Travailler en réseau pour maîtriser les champignons.

Christelle Quillet

Cet article a pour but de sensibiliser les bibliothécaires aux problèmes de contamination biologique et à leur gestion quotidienne et non dans l’urgence. Tout responsable de fonds patrimonial se heurte un jour ou l’autre à une infestation par des moisissures. La question est alors de décider en premier lieu des mesures d’urgence à prendre, puis en second lieu des remèdes destinés à retrouver des collections en bon état de conservation. Au Département de la conservation de la Bibliothèque nationale de France (BnF), les biologistes et l’unité de formation du Centre technique de Bussy-Saint-Georges ont engagé une réflexion de fond à propos de l’organisation d’une aide à distance.

La BnF a compté pendant longtemps un seul spécialiste dans le domaine microbiologique, un ingénieur biochimiste, Brigitte Leclerc. Arrivé en renfort en 1998, Guillaume Genty, microbiologiste, a pris en main la section « Biologie et environnement » du laboratoire du Centre technique de Bussy-Saint-Georges. Le travail au sein de la bibliothèque ne manque pas. Par ailleurs, les sollicitations de conservateurs responsables de bibliothèques en région qui se trouvent confrontés à ce problème occupent, selon les saisons, de 5 à 50 % de leur temps de travail.

Prévention et surveillance quotidienne des collections

Lors des stages organisés par l’unité de formation au Centre technique de la BnF, les biologistes ciblent leur discours sur la prévention et la surveillance quotidienne des collections. En effet, suspecter l’origine biologique d’une trace et savoir vers qui se tourner pour la vérifier est un acte essentiel de conservation préventive qui permet d’éviter une catastrophe de grande ampleur. Mais cela ne suffit pas puisque chaque année, deux à trois bibliothèques vivent une catastrophe de ce type.

Le problème peut être résumé rapidement : la BnF dispose de deux biologistes pour assumer à la fois les besoins de l’établissement et ceux des bibliothèques françaises. Les laboratoires du Département de la conservation travaillent déjà en collaboration avec les collègues de province, mais aucune organisation structurée n’existe. On agit au coup par coup, comme souvent lorsque la menace n’est pas omniprésente et que l’on estime pouvoir en faire l’économie. On gère le problème a posteriori et dans l’urgence. Les responsables des fonds n’ont pas forcément la possibilité de maîtriser tous les facteurs environnementaux des collections à titre préventif. Dans la plupart des cas, il s’agit de gérer au mieux les débuts d’infestation, d’éviter leur propagation, de découvrir l’origine de l’infestation pour y remédier ou au moins tenter de la maîtriser.

Les besoins sont trop importants dans ce domaine pour être satisfaits correctement par deux personnes. L’idée à laquelle aboutissent les laboratoires et l’unité de formation est de travailler en réseau et pour cela, d’effectuer un transfert de compétences.

Être autonome et réagir plus vite

De l’idée à la réalisation, un premier pas est franchi par une expérience : celle-ci aboutira à deux résultats positifs. Deux journées de formation, l’une en 1999, l’autre en 2000, ont eu comme objectif de former quelques personnes dans le but de mettre en place une coopération structurée avec les experts biologistes de la BnF. Le temps passant, les retombées concrètes de ces journées de formation se sont révélées fructueuses dans deux cas : ceux des agences de coopération des régions Centre et Franche-Comté.

La Franche-Comté en lutte contre les moisissures

Le conseil régional de Franche-Comté a confié à Accolad, agence de coopération pour la lecture, l’audiovisuel et la documentation, une mission de protection et de mise en valeur du patrimoine écrit de la région. Les différents contacts et observations in situ ont permis d’élaborer un programme d’information, de formation et d’actions en matière de conservation préventive. Les besoins portaient sur une information actualisée, des formations spécifiques et de proximité, du conseil personnalisé. Après un inventaire des besoins en région et des contacts avec les services de conservation de la BnF à Paris et Bussy-Saint-Georges, un programme de conseil et de formation a été mis en place.

Pascale Milly, chargée de mission à Accolad, a suivi une journée de formation au Centre technique de Bussy-Saint-Georges, dans le but d’une part, d’acquérir quelques bases sur la dissémination et le développement des moisissures et d’autre part, de s’exercer à leur repérage visuel in situ. À sa demande et à partir d’une liste de laboratoires régionaux, les laboratoires de la BnF ont recherché un interlocuteur compétent en microbiologie environnementale acceptant d’effectuer des analyses sur des prélèvements envoyés par Accolad. Ainsi, Pascale Milly a établi une coopération avec un laboratoire local, qui lui a permis de mettre en place une politique annuelle d’observation par des actions de contrôle microbiologique des documents suspectés, par exemple à Dole, Saint-Claude, Pontarlier, Lons-le-Saunier, Arbois, Salins-les-Bains, Gray... L’interprétation des résultats a été conduite avec l’aide de Brigitte Leclerc ou Guillaume Genty, puis ces résultats ainsi que des propositions ont été retransmis aux bibliothécaires et archivistes responsables des fonds. Parallèlement, Accolad a invité les partenaires de la BnF à intervenir dans le cadre d’une action de formation à Besançon en direction des bibliothécaires sur le thème « Mise à jour des connaissances de base en conservation ».

Cette collaboration est particulièrement fructueuse, car elle donne lieu à un échange d’informations précises et sans cesse réactualisées, et assure une proximité et des interventions rapides ; elle rompt un isolement local et régional et permet à Pascale Milly de développer ses connaissances techniques pour un service de plus en plus efficace.

Travailler en réseau

L’expérience du CRL Centre, l’agence de coopération de la région Centre, est assez semblable. Il semble que les conditions idéales soient réunies dans ce type de structure, d’une façon évidente de par leur mission de coopération entre les bibliothèques, mais d’autant plus lorsqu’elles comprennent une personne spécialement affectée aux questions de conservation des collections.

Les bibliothèques gardent une approche individualiste face à l’idée de partager le temps de travail d’un agent avec d’autres établissements pour des raisons diverses, mais certaines régions n’ont pas d’agence de coopération, de même que toutes les agences de coopération n’ont pas une personne affectée particulièrement à la conservation. Le travail est abondant, mais pas au point de former une personne par bibliothèque, ce qui créerait un réseau complexe, un nombre important de personnes à former qui n’auraient pas souvent l’occasion de mettre en pratique leurs connaissances.

L’expérience pourrait cependant être élargie à d’autres régions, y compris la région parisienne, sous réserve d’une prise de conscience suffisante des responsables des bibliothèques et de leur volonté à travailler autrement que dans l’urgence.