Lectures, n° 117 à 122

par Pierre-Jacques Lamblin
publication du Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique. - ISSN 0251-7388 - Abt annuel (6 numéros) : 29,75 euros / Étranger : 34,71 euros - Au n° : 4,96 euros/ Étranger : 6,20 euros

J’ai déjà dit dans ces colonnes tout ce qui fait l’originalité et la qualité de Lectures, et qui attire la sympathie 1. Rappelons que cette revue est une publication bimestrielle du Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique (CLPCF), association à laquelle est confiée la mission de service public de prestataire de services pour les bibliothèques publiques des provinces francophones de ce royaume constitutionnel, fédéral et trilingue.

Chaque numéro, ou presque, consacre un dossier à une question qui fait l’actualité du monde des bibliothèques : Internet ou le livre ? Internet et le livre 2, Le documentaire de jeunesse 3, Brabant wallon : un fonds local et régional 4, et Écoliers, élèves, étudiants : vive la rentrée… en bibliothèque 5. Ce sont donc là des sujets qui, en dehors des variantes dues aux contextes locaux, ne diffèrent en rien des sujets de préoccupation des bibliothécaires français.

Militant, dynamique et volontiers prescripteur

Le titre du dernier des dossiers mentionnés ci-dessus l’illustre assez bien, le ton général de la revue est militant « lecture publique », dynamique et volontiers prescripteur. Ce qui n’est pas un mal en nos temps d’incertitude universelle, et qui se conçoit encore mieux dans le contexte belge où le néolibéralisme que l’on devine redouté par les concepteurs de la revue est d’autant plus menaçant que le pays n’est pas grand, et où les pratiquants du français se sentent cernés.

Ce qui étonne cependant quand on sait la complexité des problèmes linguistiques, donc culturels et politiques, de la Belgique, c’est l’absence de la politique dans Lectures. On ne regrette évidemment pas de n’y pas retrouver les querelles de politique politicienne entre libéraux, sociochrétiens et socialistes dont les sous-développements linguistiques sont d’un byzantinisme absolu vus de l’étranger, et où Lectures n’a évidemment pas à intervenir, mais l’absence de la simple mention de ces grandes oppositions culturelles et linguistiques de société dont la Belgique est le théâtre. On les y voit seulement de-ci de-là, de très brève et assez neutre façon, à l’occasion du compte rendu d’une publication 6. Il s’agit là sans doute d’une position délibérée et respectable, quand on observe que l’intention principale des concepteurs de Lectures est avant tout d’en faire un outil bibliographique utile au plus grand nombre.

Une autre spécificité de Lectures est son ton de simplicité amicale, qui s’abstient délibérément du style « intello-chic », au risque d’un réalisme qui n’a rien d’une pensée prosaïque mais qui relève du bon sens de l’économie du bibliothécaire qui baisse le chauffage et éteint la lumière en sortant, et qui sait bien qu’Internet coûte cher à l’usage et n’est pas la panacée culturelle. On est donc aussi loin de la glose des sectateurs des « grands travaux » culturels, prestigieux – et surtout d’un coût exorbitant – à la française, que du jargon des idolâtres des « NTIC » (nouvelles technologies de l’information et de la communication).

Il est probable que chaque bibliothécaire belge francophone connaît presque tous les autres, dès lors qu’ils se rencontrent dans les manifestations de l’APBD (Association professionnelle des bibliothécaires et documentalistes 7), participent aux formations du CLPCF, dont le numéro 118 donne l’impressionnant programme, ou écrivent dans Lectures. C’est ce qui explique son aspect bulletin d’amicale ou d’association et le nombre étonnant d’articles courts de chaque numéro : 1 dossier, 20 rubriques et 32 articles, par exemple, dans le n° 122.

Enfants et adolescents

Il y en a donc pour tout le monde, au risque sans doute d’une légère dispersion et d’une certaine insatisfaction à la lecture d’articles que l’on aurait voulus plus approfondis. Cette idée me vient en lisant le dossier Le documentaire de jeunesse du n° 120. J’aurais bien aimé y trouver une analyse plus fouillée de ce type de production et voir y apparaître davantage la problématique de l’écriture du documentaire pour un public enfant et adolescent. En quoi un bon livre documentaire pour la jeunesse est-il différent d’un ouvrage sur le même sujet destiné à un public adulte ? La détermination d’un « public cible » différent est-elle aussi souvent justifiée qu’on le croit et le voit ? Il reste que ce dossier est un outil, et un outil d’une utilité évidente pour des bibliothécaires submergés par une production redondante et surabondante.

Lectures donne une place énorme aux livres pour enfants et adolescents. Chaque numéro contient rituellement une rubrique Les enfants d’abord ! suivie d’une autre rubrique Et les ados aussi, dont la fonction d’analyse critique et de bibliographie sélective doit être certainement très appréciée de leurs lecteurs. On retrouve la production pour la jeunesse dans la bibliographie courante Recensions qui termine chaque numéro, où chaque notice commentée est suivie de la catégorie d’âge, puis de chiffres romains I à III qui signifient respectivement : « I à lire seul, II à lire avec un adulte et III convient pour une animation ». On n’est pas plus serviable, au risque d’une directivité que d’aucuns estimeraient sans doute désuète, mais qui fait, à tout prendre, moins de dégâts que la pédagogie non directive.

L’Internet et le multimédia sont aussi très présents dans les colonnes de Lectures (nos 119, 121, 122) avec, cette fois encore, la préoccupation première de réaliser des outils qui donnent des références de lieux, de sites, de documents. Bref, on y est utile et c’est bien réconfortant pour le bibliothécaire. Chaque évocation de l’Internet et de ses développements est l’occasion de rappeler la préoccupation du libre accès à l’information. En 2000, 156 « entités bibliothéconomiques » de la communauté francophone Wallonie-Bruxelles étaient connectées au prestataire de services Belgacom I-line pour un coût de 15 000 F belges par an 8, ce qui est une magnifique entreprise qui traduit le projet humaniste et européen de nos collègues et amis belges francophones dans leur entreprise de mise des nouvelles technologies à la portée du plus grand nombre.

En matière de réalisation d’une communauté européenne des citoyens, nous ferions d’ailleurs bien de nous inspirer du modèle belge de diffusion de l’information pour tout ce qui concerne l’Europe. Ma situation géographique frontalière me permettant de regarder de temps à autre les émissions de la RTBF (Radio Télévision belge de la Communauté française), je constate que les arcanes de la monnaie européenne, pour ne prendre que cet exemple, y sont bien plus et bien mieux expliqués que sur nos chaînes nationales. Il est vrai que le rôle de Bruxelles dans la construction européenne n’est plus à démontrer, tout se passant comme si la conviction fédéraliste européenne des Belges était en proportion inverse de la jeunesse et de la fragilité de leur pays.

De grands hommes

La Wallonie a ses grands hommes, qui sont par conséquent aussi les nôtres. Citons Otlet et Lafontaine 9, célébrons Hergé et son inoxydable petit reporter, lequel est entre les mains expertes d’une veuve éplorée, mais businesswoman consolée. Il y eut aussi Franquin, bien absent de Lectures, soit dit en passant. La bienveillance bricoleuse et l’insatiable curiosité calamiteuse de Gaston Lagaffe ont-elles un lien avec le surréalisme belge, son comique répétitif touche-t-il à la pataphysique ? Gaston, frère de Magritte et de Blavier ? André Blavier 10, le phénoménal auteur des Fous littéraires 11, en était un autre avec une érudition compilatrice et un humour hors des normes communes. L’immortel vient de mourir, ultime pied de nez de ce compagnon des surréalistes et des oulipiens. Blavier était de ces bibliothécaires qui écrivent, ce qui n’est finalement pas si fréquent, et qui poussent le dévouement dans la logique des acquisitions de bons livres par les bibliothèques non seulement en en faisant eux-mêmes, mais encore en bibliographiant les hurluberlus littéraires, politiques, religieux et philosophiques qui les remplissent eux aussi de leurs idées géniales, généralement imprimées à compte d’auteur et que personne ne lit, sauf éventuellement par curiosité clinique.

Moralité : attention au désherbage ! On en a tous des exemples dans le domaine voisin, mais beaucoup plus dangereux et moins drôle, du délire totalitaire étalé en nombreux volumes : à force de mettre à la poubelle Mao, Kim Il Sung, Enver Hodja, Ceaucescu, Muammar al-Khadafi et autres petits pères des peuples naguère offerts gratuitement, on n’en a plus pour l’intrépide historien qui voudrait – vraiment – les lire. Opération pour laquelle, convenons-en, il faut un courage et une abnégation qui forcent le respect.

Pardon pour cette digression. Lisez Lectures, on y voit les gens qui y écrivent et on a l’impression de faire partie de leurs connaissances quand on les lit. Ça fait du bien

  1. (retour)↑  Cf. le compte rendu paru dans le BBF, 2001, t. 46, n° 1, p. 136.
  2. (retour)↑  N° 119, mars-avril 2001.
  3. (retour)↑  N° 120, mai-juin 2001.
  4. (retour)↑  N° 121, juillet-août 2001
  5. (retour)↑  N° 122, septembre-octobre 2001.
  6. (retour)↑  Comme le compte rendu de publication de L’Encyclopédie du mouvement wallon, dans le n° 121.
  7. (retour)↑  Dont le numéro 117 commémore le 25e anniversaire.
  8. (retour)↑  Divisez par 6 pour l’équivalent en FF.
  9. (retour)↑  Il faut aller visiter à Mons ce qui reste du Mundaneum, c’est stupéfiant.
  10. (retour)↑  Objet d’un hommage post mortem dans le n° 122.
  11. (retour)↑  Les fous littéraires, édition nouvelle, revue, corrigée et considérablement augmentée, Paris, Éd. des Cendres, 2000. Un amusant hasard fait que la notice de cet ouvrage page 99 du numéro 119 de Lectures précède celle de L’Évangile rouge de Théophile Bra (Paris, Gallimard, 2000), autre « fou littéraire » et fou graphique dont les écrits et dessins occupent quelques mètres linéaires dans la pièce à côté de celle où j’écris ces lignes [à la BM de Douai].