Outils des politiques documentaires

Dominique Arot

Groupe de réflexion sur les politiques documentaires, créé en avril 1999 à partir du constat du regain d’intérêt pour ces questions et de la forte demande d’outils par de nombreux professionnels, animé par Bertrand Calenge et bénéficiant pour son fonctionnement du soutien de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), Poldoc a tenu le 17 mai dernier à la bibliothèque municipale centrale de la Part-Dieu à Lyon sa deuxième journée d’études autour du thème « Outils des politiques documentaires ».

En ouverture, Bertrand Calenge a dressé un bilan provisoire de l’activité de ce « groupe de recherche bibliothéconomique appliquée aux outils des politiques documentaires » : 24 collègues actifs, dont les travaux s’articulent avec les activités quotidiennes de bibliothèques, en France, en Suisse et en Belgique. Quatre groupes ont fonctionné régulièrement : sur la complémentarité des supports, les consultations sur place, le Conspectus, et le désherbage des collections articulé avec la conservation partagée.

Les réflexions sur la complémentarité des supports ayant atteint leur terme, un nouveau groupe se met en place autour des questions de formation. On peut trouver trace de tous ces travaux ainsi que de nombreux autres aperçus et liens utiles sur les pages web de Poldoc (plus de 100 000 hits annuels) à l’intérieur du site de l’Enssib 1. Bertrand Calenge exprimait par ailleurs le souhait que Poldoc contribue à supprimer la césure entre supports physiques et électroniques dans toutes les réflexions sur les politiques documentaires. Il appelait de ses vœux des travaux de recherche sur ce sujet afin d’éviter que le travail sur les collections se borne à l’application mécanique de procédures.

Joëlle Müller, de la Fondation nationale des sciences politiques, faisait part des premières réflexions du groupe de travail consacré à la formation, en soulignant la difficulté de recherche d’intervenants qui, seuls, peuvent concrétiser les préoccupations touchant aux collections à l’intérieur des programmes de formation initiale et continue. La constitution d’une maquette de cours dédiée au sujet des politiques documentaires et disponible en ligne pour tout intervenant éventuel fait partie des objectifs concrets de ce groupe de travail.

La méthode Conspectus

Devant traiter du thème de l’application de la méthode Conspectus aux collections des bibliothèques publiques, Thierry Giappiconi mit plutôt l’accent, dans un exposé en dix points, sur l’attention que les bibliothécaires devraient porter au contenu des documents, les invitant à dépasser des pratiques empiriques qui participent, comme l’a écrit Louis Seguin, « de la sécurité de la moyenne ». C’est sur la base de ces principes, selon lui, que la méthode Conspectus, en tant qu’outil d’évaluation, pourrait contribuer à maintenir le niveau de qualité d’une collection et fournir les éléments d’une contractualisation de ce maintien avec les organismes financeurs. Depuis la salle, Pascal Sanz, directeur du Centre technique du livre de l’Enseignement supérieur, intervenait pour souligner que les bibliothécaires français s’intéressaient au Conspectus au moment même où les responsables des bibliothèques universitaires américaines semblaient en abandonner l’usage, le trouvant trop complexe et trop contraignant.

En fait, la discussion rebondissait à partir de l’intervention de Dora Biblarz, représentante d’OCLC, propriétaire du copyright de la méthode Conspectus, qui proposait un certain nombre de services payants permettant de comparer, sur la base des données contenues dans les systèmes d’information des bibliothèques, les collections de plusieurs établissements ou d’analyser finement l’âge, la profondeur et l’ampleur d’un fonds. Au-delà de la nature commerciale d’une telle intervention, on pouvait s’interroger sur les risques de conformisme et d’uniformité susceptibles d’être générés par une application sans nuances de tels outils.

Désherbage et conservation partagée

Noëlle Gouillart, de la bibliothèque municipale de Chambéry, et Géraldine Barron, de la bibliothèque municipale de Nantes, faisaient ensuite part des premiers résultats des travaux du groupe s’intéressant au désherbage des magasins et à son corollaire obligé, la conservation partagée. À partir d’une approche concrète des fonds des années 1900 à 1980, et de la question toujours renouvelée de la saturation des espaces, ce groupe de travail a su dégager quelques questions qui, pour être présentées avec humour et modestie, n’en sont pas moins essentielles : comment éliminer à l’intérieur d’un fonds des années cinquante sur des critères qui sont ceux d’une politique documentaire de 2001 ? Comment trouver, a posteriori, une identité à un fonds ? Comment donner réalité et efficacité à une réserve vivante, à une réserve d’usage, à un magasin semi-patrimonial ? Jusqu’où s’étendent les responsabilités des uns et des autres en matière de conservation ? Autre versant de ces questions, la conservation partagée. Dans cette perspective, le groupe de travail se propose de tenter de dresser une carte documentaire de la France.

Claudine Lieber, de l’inspection générale des bibliothèques, inscrivait son très complet exposé sur la conservation partagée en France dans la continuité de l’intervention précédente, voyant dans ce thème et les réalités qu’il incarne à la fois une « tarte à la crème » et un « poil à gratter », puisqu’il s’agit d’un sujet qui tantôt suscite des déclarations convenues et consensuelles jamais suivies d’effets, tantôt agit comme un aiguillon pour mettre en marche des actions concrètes à l’intérieur d’une bibliothèque ou entre plusieurs établissements. De ce point de vue, le paysage français s’apparente davantage à un « paysage volcanique » qu’à un « jardin à la française ». Mélange d’initiatives parfois inabouties et de manques criants. Mais le développement d’outils collectifs tels que le catalogue collectif de France ou, depuis plus longtemps, le catalogue collectif des publications en série, aussi bien que les progrès dans l’informatisation des établissements, dotent désormais notre pays d’atouts nouveaux, tant il est vrai que le signalement des fonds est une condition indispensable à toute politique de conservation partagée. Si l’objectif est de conserver mieux et d’éviter les destructions massives et concomitantes de certains fonds, il est aussi de conserver davantage. Se pose alors la question des espaces : le succès du Centre technique du livre de l’Enseignement supérieur pourrait conduire à s’interroger sur l’opportunité de créer des structures comparables dans d’autres régions françaises. Au terme de son analyse, Claudine Lieber invitait vigoureusement les différentes bibliothèques à s’engager sans attendre dans des actions concrètes.

La désélection à la British Library

Mike Crump, représentant la British Library, fit le point en français (qu’il en soit remercié !) sur la situation anglaise dans le domaine de la « désélection » des documents. Il insista sur le fait que désherbage et développement des collections constituaient deux aspects d’un même projet qui devaient être articulés avec la fourniture de documents. Il a rappelé que la question de la désélection à l’intérieur des collections de la British Library avait fait l’objet de dispositions législatives en 1972 et 1992. Il est ainsi permis de procéder à l’aliénation (vente, don, échange) de documents sans rapports avec les collections de l’établissement. En fait, les bibliothécaires anglais mettent l’accent sur la relation à établir entre la qualité de la politique d’acquisitions, par exemple à travers les critères d’acceptation des documents arrivant par dépôt légal, et le volume des travaux, toujours coûteux, de désherbage. Sélectionner pour survivre, tel était le titre d’un rapport consacré en 1989 à la politique d’acquisitions et de désherbage de la nouvelle British Library. Mike Crump demeure cependant optimiste, en dépit d’une augmentation de la production imprimée de 13 % entre 1999 et 2000. La généralisation, maintenant rapide, de l’informatisation des catalogues constitue un puissant levier pour des entreprises de « désélection coopérative » telle que le service Booknet mis en place par la British Library.

Hubert A. Villard, de la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, apportait aux deux exposés synthétiques qui avaient précédé le contrepoint d’une expérience concrète réussie. L’ensemble des activités de l’établissement qu’il dirige est fondé sur les principes du PAC (Preservation and Conservation) qui distingue cinq niveaux à l’intérieur des collections :

0 collections gelées

1 collections conservées pour toujours

2 collections irremplaçables et sources

3 collections consommables

4 collections éliminables

Cette catégorisation conditionne l’acquisition, le traitement, la description et l’équipement des documents, ces différents niveaux étant intégrés dans les données de gestion du catalogue. De telles mesures n’ont pu être appliquées avec réussite que sous certaines conditions : la sensibilisation du personnel et des usagers aux problèmes de conservation, la modification des pratiques de prêt, la redéfinition de la notion de Réserve, le recours important à l’usage des microformes, l’existence d’un silo de stockage vaudois. Le défi est aujourd’hui d’intégrer une telle démarche au nouveau contexte d’une bibliothèque hybride dans laquelle coexistent sources documentaires sur support traditionnel et documents électroniques.