Architecture(s) de bibliothèques
12 grandes réalisations en régions (1992-2000)
Isabelle Masse
Du 25 octobre 2000 au 14 janvier 2001 s’est tenue à l’Institut français d’architecture (IFA) une exposition intitulée « Architecture(s) de bibliothèques » 1. La Direction du livre et de la lecture (DLL) y présentait les douze réalisations – ou futures réalisations – de bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR), faisant ainsi le bilan des huit années passées depuis la loi du 13 juillet 1992, « relative à l’action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacle cinématographique » 2. Dans le cadre de cette exposition, le 18 décembre 2000, la DLL et l’IFA ont organisé une journée d’étude sur le même thème, au cours de laquelle bibliothécaires, architectes, maître d’ouvrage et programmistes ont apporté leurs témoignages et confronté leurs points de vue.
Le bibliothécaire et l’architecte
Un premier débat fut consacré aux relations entre le bibliothécaire et l’architecte, relations parfois difficultueuses, comme le souligna d’emblée Paul Chemetov 3, les systèmes de pensée et de notations de l’un et de l’autre étant différents. Pour Pierre Riboulet 4, le bon déroulement du processus qui précède la naissance d’un bâtiment repose sur des affinités entre personnes, qui doivent trouver dialogue juste et complicité. Chaque étape est bien caractérisée. Durant la phase de programmation, qui peut durer deux ou trois ans, bibliothécaires et élus font part de leurs désirs et de leurs rêves ; puis vient la période du concours, synonyme de solitude et de silence pour l’architecte qui essaie de sentir les lieux, de saisir le souhait des bibliothécaires, tout en respectant scrupuleusement le programme, une évolution restant tout de même possible après la réussite au concours. Se faire comprendre lors du stade suivant – la présentation du projet au jury –, est parfois une rude épreuve, dessins, plans et maquette étant quelquefois obscurs pour des non-initiés. Le dialogue se met ensuite en place ; le projet, tout en conservant sa ligne et son intégrité, peut alors s’enrichir. Pierre Riboulet rappela qu’une des conditions pour le bon déroulement d’un projet est la continuité des personnes : en effet, la durée entre la programmation et l’ouverture d’une bibliothèque peut être longue, les changements d’équipes en cours de route retardent ou modifient l’enchaînement des phases de travail.
Le point de vue des architectes fut suivi par celui, quelque peu différent, du bibliothécaire. Thierry Delcourt, directeur de la BMVR de Troyes – dont l’ouverture est prévue pour le premier semestre 2002 –, reconnaît que la programmation est un moment exaltant, stimulant, mais aussi angoissant. Frustrant également, car le choix final n’appartient qu’aux élus : le jury proprement dit ne comprend pas de bibliothécaire, et ne s’intéresse pas à ce que peuvent ressentir les futurs utilisateurs. Entre architectes et bibliothécaires, le dialogue n’est pas toujours naturel, et le jeu de pouvoirs complexe entre maîtrise d’ouvrage, d’œuvre et professionnels des bibliothèques : dans les réunions de chantiers, le bibliothécaire, persona souvent non grata, se ressent comme un gêneur.
Fonctionnement et usages
Un deuxième débat avait pour thème le fonctionnement et les usages de BMVR ouvertes depuis parfois plusieurs années, comme Orléans, Poitiers et Limoges.
Conçue comme un signal fort, proche de la gare et des quartiers commerciaux, installée dans un bâtiment moderne, la BMVR d’Orléans est ouverte depuis 1994 5. La visibilité de la façade, le hall – conçu comme une plaque tournante vers les autres espaces, il regroupe l’accueil et l’inscription des lecteurs, le prêt et le retour des ouvrages, ainsi qu’un kiosque proposant des périodiques –, incitent les habitants de la ville à pénétrer sans réticence dans le bâtiment. Au bout de six ans de fonctionnement, comme le souligna Agnès Chevalier, sa directrice, la bibliothèque est devenue un lieu de brassage sociologique et générationnel, et le nombre des inscrits a considérablement augmenté. Parmi les petites ombres au tableau, les années passant ont vu le bruit intérieur au bâtiment devenir une gêne, et la cafétéria fermer.
À Poitiers, le choix, fort dès le départ, fut donné tel quel au concepteur : un bâtiment installé au cœur de la cité, tête de pont du réseau des bibliothèques municipales de la ville. L’accueil du public était placé au centre des préoccupations. Quatre ans après l’ouverture, Jean-Marie Compte fait deux constats : la fréquentation des 15-20 ans a considérablement augmenté ; en revanche, la fréquentation des plus de 60 ans connaît une progression beaucoup moins importante alors que cette tranche d’âge est plus importante en nombre dans la population. Là aussi, le bruit est source de problèmes : usage silencieux et usage plus convivial se heurtent de manière permanente. La bibliothèque étant un lieu de vie en commun dont les règles doivent être respectées, la nécessité s’impose d’organiser l’accessibilité du ou des lieu(x) pour que cohabitent les différents niveaux de pratiques. Et celle d’étudier avec soin cet élément fondamental qu’est l’acoustique, comme ce fut le cas à la Bfm (Bibliothèque francophone multimédia), de Limoges, ouverte en 1998, dont le directeur, Alain Duperrier, rappela que l’accueil est une question d’état d’esprit, d’organisation, et de direction d’établissement. La Bfm fonctionne bien – le nombre d’inscrits est passé de 35 000 à 62 000 – et très peu de détournement d’usages ont été remarqués. Tout comme à Orléans, la bibliothèque est devenue un lieu de brassage, où les différences sociales semblent atténuées.
La journée se termina par un débat sur la place de la bibliothèque dans la cité. Fut évoquée l’intégration de la BMVR de Montpellier dans le quartier d’Antigone, qu’il s’agissait de greffer sur le centre-ville. Puis, Bruno Carbone fit un historique de l’installation d’une double construction – BMVR et bibliothèque universitaire – dans un quartier excentré du sud de la ville de La Rochelle et de la réussite de son intégration dans la vie locale, réussite confirmée par la comparaison du plan de la ville dans les calendriers des Postes des années 1988 et 1998 : le cadrage du plan de 1998 comprend l’emplacement des bâtiments accolés de la BMVR et de la bibliothèque universitaire, dans un quartier absent du plan imprimé dix ans auparavant.