Mois du patrimoine écrit 1999

par Philippe Hoch
Paris : Fédération française de coopération entre bibliothèques. – Sept catalogues : ill.; 20 cm. 45 F x 6 / 6,86 v x 6 euros.

En proposant « la cité » pour thème des manifestations du « mois du patrimoine écrit » organisées à l'automne 1999 pour la dixième année consécutive, la Fédération française de coopération entre bibliothèques (FFCB) et la Direction du livre et de la lecture (DLL) au ministère de la Culture et de la Communication invitaient à une participation particulièrement large en ouvrant la porte aux établissements, fort nombreux, détenteurs de collections en rapport avec la ville dans laquelle ils se trouvent implantés, son passé, sa topographie ou encore de ressources témoignant des mutations que le paysage urbain a pu connaître au fil du temps. En effet, si l'exploitation de la thématique retenue lors de plusieurs éditions antérieures de l'opération supposait le recours à des fonds spécialisés dans les domaines géographique, scientifique ou artistique notamment, limitant ainsi de fait le nombre d'institutions potentiellement en mesure de déposer une candidature, les abondantes richesses d'ordre local ou régional conservées dans les bibliothèques se trouvaient cette fois sollicitées de façon naturelle.

On ne sera pas surpris, dès lors, que la plupart des sept expositions sélectionnées – et accompagnées à ce titre d'un catalogue publié dans la collection « (Re) découvertes » – aient été conçues comme un parcours historique, plus ou moins étendu dans le temps, rendu possible par l'exploitation de la documentation écrite ou iconographique locale. Le Moyen Âge et surtout la période d'Ancien Régime d'une part, le XIXe et le XXe siècles d'autre part, sont représentés à parts égales.

Réveiller Provins

En une cinquantaine de pièces sélectionnées par Anne Marzin et François Morin (manuscrits, chartes, plans, cartes, dessins et gravures, photographies…), la bibliothèque municipale de Provins – hier « capitale politique et militaire », aujourd'hui « une ville isolée dans le terroir rural de la Brie » – s'attache à retracer « les voies de l'évolution de la cité » et à mettre en valeur non seulement les vestiges d'un passé médiéval prestigieux, mais aussi « des espaces et des hommes et tout un patrimoine, presque immobiles ». Le catalogue, qui invite à regarder « par-delà la palissade » et tirer Provins hors de son « repli » contemporain, constitue l'esquisse d'une monographie, structurée, comme la ville elle-même, sur les voies (canal, chemin de fer, route…) qui, à chaque époque, favorisent l'accès à la ville.

Ombre et lumière

Sous le titre, un peu terne peut-être, de La Vie à Cahors du XVIe au XVIIIe siècle à travers les fonds municipaux, la bibliothèque du chef-lieu du Lot propose une belle démonstration de l'usage qui peut être fait des collections patrimoniales locales. Leur richesse « opulente » permet d'évoquer « l'âge d'or » de la cité, à la Renaissance, son fort engagement dans le « mouvement spirituel de la Contre-Réforme » au XVIIe siècle, puis son « déclin général », dû à des événements que Patrick Ferté qualifie de « coups du sort ».

Le lecteur est impressionné par la diversité des sources à portée de main du chercheur, lequel dispose en un même lieu des fonds d'archives et des manuscrits, imprimés et autres témoignages graphiques. Patrick Ferté a ainsi exploité les registres consulaires, les cadastres, les registres paroissiaux, les travaux d'historiographie régionale dus à des érudits du XVIIe siècle, les pièces rassemblées dans les collections particulières léguées à l'établissement, sans oublier quelque 30000 volumes du fonds ancien. Ce sont là autant de filons d'une mine dans laquelle l'historien découvre « les mille et une facettes du passé cadurcien », faites d'ombre et de lumière, de grandeur et de décadence…

Dieppe « sortie des cendres »

Dieppe a connu une évolution un peu comparable à celle de Cahors : un XVIe siècle « flamboyant » et l'amorce du déclin à la fin du XVIIe siècle. Mais c'est à la renaissance de ce « port normand », ou plutôt à sa reconstruction après le bombardement de 1694 qui laissa la ville « meurtrie », que s'attache la médiathèque Jean Renoir. Le passé millénaire de Dieppe, dont le nom est mentionné pour la première fois au Xe siècle, est évoqué avec talent par Arnaud Coignet, qui voit dans la ville « un don de la mer », tandis que François Lefebvre montre quel « enjeu stratégique » constitua Dieppe, port particulièrement puissant, « dans la France de Colbert ». La peste, à la fin des années 1660, puis la « bombarderie » déjà évoquée transformèrent une ville active en « champ de ruines fumantes ». Ginette et Olivier Poullet, en collaboration avec Patrick Michel, présentent la reconstruction de Dieppe par l'architecte controversé Ventabren, exploitant « des milliers de documents d'archives [qui] permettent de retracer le film des événements » à cette période. Une sélection commentée de ces pièces historiques (plans, gravures, photographies, cartes postales, lettres…), reproduites ou partiellement transcrites, enrichit l'exposé.

Les ennemis des jardins

Si le patrimoine monumental des villes (édifices cultuels, militaires ou civils, maisons d'habitation remarquables…) est généralement bien connu, en raison notamment des nombreux documents conservés qui s'y rapportent et d'une longue tradition de fouilles archéologiques et d'études érudites, il n'en va pas de même de l'« espace public », notion certes floue, mais domaine d'investigation où les travaux novateurs commencent à voir le jour. L'exposition grenobloise « De place en place » en apporte la preuve. Elle convie à une redécouverte de la cité dauphinoise, considérée à travers son patrimoine non bâti : rues, places, cours, jardins, parcs…

Sur la base d'une enquête réalisée dans les archives municipales dont il a la garde, Joël Delaine s'efforce de trouver une difficile articulation entre les espaces publics et l'action administrative aux XIXe et XXe siècles. Son étude porte entre autres sur la réglementation de l'usage que font les citoyens de ces espaces, leur gestion patrimoniale, variable selon les époques, leur indispensable police enfin. On appréciera ainsi ce jugement émis en 1895 par le directeur des jardins et promenades : « Nous avons contre nous deux ennemis, les chiens et les enfants ». Pour sa part, Yves Morin montre de quelle manière interviennent sur l'espace public, chaque corps à sa manière, les architectes, urbanistes, paysagistes et sculpteurs, représentatifs de « disciplines artistiques et professionnelles complémentaires ».

Enfin, Yves Jocteur Montrozier retrace l'évolution de l'iconographie des espaces publics grenoblois, depuis les représentations « fermées » de la fin du XVIIIe siècle jusqu'aux vues aériennes contemporaines, en passant par quantité de plans, levés, dessins et des publications aussi célèbres que les Voyages pittoresques du baron Taylor ou le recueil de l'artiste anglais Turner. Ces images – la conclusion est belle – « permettent seules de décrypter le palimpseste du temps ».

Nancy au temps de l'Art nouveau

Tout au long de l'année 1999, près de cinquante manifestations – expositions, conférences, spectacles, visites guidées… – ont attiré l'attention de quelque 800000 personnes sur l'importance de l'École de Nancy qui s'est épanouie durant la dernière décennie du XIXe siècle et les premières années du XXe . Dans cette profusion d'événements, où les arts décoratifs, en particulier la verrerie et l'ébénisterie se taillaient la part du lion, la médiathèque a voulu peindre à petites touches des Scènes de la vie des Nancéiens autour de 1900.

En raison de l'annexion de l'Alsace et de la Moselle en 1871, Nancy connut à cette époque de nombreuses transformations, comme le montre brillamment François Roth : expansion démographique, extension géographique, importance militaire accrue – Nancy est désormais ville frontière –, développement de l'industrie et du commerce, bouillonnement de la vie culturelle.

Les étudiants ne sont pas étrangers à cette effervescence, si l'on en croit l'étude de François Birck, pas davantage que les intellectuels. Ces derniers souhaitent enraciner leurs travaux dans un régionalisme refondé qui, selon les mots d'André Markiewicz, « doit ouvrir des perspectives dans le domaine de la création ». Laurence Jeandidier en fournit d'éloquents exemples, empruntés à l'architecture, aux arts décoratifs (Gallé, bien sûr, mais aussi Daum, Majorelle…), aux arts graphiques (« grâce au papier, l'art de l'École de Nancy circule entre toutes les mains »), ou encore à la peinture. Le rappel, par Paul Robaux, de l'Exposition internationale de l'Est de la France (1909), ou les fêtes et spectacles divers, qu'ils soient d'ordre patriotique, sportif ou culinaire, décrits sous la plume de Florence Daniel-Wieser, complètent ce panorama d'une vie nancéienne décidément très marquée par l'Art nouveau au tournant du siècle.

Un paysage urbain transfiguré

Comme celle de Nancy, l'exposition mise en place à Langres met en évidence combien les matériaux récents sont justiciables des mesures de conservation et de mise en valeur habituellement réservées à des pièces plus anciennes. Car si l'histoire, fût-elle contemporaine, « s'écrit avec des documents », selon la formule d'Henri Marrou, il est primordial de faire porter une réflexion sérieuse sur le caractère potentiellement patrimonial, pour le moins, de la production des dernières années ou des décennies tout juste écoulées.

Ainsi, en association avec le service Patrimoine de la ville de Langres, la bibliothèque municipale s'efforce de constituer « un fonds documentaire concernant les mutations de l'urbanisme langrois depuis 1950 », par une campagne active de collecte, d'acquisitions et de dépouillement des collections générales. Ces enrichissements continus constituent le complément indispensable du fonds Henri-Gabriel Jannel, du nom d'un architecte langrois spécialiste de l'histoire architecturale de la cité. Les matériaux ainsi rassemblés ont permis à David Covelli et Pierre Donard de retracer la Révolution urbaine à Langres, entre 1950 et nos jours, période durant laquelle « la superficie urbanisée va être multipliée par huit ». La crise du logement dans l'après-guerre et les constructions qui s'ensuivent, les débuts de l'industrialisation, le développement du réseau routier, la création d'une ville nouvelle et une politique contestée pour la rénovation du centre-ville sont quelques-uns des moments de cette fulgurante transformation de Langres durant le demi-siècle écoulé.

Autre son de cloche

Terminons sur une note allègre en présentant le plus original, peut-être, de ces catalogues du dixième anniversaire du « Mois du patrimoine écrit », qui fait entendre un bien sympathique son de cloche. La bibliothèque de Saint-Quentin, dans l'Aisne, célébrait en effet les « mémoires campanaires » de la cité picarde, « dernière articulation méridionale du Nord-Flamand qui a été le berceau le plus fécond de l'art campanaire ». Présentées par Alexis Grandin, les archives de Gustave Cantelon, qui fut en son temps doyen des carillonneurs de France, ont été confiées en dépôt à la ville. Elles fournissent, dans leur diversité (mémoires, méthodes et jeux musicaux, loto musical, enregistrements, partitions…), le matériau d'une évocation souvent passionnante de la musique de carillon, une activité dont l'importance n'est pas seulement artistique, mais apparaît aussi comme sociale, voire politique et, aux heures cruciales de l'histoire, patriotique.

Francis Crépin, carillonneur municipal, rend hommage à l'instrument dont il est aujourd'hui le titulaire en le situant dans une tradition qui remonte au milieu du XVIIe siècle. La fonte des cloches en 1917, la campagne pour la reconstruction entamée dès 1919, l'inauguration de 1924 et la restauration de 1985 sont quelques-uns des événements marquants de cette page singulière de la vie culturelle saint-quentinoise.

En une décennie fructueuse à bien des égards pour le patrimoine écrit et graphique, la collection « (Re) découvertes », forte à présent de cinquante-trois fascicules auxquels s'ajoutent cinq volumes hors-série, constitue désormais une documentation de grand intérêt sur les richesses en définitive si variées et parfois inattendues des bibliothèques françaises, à placer à côté des dix tomes du Patrimoine des bibliothèques de France, un guide des régions 1.