de documents sonores ?

Élizabeth Giuliani

Chaque année, l’Afas (Association française des détenteurs de documents audiovisuels et sonores) propose, en complément de son assemblée générale, une réunion thématique. C’est dans la salle Varèse du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon que s’est déroulée la rencontre 2001 (5 octobre), dont le thème était la formation : bilan, besoins, méthodes, outils, à la disposition des responsables de fonds de documents sonores.

Des représentants des structures spécialisées dans la formation documentaire générale destinée à des professionnels, d’organismes associatifs travaillant sur le terrain de la culture musicale ou de l’étude du patrimoine oral, de spécialistes de la documentation audiovisuelle intervenant comme formateurs, etc., y échangèrent leurs expériences et présentèrent leurs offres de formation.

L’expression des besoins

Les besoins des gestionnaires de fonds d’archives sonores inédites ont d’abord été exprimés par Véronique Ginouvès, de la phonothèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme (Aix-en-Provence). Dans les années 1980, les demandes portaient, pour l’essentiel, sur le traitement documentaire : normes, formats et outils logiciels. Depuis cinq ans, elles évoluent très nettement. Les besoins cruciaux exprimés aujourd’hui concernent les aspects technologiques et les questions juridiques liés à la numérisation des archives sonores. Les questions techniques se partagent entre les règles de conservation (production initiale et recopie régulière) et les principes déontologiques (définition et respect de critères de qualité). Au-delà de leur numérisation, leur mise sur Internet pose des problèmes nouveaux d’indexation et de contextualisation des archives sonores collectées : modalités d’échantillonnage, niveaux de segmentation et de traitement des items. S’agit-il d’une mise à disposition des enquêtes dans leur intégralité/intégrité initiale ou fait-on place à une activité de type éditorial ?

Christian Massault, porte-parole de l’association de VDL (Vidéothécaires, discothécaires de la région lyonnaise) – qui compte 70 adhérents issus de 30 établissements –, témoigna, quant à lui, de la grande stabilité des besoins de formations exprimés par les discothécaires et bibliothécaires musicaux depuis 20 ans, besoins qui portent avant tout sur le traitement documentaire et la connaissance des genres musicaux. Les questions techniques ainsi que les aspects de diffusion et de valorisation sont marginaux. Les demandes liées aux techniques bibliographiques émanent avant tout des autorités de tutelle soucieuses que leurs administrés soient au fait de la normalisation et des conditions de l’échange de données bibliographiques.

Les besoins d’acquisition de connaissances sur les contenus musicaux sont, eux, plutôt exprimés par les discothécaires qui doivent acquérir et faire vivre des fonds encyclopédiques et qui recherchent des compléments « ciblés » à leur savoir de base. C’est dire qu’ils présentent une très grande variété de demandes qui, chacune, concernent des auditoires trop restreints pour le niveau régional – celui de l’offre de formation professionnelle aux agents des collectivités locales – et qui devraient être satisfaites par des stages « interrégionaux ».

L’offre de formation

Quelle est l’offre des organes généralistes de formation des professionnels de la documentation ? Quelle est la place accordée aux documents sonores, et d’une manière plus générale, quelle est la place du son dans la culture audiovisuelle ? Trois circuits de formation initiale et continue furent présentés : l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), les Archives de France et les bibliothèques publiques territoriales.

L’Enssib

L’Enssib, d’une part, forme les conservateurs et les bibliothécaires de l’État et des collectivités territoriales ; elle propose d’autre part un service de formation continue. La formation des conservateurs et celle des bibliothécaires, présentées par Marie-Noëlle Icardo, sont généralistes, car elles préparent à un métier polyvalent. La question est donc de savoir quel minimum donner à ces futurs professionnels en matière de son et d’audiovisuel dans une formation où il faut parler de tout. Les documents sonores et audiovisuels sont évoqués plutôt en option, en prévision du poste d’affectation.

Pratiquement, à l’heure actuelle, on ne les aborde que durant la semaine de stage à la Bibliothèque nationale de France, stage qui insiste sur le côté audiovisuel. La place des documents sonores et audiovisuels dans la formation des bibliothécaires est aussi très minime : pour les bibliothécaires d’État, elle s’est limitée à une visite de la médiathèque du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon ; pour les bibliothécaires territoriaux, au cours des 3 semaines d’enseignements fondamentaux, il a été question des documents audiovisuels dans leurs aspects juridiques et économiques, et un enseignement en option a traité des discothèques et de leurs collections.

La formation continue, présentée par Marianne Follet, a rejoint à l’Enssib le département des Études, pour une meilleure articulation entre formation initiale et formation continue. Elle organise 70 stages par an sur toute la France, avec des thématiques variées : le management, les publics, l’informatique… Toutefois, il y a peu de formations aux documents sonores et encore moins à l’audiovisuel. Pour être exact, les formations musicales précédèrent la fusion entre l’Institut de formation des bibliothécaires (IFB) et l’Enssib. En 2002, un stage sur les discothèques est toutefois programmé.

Les Archives de France

Les Archives de France proposent également plusieurs circuits de formations initiales (l’École des chartes et l’École du patrimoine) et continues. Joël Poivre, en les présentant, reconnut lui aussi le faible accent mis sur les documents autres que textuels. La place de l’audiovisuel est mince dans la formation initiale des archivistes, le but étant de donner une culture générale, d’où l’importance de la formation continue pour les documents « particuliers ». Pour les autres personnels en charge de fonds d’archives, des formations universitaires ont été mises en place dont certaines englobent les documents audiovisuels et sonores, ainsi à Toulouse avec l’option « Images et archives ».

La formation continue se fait sous la forme d’un programme de stages. Un stage est ainsi consacré aux documents audiovisuels : « Traitement des archives audiovisuelles et sonores », qui prend en compte les problématiques ouvertes par la numérisation. Le plan de numérisation du ministère de la Culture et de la Communication a étendu les crédits aux documents sonores. Il en résulte des besoins de formation de la part des porteurs de projets de numérisation de ces documents. Un stage va être testé avec des membres de l’Institut de recherche et de coordination acoustique-musique (Ircam) comme formateurs.

Les bibliothèques publiques territoriales

Pour les bibliothèques publiques territoriales, existent des centres de formation régionaux, intégrés à l’Université depuis 1988. Christian Massault, en tant, cette fois, que responsable du programme de formation « Discothèques et bibliothèques musicales » de Médiat, insista à son tour sur la faible part accordée aux documents sonores et musicaux (sur les 21 centres de formation régionaux, seuls 3 proposent une formation musicale : Clermont-Ferrand, Toulouse et Grenoble) dans un dispositif lui-même très fragile : si la formation continue est prise en compte, il n’y a en revanche aucun cahier des charges en ce qui concerne la formation initiale.

Il y a, de plus, une difficulté d’articulation entre la formation initiale et l’accession à l’emploi qui se passe par concours et qui implique une formation post-recrutement. Ce fonctionnement pose la question de la validation de la formation initiale. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) conventionne les stages en fonction de la logique de formation propre à chaque région. Il peut donc y avoir des écarts considérables de politique de formation dans l’espace – d’une région à une autre – et dans le temps, les changements de politique régionale en matière de formation pouvant avoir des effets désastreux. Les initiatives locales de certaines institutions sont donc plus importantes que le cadre réglementaire.

Les formations ciblées

L’examen de formations « ciblées », très diverses quant aux publics visés, montre des moyens empiriques de combler ces lacunes générales.

Emmanuel Pije (de l’Inathèque de France) présenta la formation aux « documents sonores » dispensée par l’Institut national des techniques de documentation (INTD) associé à l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et à la Documentation française.

Cette formation s’adresse avant tout aux documentalistes « recherchistes » auprès des chaînes de télévision et de radio ; elle dispense une licence professionnelle, diplôme reconnu dans le circuit de la documentation radio et télévision, principalement à l’Ina. L’enseignement, très orienté sur les médias (radio, télévision, presse), recouvre l’audiovisuel en général : images animées, images fixes et documents sonores. Dans ce contexte, les documents sonores tiennent une place minoritaire par rapport à l’image. Toutefois a été récemment mis en place, dans les cours sur le traitement documentaire, un atelier d’écoute « objective » du son fondée sur une grille de critères quantifiés et prédéfinis par des ingénieurs du son. Il s’agit bien d’une formation professionnelle ciblée, voire construite sur mesure pour les besoins des services de documentation de l’Ina et des chaînes de radio et de télévision. Par ailleurs, le département Ina-Formation met à son catalogue de formation continue des stages sur les techniques documentaires appliquées à l’image et au son.

Depuis 1990 et la disparition du Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) et de son option Musique créée en 1974, et pour pallier le manque de ressources pédagogiques sur le contenu musical offertes aux acteurs et usagers de la lecture publique, l’association Opéra (présentée par Sylviane Lange) organise des stages de culture musicale. Ces stages sont thématiques (ils abordent la variété des genres musicaux et la diversité des relations de la musique avec les arts, les pratiques sociales, etc.) et articulent connaissances théoriques (histoire de la musique, recherche bibliographique…) avec l’expérience du spectacle vivant. Chaque thème est en effet traité dans le cadre d’une manifestation musicale qui s’y rapporte : l’opéra à Aix-en-Provence, la chanson à Montauban, le jazz à Antibes, etc. Autre spécificité : ils s’adressent (par convention passée avec le CNFPT) aux professionnels de la documentation musicale, mais sont ouverts également aux particuliers et amateurs. En complément, l’association élabore des stages techniques spécialisés, répondant à la demande des organismes de formation.

Véronique Ginouvès présenta, enfin, l’activité de formation effectuée dans le réseau de la FAMDT (Fédération des associations de musiques et danses traditionnelles). Celui-ci reçoit des sollicitations nombreuses et variées, car portant sur tout le processus de la chaîne documentaire, depuis la collecte jusqu’à la valorisation des archives sonores inédites. Pour y répondre a été mise en place une collection d’actions, alliant conférences et stages pratiques, assurées par différents partenaires de la FAMDT, en fonction de leurs compétences respectives. Ces stages s’adressent en priorité aux membres des associations du réseau, mais sont également ouverts à d’autres. Le choix se fait sur dossier, au vu des motivations et selon les projets professionnels concrets présentés.

Points de discussion

En contrepoint de ces présentations, les débats dégagèrent quelques points de discussions majeurs :

– l’évolution de la mission des archives sonores qui, de plus en plus, aborde la diffusion et la publication. Une adaptation des compétences de leurs responsables est nécessaire et un besoin de formation se développe aussi qui concerne la capacité d’écrire au moyen d’autres médias que le texte ;

– les lacunes de la formation initiale généraliste et le niveau très inégal du cursus musical des professionnels en poste dans les discothèques et les bibliothèques musicales. De plus, aux déficiences de ce bagage musical très variable, s’ajoute l’absence générale de toute maîtrise de la recherche bibliographique. Plus grave, sur ce point de la méthodologie bibliographique, le besoin général dans tous les circuits de l’enseignement supérieur, alors que les demandes sont, elles, inexistantes, qu’il s’agisse de bibliographie musicale ou appliquée à d’autres domaines du savoir ;

– le problème du recrutement et du renouvellement des formateurs. En effet, certains, de par leur statut, sont empêchés d’exercer une activité de formation régulière et continue. Or, il est important pour la qualité et l’adéquation de la formation, qu’elle soit dispensée par des professionnels en prise directe avec l’activité qu’ils enseignent. Il faut donc faire évoluer la réglementation afin de permettre l’exercice partagé d’une activité pédagogique et d’une responsabilité professionnelle.

En réponse à ces problèmes, l’Afas décide de poursuivre son action, associée au groupe français de l’Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux (AIBM) et à l’Association pour la coopération de l’interprofession musicale (Acim) par :

– l’établissement d’un cahier des charges précisant les éléments minimums relatifs aux documents sonores et/ou musicaux, à inscrire dans les circuits généraux de la formation professionnelle initiale ;

– la diffusion de l’information entre les demandeurs et les pourvoyeurs de formation, en matière de documents sonores et/ou musicaux et la mise en relation des différents partenaires (institutionnels, associatifs) ;

– la reconnaissance du statut des formateurs et celle de la valeur des formations.