Patrimoine écrit

Marie-Hélène Delporte

Patrimoine écrit, tel était le thème du colloque organisé le 20 avril 2000 par la filière bibliothèques-médiathèques de l’Institut universitaire de technologie Michel de Montaigne-Bordeaux 3. Marie Dinclaux et Jean-Pierre Vosgin, responsables de cette filière, avaient souhaité faire porter le débat sur les trois missions fondamentales des bibliothèques et centres de documentation en matière de patrimoine écrit 1 : les acquisitions, la conservation et la valorisation de ces fonds documentaires.

Les acquisitions

Pour Jean-Marie Arnoult, inspecteur général des bibliothèques, les acquisitions dans les bibliothèques municipales sont une mission majeure de leur politique patrimoniale. Après avoir été longtemps alimentés par des dons, les accroissements patrimoniaux ont pris un nouvel essor avec la création des Frab (Fonds régionaux d’acquisitions en bibliothèques). Ces crédits du ministère de la Culture délégués auprès des Directions régionales des affaires culturelles (Drac) permettent à plus d’une centaine de bibliothèques d’acquérir des manuscrits et des imprimés, pour l’essentiel postérieurs à 1800.

Pierre Botineau, directeur de la bibliothèque municipale de Bordeaux, a insisté pour sa part sur l’importance écrasante du fonds patrimonial de cette bibliothèque, par rapport au fonds de lecture publique. Les acquisitions à titre gratuit constituent toujours actuellement le mode d’accroissement le plus important : ainsi la dation de la bibliothèque de Montesquieu par Mme de Chabanes comprend plus de 10000 pièces. Les enfants de François Mauriac ont également fait des dons importants. L’enrichissement patrimonial est aussi le fait d’acquisitions onéreuses, l’offre est riche en la matière et le droit de préemption souvent utilisé, sans oublier le dépôt légal imprimeur et des dépôts de sociétés savantes.

L’aide nationale en matière d’acquisitions patrimoniales est très importante, a ajouté Jean-François Sibers, conseiller pour le livre à la Drac d’Aquitaine. Elle peut aller jusqu’à 75 % du prix d’achat. Pour l’attribution des subventions, la Drac tient compte des autres acquisitions de la bibliothèque, ainsi que de toutes les actions et dépenses occasionnées pour les fonds anciens telles les restaurations et expositions.

La conservation

Si l’enrichissement régulier des fonds anciens est un souci majeur des bibliothécaires, la conservation de ces collections reste une mission fondamentale.

C’est pourquoi Jacques Monférier, qui préside aux destinées du Centre culturel de Malagar (association loi de 1901), ayant considéré que ce Centre n’avait pas les moyens de conserver dans de bonnes conditions les ouvrages et archives de François Mauriac, a choisi d’en déposer une partie à la bibliothèque de Bordeaux. En effet, pour ces fonds, de bonnes conditions de conservation sont indispensables. À la bibliothèque municipale de Bordeaux, les magasins sont climatisés, un entretien courant des ouvrages est effectué. Des opérations de désinfection ont été réalisées suite à une attaque de vrillettes; des travaux de reliure ou de mises en boîtes contribuent à la protection des documents.

Deux actions spécifiques contribuent à la conservation des imprimés : la restauration et le microfilmage. En ce qui concerne la première, Pierre Botineau a affirmé en faire un usage limité, car cela présente des risques de non-réversibilité. Elle ne doit être pratiquée qu’en cas de catastrophes naturelles ou d’expositions. Pour lui, il existe deux freins majeurs à ces opérations : d’une part, l’offre très limitée en ateliers de restauration; d’autre part, la lourdeur administrative des dossiers de demande de crédits à l’État. En effet, comme l’a précisé Jean-Marie Arnoult, le décret du 9 novembre 1988 impose aux collectivités de soumettre au Conseil scientifique du patrimoine tout dossier de restauration pour permettre un contrôle et un financement par l’État. Le microfilmage est, pour Pierre Botineau, un complément indispensable à la restauration. Mais son utilisation est freinée par la réticence des usagers. Ont été ainsi traitées à la bibliothèque de Bordeaux la quasi-totalité des fonds iconographiques et une partie de la presse régionale.

Béatrice Pedot, secrétaire générale de la Fédération française de coopération entre Bibliothèques (FFCB), a présenté le rôle majeur des agences de coopération, associations créées en 1984 et rattachées aux Drac. Toutes ont, entre autres missions, celle de contribuer à la conservation du patrimoine écrit, soit par des plans concertés de microfilmage, soit par des opérations qui leur sont propres, tels les plans de conservation partagée des périodiques (mis en oeuvre dans huit régions) 2. De plus, la FFCB coordonne l’organisation du Mois du patrimoine écrit, manifestation qui a lieu tous les ans en septembre-octobre et organise un colloque annuel en région Rhône-Alpes.

La valorisation du patrimoine écrit

Les différentes interventions des bibliothécaires ont montré combien la mise en valeur du patrimoine écrit était une de leurs préoccupations essentielles.

Ainsi, Danièle Neirinck, qui dirige les Archives départementales de la Gironde, a insisté sur la mission culturelle des services d’archives et sur la nécessité pour ces services de mettre en oeuvre les moyens d’attirer de nouveaux publics, le lectorat ne représentant encore que 0,33 % de la population. La valorisation passe par une grande diversité de moyens, depuis le signalement et l’inventaire des collections, les expositions et publications, les actions d’animation jusqu’au transfert sur de nouveaux supports. Le signalement par les catalogues a été pendant longtemps, d’après Jean-Marie Arnoult, le seul moyen de faire connaître les fonds. Les BMVR (bibliothèques municipales à vocation régionale) ont pour mission le développement du catalogage par le biais des catalogues collectifs.

Pierre Botineau a insisté sur l’importance de publier des catalogues pour des documents de grande valeur scientifique, tel le catalogue des périodiques anciens (1600-1789) de la bibliothèque de Bordeaux. Selon Béatrice Pedot, les agences de coopération jouent un rôle important en matière de financement des catalogues collectifs de fonds régionaux, publiés sur cédéroms et pour certains consultables sur Internet. Ainsi, CBA, l’agence de Coopération des bibliothèques en Aquitaine, est maître d’œuvre du catalogue des incunables (en cours de réalisation). De même, les agences de coopération se sont vu confier une mission d’inventaire des fonds d’ouvrages et documents imprimés anciens conservés dans tout type d’établissements. CBA travaille à l’heure actuelle au pré-inventaire des fonds anciens repérés dans les bibliothèques publiques ou privées, mairies ou archives des petites communes.

Les expositions constituent, quant à elles, pour Jean-Marie Arnoult et Thierry Delcourt, directeur de la BMVR de Troyes (bibliothèque disposant d’un fonds d’une richesse exceptionnelle issu des confiscations révolutionnaires) un outil formidable de mise en valeur, bien que restant un exercice très difficile qui requiert, pour donner un résultat attrayant, le double travail d’un conservateur et d’un concepteur architectural. Il faut avant tout, privilégier la qualité, mettre en valeur la rareté d’un ouvrage, travailler la mise en scène sans négliger le catalogue, qui permettra de garder une trace de ces manifestations éphémères. Plusieurs expositions remarquables ont ainsi été réalisées dans le cadre du Mois du patrimoine écrit. Ainsi, Thierry Delcourt a rappelé que, depuis 1980, une campagne d’expositions a été menée pour valoriser le fonds troyen. Les centres de coopération participent bien souvent au financement des catalogues d’expositions lorsqu’il s’agit de fonds conservés dans différentes bibliothèques de la région.

Tout type de publication peut contribuer à mettre en valeur ces fonds patrimoniaux, comme l’a illustré Jean-Marie Arnoult par l’exemple du mécénat « Banque CIC pour le livre », qui a permis le financement de l’édition du guide des bibliothèques patrimoniales, Patrimoine des bibliothèques de France : un guide des régions 3. Pierre Botineau et Thierry Delcourt ont mis l’accent sur l’importance des animations et médiations menées par les bibliothécaires pour valoriser le patrimoine écrit. L’action peut prendre la forme de visites guidées, d’ateliers, mais aussi d’articles dans la presse ou de conférences. La bibliothèque municipale de Troyes a aussi prévu de recruter un « médiateur » pour mieux faire connaître son fonds ancien.

Le transfert sur de nouveaux supports constitue le dernier volet de cette mise en valeur des fonds anciens qui revêt, pour la plupart des intervenants, une importance toute particulière. Si la réalisation des cédéroms est toujours à l’ordre du jour, c’est surtout autour des opérations de numérisation qu’ont été centrés les débats. En effet, cela permet de présenter les documents sur un site Internet leur donnant par là même une diffusion plus large. Thierry Delcourt a présenté les multiples intérêts de la numérisation, depuis l’enrichissement du catalogue avec présentation de la page de titre en lien avec la notice, la publication du texte intégral d’un document rare ou précieux jusqu’au regroupement d’un fonds dispersé entre plusieurs bibliothèques.

Gérard Briand, directeur du Sicod (Service interétablissements de coopération documentaire) de Bordeaux, service auquel a été confiée la mission patrimoniale des bibliothèques universitaires, a insisté sur la nécessité pour les établissements ayant des fonds modestes, de se démarquer du site « Gallica » de la Bibliothèque nationale de France, et donc de numériser les ouvrages plus représentatifs des fonds locaux. Le plan de numérisation du Sicod intègre également les catalogues d’expositions réalisées et le catalogue auteurs des ouvrages anciens.

En la matière, les Drac jouent un rôle non négligeable. Jean-François Sibers a affirmé que celles-ci doivent jouer un rôle d’intégrateur des projets culturels programmés dans les contrats de plan État-Région. Ainsi, en Aquitaine, il y aura constitution de bases documentaires croisées entre fonds documentaires, sites archéologiques et monuments historiques.

Pour conclure cette journée, Dominique Peignet, conservateur-enseignant à l’IUT Michel de Montaigne, a souligné le rôle majeur des bibliothécaires dans l’exploitation de notre héritage patrimonial. Ce patrimoine a un rôle à jouer dans les identités locales et dans l’économie de la culture et il revient à la génération actuelle d’ouvrir enfin l’accès du patrimoine documentaire au grand public et de réduire ainsi la frontière séparant lecture, public et fonds anciens.