Les bibliothèques musicales publiques

le modèle allemand (1902-1997)

par Dominique Hausfater

Marcel Marty

Paris : Éd. de l'Enssib, 1999. – 191 p. ; 24 cm. ISBN 2-910227-27-8. 150 F/22,86 euros.

La question des bibliothèques musicales publiques, si elle n'est pas récente, a toujours été pudiquement esquivée en France et n'a que depuis récemment suscité quelques études et projets de réalisation sérieux. La décision de l'Enssib de publier ce mémoire d'étude est donc hautement significative et vient appuyer les efforts du Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) et de l'Association pour la coopération de l'interprofession musicale (Acim) pour alerter les professionnels français.

Car s'il s'agit bien ici d'une passionnante histoire des bibliothèques musicales publiques allemandes au XXe siècle, la vraie problématique est celle de la malheureuse exception française, le modèle allemand n'en constituant qu'un contre-exemple. L'auteur écarte d'emblée toute tentative de justification culturelle de cette pseudo-« incongruité » – une collection musicale de livres et partitions en bibliothèque publique –, en rappelant que, loin d'être une lubie émanant d'une nation supposée plus « musicale » que la France, elle était déjà, à la fin du siècle dernier, une réalité aux États-Unis et en Grande-Bretagne, pays qui comptait en 1900 quatre-vingt-sept bibliothèques publiques disposant de véritables fonds musicaux !

Pour mieux éclairer son propos, très sérieusement documenté et étayé de nombreux chiffres et statistiques, l'auteur encadre un parcours chronologique, amplement justifié par les profonds bouleversements politiques subis par l'Allemagne au cours du siècle, par deux chapitres consacrés à la France et limite en outre volontairement son propos à une triple problématique : celle des missions, des collections et des publics.

La malédiction des supports

Si les bibliothèques françaises n'ont pas bénéficié de l'impulsion déterminante d'un Paul Marsop, fascinante personnalité à l'origine des premières bibliothèques musicales populaires au début du siècle (l'Allemagne en comptait trente en 1929), elles n'ont jamais non plus voulu prendre en considération la spécificité du domaine musical – tant en termes de collections que de public.

Alors qu'en Allemagne, la musique a toujours été le fondement de la médiathèque musicale, les collections de livres et partitions ayant naturellement et progressivement intégré de manière rationnelle de nouveaux médias (microsillons, puis CD) – comme l'atteste la dénomination même de ces établissements, Mubis (Musikbibliotheken), de préférence au terme de médiathèques –, les discothèques publiques en France se sont constituées autour d'un support – le document sonore – qui les a marginalisées, pour découvrir ensuite qu'il concernait dans sa très grande majorité la musique et générait un nouveau public, de nouveaux besoins, et donc, de nouveaux supports documentaires.

Le constat est d'autant plus douloureux que l'évolution socioculturelle récente des deux pays présente de nombreuses similitudes. Les statistiques avancées par l'auteur rejoignent les chiffres dont on dispose pour la France, tant en matière de pratique musicale que de public des bibliothèques musicales, en majorité jeune, masculin et éduqué.

Une politique de coopération

Les établissements germaniques ne doivent leur succès et leur longévité, c'est évident, qu'à leur parfaite intégration dans le tissu culturel local. Cette constante action de partenariat avec tous les acteurs de la vie musicale, présente dès la création des premiers établissements, leur a seule permis de survivre aux remous politiques et économiques subis au cours du siècle, tant à l'Ouest qu'à l'Est. Elle est due également à l'investissement remarquable de nombre de professionnels qui ont effectué un important travail de réflexion sur leurs missions et leur public, ont mis en place une formation professionnelle adéquate et ont œuvré pour une vraie coordination documentaire, proposant en 1985 un « modèle de la bibliothèque musicale publique », très précis et qui reste encore, à l'heure actuelle, un schéma de référence.

Si beaucoup reste à faire – comme l'admettent l'auteur et ses interlocuteurs outre-Rhin –, il n'en demeure pas moins qu'en 1994, l'Allemagne peut s'enorgueillir de proposer à sa population soixante-quatorze réelles Mubis dotées de 2,8 millions de documents, dont la moitié sont des partitions. Elle constitue donc bien un modèle possible sur lequel il convient de méditer…