Dans une bibliothèque universitaire néerlandaise
Kees Klijs
J'ai vu le jour en 1943 à Dongen, près de Breda, dans le sud des Pays-Bas. À la fin de mes études secondaires, en 1961, j'ai commencé des études de chimie à l'université d'Utrecht. J'en suis sorti en 1968, après m'être spécialisé en biochimie et microbiologie, et j'ai été nommé assistant de recherche au laboratoire de microbiologie de l'université de Groningen, avec une charge d'enseignement et de recherche. Comme dans la plupart des disciplines universitaires, l'hyperspécialisation était ici de règle. Malgré toute ma fascination pour la recherche scientifique et les conditions de travail offertes aux universitaires, j'ai réalisé, au bout de quelques années, que ce type de travaux scientifiques extrêmement pointus ne correspondait pas exactement à l'avenir dont j'avais rêvé. Aussi me suis-je mis en quête d'un poste qui me permettrait de rester dans le milieu universitaire, mais avec un champ d'activités plus large. J'étais très tenté par la documentation scientifique, autrement dit la quête d'informations, leur évaluation, leur compilation, leur description. Je souhaitais de surcroît élaborer des systèmes documentaires susceptibles de faciliter la recherche, l'éducation et l'enseignement.
En 1973, le poste de responsable des domaines chimie et médecine de la bibliothèque de l'université d'Utrecht se libéra. Je posai ma candidature et y fus nommé en janvier de l'année suivante. C'est ainsi que j'entamai une carrière de bibliothécaire sans posséder aucun diplôme professionnel dans ce secteur. De nos jours encore, le cas n'est pas si rare dans les bibliothèques universitaires néerlandaises. Une spécialisation aussi poussée que possible dans la discipline concernée est en effet un élément déterminant dans la nomination des bibliothécaires en charge d'un domaine. Les candidats doivent pouvoir présenter un diplôme sanctionnant un cycle d'études complet, ce qui, dans les matières scientifiques du moins, est en principe incompatible avec une formation en bibliothéconomie.
Formation
Tout en assumant mes nouvelles fonctions, je dus donc suivre le troisième cycle de bibliothéconomie et sciences de l'information de l'université d'Amsterdam. Deux ans durant, à raison d'un jour par semaine, je m'initiai aux principes généraux et à l'histoire de la profession, ainsi qu'à ses méthodes et à ses pratiques. En même temps, mon travail quotidien m'apprenait énormément de choses. Les tâches traditionnelles liées au suivi des collections, à l'indexation matières et au renouvellement du fonds d'usuels bénéficiaient alors des nouvelles possibilités offertes par la recherche documentaire en ligne. En me nommant à ce poste, on m'avait prévenu que je serais tout particulièrement chargé d'équiper la bibliothèque de services de recherche en ligne pouvant notamment répondre aux exigences des enseignants en chimie. À cette époque, il était déjà possible de consulter plusieurs bases de données en ligne via des ordinateurs « hôtes » américains ou européens, entre autres Lockheed (rebaptisé DIA-LOG), SDC, ESA, Telesystemes et DIMDI. Les « hôtes » étaient accessibles (à 300 bauds!) à partir de réseaux de télécommunication qui ont ouvert la voie à Internet. L'université d'Utrecht fut d'ailleurs l'une des premières d'Europe à proposer à grande échelle de tels services en ligne à ses utilisateurs. J'ai trouvé passionnant d'étudier les systèmes d'exploitation et les bases de données qui, au fil des ans, couvraient un nombre croissant de disciplines. Parallèlement, je parachevai ma formation en suivant surtout des cours sur l'informatisation des bibliothèques et de la recherche documentaire. Je finis d'ailleurs par enseigner moi-même à mi-temps ces matières dans différentes écoles de bibliothécaires, ainsi qu'à l'université d'Amsterdam.
Je m'installai de la sorte dans le métier de bibliothécaire, en privilégiant les nouveaux systèmes et les nouvelles méthodes. Ainsi ai-je activement participé à l'informatisation de la bibliothèque, en particulier à l'élaboration du catalogue en ligne mis en service en 1983. En nous appuyant sur l'expérience acquise à partir des bases de données en ligne, mes collègues et moi-même nous efforcions alors de faire progresser l'indexation matières et les outils de recherche du catalogue en ligne.
Dans les bibliothèques
La nature de mon travail m'orientait désormais vers l'organisation et la prise de décisions. Bien que les questions théoriques et la spécificité de notre profession me passionnent davantage, je finis donc par accéder à un poste de responsabilité. J'avais pris conscience qu'il ne suffit pas de savoir et de montrer aux autres comment s'y prendre, mais qu'il faut aussi, pour que les choses se fassent, organiser et décider, et qu'en définitive, c'est dans ce sens que je voulais travailler.
En 1986, le poste de directeur adjoint de la bibliothèque de l'université de Leyde se libéra. Après quelque hésitation, due à l'obligation d'assumer aussi la direction des services techniques et administratifs, je décidai de poser ma candidature après que le conservateur en chef m'eut assuré que j’aurais à superviser des secteurs plus directement en rapport avec la profession, telles l'indexation matières, la bibliographie et l'informatisation de la bibliothèque. Le comité de bibliothécaires à qui il revenait d’effectuer la sélection me confia le poste en 1987. Désormais responsable d'un nombre de services conséquent et du travail d'environ 75 personnes, je ne tardai pas à m'apercevoir qu'à la place qui était la mienne, il est peu fructueux de présenter des plans et des projets séduisants si l'on ne sait pas motiver les gens qui doivent les mettre en oeuvre. Aussi ai-je suivi différents cours d'administration (générale et relative aux bibliothèques), tout en apprenant, cette fois encore, beaucoup de ma pratique quotidienne et des conseils de mes collègues. L'évolution de ma carrière vers la gestion et l'administration m'amena pour finir à souhaiter assumer pleinement la responsabilité d'une bibliothèque universitaire.
L'occasion s'en présenta en 1991, année où le poste de directeur des bibliothèques de l'université de technologie de Eindhoven devint vacant. Je l'obtins après avoir été choisi par un comité composé de membres du conseil d'administration de l'université de technologie, du directeur d'une autre bibliothèque universitaire et de plusieurs bibliothécaires. En sus de l'expérience professionnelle et administrative, la formation scientifique est en effet un atout pour occuper des fonctions de direction au sein d'une université technique.
Hors des bibliothèques
Pendant toutes ces années, ma participation active à la vie des bibliothèques néerlandaises m'a mis en contact avec quantité de mes collègues. Après avoir participé à divers groupes de travail et associations professionnelles, je suis entré dans le conseil d'administration de l'Association néerlandaise des bibliothécaires. J'en ai été le vice-président de 1992 à 1994, et le président de 1994 à 1996. Les relations ainsi nouées m'ont beaucoup aidé à multiplier les contacts et les échanges d'expériences à l'échelle de mon pays. Je tiens également à souligner que j'ai énormément appris de mes collègues à l'occasion des colloques nationaux et internationaux qui nous réunissent.
Après les systèmes de documentation en ligne, les bases de données sur cédéroms, l'informatisation des bibliothèques, les ordinateurs personnels et les premiers réseaux d'ordinateurs, nous voici arrivés à l'ère d'Internet, avec à l'horizon la bibliothèque entièrement numérisée de demain à laquelle nos utilisateurs auront accès de chez eux. Assez naturellement, le public amené à fréquenter la bibliothèque d'une université de technologie souhaite disposer d'équipements techniques de pointe, tout en exigeant des supports et des systèmes d'exploitation fiables. Il faut donc trouver un juste milieu entre les sources et les services qui ont fait leurs preuves, d'une part, et, de l'autre, les innovations performantes.
Travailler dans une bibliothèque universitaire est fascinant, lorsque les fonctions qu'on y occupe combinent un travail de nature universitaire portant sur de nombreuses disciplines avec la gestion et l'administration de systèmes et de services, et, plus important encore, parce qu'elles permettent de nouer des relations humaines enrichissantes. En ce qui me concerne, j'ai eu le privilège d'avoir pu travailler de la sorte dans différentes universités.
Octobre 1999