La langue à l'oeuvre

le temps des écrivains à l'université

par Marie-Odile André
ouvrage conçu et coordonné par Patrick Souchon. - Paris : Presses du réel ; Maison des écrivains, 2000. – 284 p. ; 24 cm. – (Art & université). - ISBN 2-84066-049-0 : 14,48 euros

Rendant compte des actions menées depuis 1997 dans le cadre de l’opération Le temps des écrivains à l’université et dans les grandes écoles par la Maison des écrivains, en liaison avec le ministère de l’Éducation nationale et avec l’appui de divers partenaires, cet ouvrage peut se lire de différentes façons.

Interventions croisées

On notera d’abord qu’il effectue ce qu’il prône – le dialogue, le décloisonnement, la pluridisciplinarité – puisqu’il se présente sous la forme d’interventions croisées d’écrivains et d’universitaires, mais aussi de bibliothécaires ou de responsables culturels. On pourra regretter seulement la part trop limitée laissée aux étudiants (un seul texte).

Il constitue également un précieux répertoire d’expériences et de propositions du fait de la diversité des actions évoquées : diversité des institutions (facultés de lettres et sciences humaines, mais aussi de sciences, École nationale des sciences de l’information et des bibliothèques, écoles d’architecture, institut universitaire de formation des maîtres, instituts universitaires de technologie...), des partenaires (bibliothécaires, libraires, plasticiens, acteurs...), des modalités (lectures de textes ou ateliers d’écriture, ouverture ou non au public extérieur, intégration ou non au cursus universitaire), des durées (invitations ponctuelles, mais aussi principe de la résidence d’écrivain) ou des lieux (dans ou hors les murs). Les multiples formes adoptées témoignent d’une volonté de souplesse et d’un souci d’adaptation au terrain lui-même, lié à un constat qui s’impose à la lecture de l’ouvrage : Le temps des écrivains a souvent servi de relais – précieux sans nul doute pour les enseignants – à des actions antérieurement existantes et à des expériences nouvelles où volontariat et bénévolat sont largement de mise.

Un ouvrage militant

C’est pourquoi l’ouvrage est aussi militant. Face aux réticences institutionnelles qui demeurent, il défend la pertinence même d’une action culturelle à l’université et sa nécessité face à des publics étudiants nouveaux pour qui pratique culturelle et lecture ne vont pas toujours de soi, pour qui un travail personnel sur la langue peut s’avérer utile, y compris chez les scientifiques, afin qu’elle devienne un véritable instrument de pensée et d’enrichissement personnel. Il propose que l’université, plutôt que de se cantonner à l’étude des écrivains morts et de quelques très rares écrivains vivants déjà canonisés, s’ouvre à la littérature immédiatement contemporaine, pour l’étudier, mais aussi pour la défendre et la promouvoir. Il souligne enfin l’apport que constitue pour les enseignants eux-mêmes et pour les étudiants l’intervention de ce tiers qu’est l’écrivain : parce qu’il est, par son statut même, salutairement dérangeant ; parce que sa présence physique rend possible une non moins salutaire désacralisation ; parce que le texte lu ou dit trouve ou retrouve force et sens pour l’auditoire ; parce que, dans les ateliers d’écriture, les étudiants pénètrent dans le laboratoire où se fabrique le texte et approchent ainsi le travail de l’écrivain et l’écrivain au travail.

L’ouvrage propose encore un bilan critique qui met en évidence les questions ou difficultés rencontrées par les participants. On y affirme, en particulier, la nécessité de ne pas confondre les rôles de l’écrivain et du professeur (y compris lorsqu’un même intervenant est les deux à la fois) afin que le dialogue reste possible et fructueux. On y réfléchit à ce que doit être l’apport de l’université : loin de faire concurrence aux institutions culturelles existantes, elle doit trouver sa place par une réflexion sur ce qu’elle peut apporter de spécifique. Certains intervenants s’interrogent aussi sur les limites des actions menées : nombre inévitablement réduit d’étudiants touchés ; risque aussi que ces actions servent d’alibi permettant de faire l’économie de transformations plus fondamentales (des programmes, des modalités d’enseignement de la littérature). D’autres rappellent la nécessité d’une démarche et d’une réflexion rigoureuses qui ne cèdent ni à certains effets de mode ni aux sirènes d’un subjectivisme généralisé.

Un symptôme

L’existence même de l’ouvrage peut enfin être lue comme un symptôme. Celui de la crise du littéraire dans la mesure où le livre pose implicitement la question de ce que vaut la littérature, du sens et du rôle qui sont les siens, de la place qu’elle occupe dans les sociétés contemporaines et dans les cursus scolaires et universitaires. Celui d’une transformation en profondeur des préoccupations et des approches : quelque trente ans après que l’on a proclamé la mort de l’auteur, celui-ci semble plus vivant que jamais : c’est à lui que s’adosse le sens d’une pratique de l’écriture comme engagement du sujet, c’est sa présence physique qui donne voix et corps aux textes, c’est lui qui apparaît comme le support privilégié d’une communication intime avec le lecteur. Mais, symptôme de la crise du littéraire, la démarche prônée par l’ouvrage est peut-être aussi symptôme de la sortie de cette crise puisqu’il fait le pari que les écrivains vivants puissent faire vivre la littérature et que celle-ci, pour retrouver place et valeur, puisse réaffirmer tout à la fois sa spécificité irréductible en tant qu’expérience personnelle et le rôle social irremplaçable que lui confère cette spécificité même.