Dix ans de villes-lecture en Provence-Alpes-Côte d'Azur

Quel avenir ?

Aline Le Seven

Les 29 et 30 septembre 2000, s’est tenu à Istres un colloque, organisé par le comité régional d’examen, de suivi et d’évaluation des villes-lecture, le Centre Ressources Illettrisme, et la ville nouvelle de Fos, et intitulé « Dix ans de villes-lecture en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Quel avenir ? ». Il avait pour objectifs de dresser un bilan du travail réalisé depuis dix ans entre les municipalités proclamées « villes-lecture » en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) – Aubagne, Avignon, la ville nouvelle de Fos, Carros, Gardanne, Port-de-Bouc, Grasse, et Berre-l’Étang –, et de mettre cette démarche en perspective avec le nouveau dispositif de l’État, et le nouveau contrat de plan État/Région.

Après les différents discours d’ouverture des élus, Jean-Claude Van Dam, de la Direction du livre et de la lecture, rappela la démarche initiée par le ministère de la Culture et de la Communication depuis 1998, reprenant à son compte le concept de Jean Foucambert, de l’Association française pour la lecture. La possibilité d’un contrat pluriannuel avec l’État permet de soutenir les initiatives des communes qui souhaitent promouvoir une réelle politique de la lecture, avec une mise en réseau de l’ensemble des initiatives dans ce domaine. Trente-huit communes ont ainsi été labellisées, comme Nantes ou Poitiers.

L’évaluation du dispositif

L’évaluation du dispositif mis en place en région PACA fut exposée par B. Noël, membre du cabinet ARTéSUD. Cette étude a été réalisée grâce aux documents fournis par les coordinations et les villes, et à partir de plus d’une centaine d’entretiens avec les coordinateurs, les élus, les partenaires, et les acteurs de terrain.

Le choix des villes en région PACA a été précédé en 1990 par le lancement d’une enquête régionale qui a permis d’établir l’état des lieux du développement de la lecture, et par l’organisation des Assises régionales sur l’illettrisme. En 1991, 60 communes sur 140 ont répondu au premier appel à projets.

Un jury national 1 avait eu pour critères de sélection des éléments clairement définis, notamment la pertinence du dossier par rapport à la prise en compte des publics en difficulté, la cohérence du projet, son originalité en faveur du développement de la lecture et de la lutte contre l’illettrisme, les caractéristiques de la bibliothèque municipale. Ce dispositif interministériel a permis un engagement non négligeable de l’État sur trois ans (3,7 millions de francs, ainsi que le financement du poste de chargé de mission). À mi-parcours cependant, l’État central s’est désengagé, et la pérennité des actions a été garantie par la seule Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). La composition des comités de pilotage est restée identique au cours des dix ans. Ceux qui étaient composés d’élus et de partenaires de terrain, formule la plus souple, ont le mieux fonctionné.

Deux étapes de fonctionnement se dégagent : la première – l’avènement d’une belle aventure, de 1990 à 1995 – est marquée par un intense travail de réflexion, des réunions annuelles au cours desquelles la difficulté de la pérennisation du dispositif est souvent évoquée. Le retrait de l’État a initié une deuxième étape : l’absence de prospectives et une inquiétude accrue à propos de la pérennisation des actions. La vie du dispositif a cependant continué grâce à des rencontres régulières, alimentées par des discussions concentrées essentiellement sur les problèmes budgétaires.

Au départ, toutes les villes ont nommé un coordinateur, détaché sur cette mission ou cumulant d’autres fonctions. Les bibliothécaires ont-ils le meilleur profil ? Ils n’ont pas la formation pour agir hors de leur établissement, et le projet risque d’être perçu avec une connotation plus culturelle que sociale. Cependant, le fait d’être reconnu comme spécialiste de la lecture apporte une reconnaissance certaine de la part des partenaires. Ce profil demande donc des compétences complémentaires : qualités relationnelles, techniques, connaissance du champ social.

Le cumul des fonctions avec une direction d’établissement ne paraît pas souhaitable ; en effet, les villes qui ont mené la politique la plus riche ont un coordinateur à plein temps. Un regard extérieur à la médiathèque est nécessaire. De plus, la gestion d’un équipement est une charge lourde. Enfin, les actions de lutte contre l’illettrisme, en prise avec le champ social, doivent se démarquer des actions de développement de la lecture publique propres à une médiathèque, plus spécifiquement culturelles. Un autre point est à remarquer : lorsque les élus impulsent réellement une politique de développement de la lecture, les actions sont plus efficaces, et la mise en évidence du label est moins nécessaire.

Les champs d’intervention

À propos du secteur de la petite enfance, on note un accroissement de la compétence du personnel et un développement du vocabulaire chez les enfants. Mais il est difficile d’associer les parents, et les lieux ne sont pas toujours adaptés aux actions visant à donner le goût de la lecture.

Les secteurs scolaire et périscolaire sont deux champs d’intervention caractérisés par la difficulté d’articuler Éducation nationale et lecture publique. Dans le secteur scolaire, les actions ont porté essentiellement sur la constitution des fonds des bibliothèques centres documentaires (BCD). Cela s’est traduit, à Port-de-Bouc, par une multiplication des BCD ; à Aubagne, par l’établissement d’une convention de formation des maîtres sur deux ans avec l’Éducation nationale; à Fos, par la création des services de prêt aux collectivités au sein de la médiathèque, et la formation du personnel mis à disposition dans les BCD. Ces créations de fonds entraînent une moindre fréquentation des bibliothèques municipales, ce qui présente l’inconvénient de confiner le livre dans le monde éducatif. Le secteur périscolaire s’est caractérisé par une mutualisation des savoirs et une coordination des moyens. L’émergence de la fonction de médiateur du livre prouve le besoin qui existe dans ce domaine.

Le public en insertion professionnelle a fait l’objet d’un investissement de la part de toutes les villes. Pour en bénéficier, il fallait partager le concept avec les organismes de formation (Groupement d’établissements pour la formation continue-GRETA…). Les interventions d’écrivains avaient pour objectif la valorisation de la personne. Un bilan reste encore à faire dans les prisons et les collèges. Le point fort de ce secteur réside dans la création d’une culture commune entre les différents acteurs, dans l’importance accordée aux médiateurs sociaux, et à la valorisation de leur travail.

Évolution et actualité du dispositif

Les critères d’éligibilité restent toujours d’actualité, ainsi que la transparence du système de choix, et l’originalité interministérielle de la provenance des fonds. En revanche, le manque de médiation de ce dispositif n’assure pas la sensibilisation sur les enjeux de la lecture, ni sur les actions conduites. Un pôle d’information fort serait nécessaire.

Un ensemble cohérent d’objectifs et d’actions peut cependant être déterminé. Les habitudes de concertation persistent. Les publics éloignés ont été effectivement touchés, grâce par exemple aux actions de type « bibliothèques hors les murs ». Les formations interprofessionnelles ont permis la création d’une culture commune entre les différents partenaires. On peut citer également l’intégration de certaines actions dans des contrats locaux, comme les zones d’éducation prioritaire, le développement de certains équipements municipaux… Enfin, l’inscription au contrat de plan démontre que ce dispositif s’inscrit entièrement dans les préoccupations de cohésion sociale de l’État.

Des interrogations demeurent cependant :

– le label est-il suffisant ? Si les communes labellisées sont actrices d’une démarche volontaire, comment sensibiliser et favoriser les démarches des communes où le chantier reste encore à construire ?

– la commune est l’échelon indispensable pour les actions les plus efficaces, mais un élargissement vers des frontières plus étendues, comme le niveau régional, doit être envisagé, car il peut offrir des compétences complémentaires. Il faut donc continuer à sensibiliser les administrations régionales et les élus.

– enfin, le dispositif est à étendre au monde rural.

Il a été difficile d’évaluer le développement de la lecture, vu l’absence, il y a dix ans, de critères d’évaluation et de statistiques concernant de façon spécifique l’état de la lecture publique vis-à-vis des publics défavorisés. Un comparatif entre les situations avant la mise en place du contrat, et au cours du contrat, permet d’observer une augmentation du taux d’inscription dans les médiathèques (Avignon, Carros…), une hausse des dépenses par habitants (Aubagne, Berre-l’Étang, le syndicat d’agglomération nouvelle-San de la ville nouvelle de Fos), une augmentation des crédits d’acquisitions par habitants (Carros, Gardanne, San de la ville nouvelle de Fos), à côté d’une implantation dans un quartier en restructuration (Port-de-Bouc), ou d’équipements pas encore normatifs (Carros).

Les bibliothécaires sont amenés à jouer un rôle social de plus en plus important, les médiathèques vont se développer en tant que service d’information et de diffusion : les contrats villes-lecture sont au cœur de cette démarche.

Les thèmes choisis au cours des ateliers ont permis d’ouvrir des perspectives en direction des différentes problématiques actuelles.

Quel projet de bibliothèque municipale dans une démarche ville-lecture ? Certaines villes ont été labellisées alors même que leurs établissements étaient loin de la norme. La démarche ville-lecture a permis, au fil des ans, un enrichissement du programme architectural aboutissant à des réalisations innovantes : les exemples de Gardanne ou Carros en sont l’illustration. Une bibliothèque est un lieu de cohérence et de mise en réseau de formations diverses, et cette vocation devrait s’affirmer plus franchement.

Comment animer une politique de réseau ? Quels sont les différents rôles des élus, des partenaires, de la coordination ? La place des élus, les difficultés de la constitution du réseau, l’implication des institutions locales dans son animation, tous ces thèmes ont été illustrés grâce aux témoignages de la ville nouvelle de Fos, et de Port-de-Bouc. Le statut de l’intercommunalité a soulevé bien des interrogations : qu’est-ce qui, du domaine culturel ou social, relèverait respectivement des compétences de l’intercommunalité ou des communes ?

Le médiateur du livre : fonction ou métier ? Les médiateurs du livre ont une forte implantation dans les villes-lecture de la région PACA. Cette filière, instaurée par une circulaire ministérielle de 1996, a été rattachée à un brevet d’État d’animateur technicien de l’Éducation populaire (BÉATEP) via les ministères de la Jeunesse et des Sports et de la Culture et de la Communication, avec une possibilité d’intégration dans la filière animation. Une formation différente, un hiatus entre le champ culturel (considéré comme noble) et le champ social (moins bien considéré) entraînent des difficultés relationnelles avec les bibliothécaires. Il est nécessaire de définir les fonctions et rôles de chacun au sein des structures, à travers des projets clairs. Mais il est également nécessaire d’approfondir les possibilités de passerelles entre les deux mondes : par exemple en travaillant sur la notion même de médiation, sur l’accueil des publics par les différents acteurs.

L’atelier intitulé Des BCD-CDI pour quoi faire ? a suscité un débat animé et dynamique. En effet, le dispositif ville-lecture est un facteur de développement des BCD et CDI des établissements scolaires, mais la diversité des statuts selon les lieux est pour le moment un facteur d’incohérence et de discontinuité. Le dispositif devrait être un élément facilitant la formation continue pour les différentes catégories de personnel.

Des écrivains en ville-lecture : un écrivain en ville-lecture peut-il et doit-il aider à une identification, et à une prise de conscience de l’évolution de la cité ? Doit-il être le provocateur d’une démarche d’écriture à partir de laquelle se formulent les projets individuels et collectifs ? Les échanges ont permis de réaffirmer le lien essentiel entre la lecture et l’écriture.

Synthèse des ateliers

Le journaliste Antoine Spire a livré au débat public diverses réflexions suggérées par la synthèse des ateliers :

– usure et lassitude ont souvent été évoquées à propos des actions de terrain : n’est-il pas nécessaire de relancer l’imaginaire et de retourner à la théorie pour retrouver un discours et des actions de poids et de chair ?

– le clivage entre champ culturel et champ social est une spécificité bien française, qui n’existe ni en Allemagne ni en Angleterre. Il est dépassé quand on se place du point de vue du destinataire des actions. Ne faudrait-il pas aller chercher du côté de l’utopie ce qui permettrait d’articuler ces deux domaines ?

– la considération attachée à l’association des écrivains et des médiateurs au dispositif ville-lecture est inégale – tâche noble pour les uns, travail moins bien considéré pour les autres –, alors qu’ils tendent tous deux vers un même objectif : l’écrit comme outil de pensée, l’écriture pour comprendre le monde.

– et enfin, les nouvelles technologies induisent-elles un nouveau type de lecture, comme le laisse entendre Roger Chartier ? Si les jeunes n’ont pas besoin d’apprentissage et possèdent la maîtrise de l’outil, ils sont cependant perdus dans les recherches, restant par exemple toujours sur les mêmes sites. Comment articuler les acquis lettrés de la littérature avec les nouvelles pratiques développées à partir d’Internet ?

La thématique de la table ronde « Illettrismes et apprentissages : quelle est la place de la culture ? » fut illustrée par diverses interventions : Serge Boimare 2, directeur pédagogique du Centre Claude-Bernard à Paris, est partisan d’une médiation culturelle qui prenne en compte les inquiétudes et les émotions qui parasitent l’apprentissage. Jean-Louis Fabiani 3, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Marseille, a présenté les contraintes particulières du développement culturel en milieu social fermé, et Michaël Gluck, écrivain, a témoigné de son expérience sur la place de l’écrivain dans l’apprentissage de la lecture.

  1. (retour)↑  Le jury était composé de Jean Gattégno (ancien directeur du livre), Geneviève Anthonioz-de Gaulle (présidente d’ATD-Quart-Monde), Geneviève Patte (présidente de la Joie par les Livres), Francine Best (inspecteur général de l’Éducation nationale, élue à la culture d’Hérouville-Saint- Clair), Pierre Dumayet, Bernard Pingaud (écrivains et journalistes).
  2. (retour)↑  Serge Boimare est l’auteur de L’enfant et la peur d’apprendre, Paris, Dunod, 1999, coll. « Enfances ».
  3. (retour)↑  Jean-Louis Fabiani est l’auteur de Lire en prison : une étude sociologique, Paris, Bibliothèque publique d’information, 1995, coll. « Études et recherche ».