Bibliothécaires en Catalogne

Lluís M. Anglada i de Ferrer

C'est à la petite bibliothèque d'un centre universitaire que j'ai eu mon premier poste de bibliothécaire. Puis, pendant six ans, j'ai pratiqué le catalogage au centre chargé de la bibliographie nationale de Catalogne. C'est à cette époque que j'ai approfondi mes connaissances sur les normes, collaboré à l'adaptation catalane du format MARC et travaillé à l'automatisation des bibliothèques en tant qu'analyste pour le programme « in house » utilisé par le centre. Après avoir enseigné pendant trois ans à l'École de bibliothéconomie de Barcelone, j'ai été nommé directeur des bibliothèques de l'université polytechnique de Catalogne, poste que j'ai occupé pendant huit ans. Depuis maintenant deux ans, je suis directeur du Consorci de biblioteques universitàries de Catalunya.

C'est par des contacts personnels et en répondant à des annonces publiques que j'ai obtenu ces différents postes. J'ai dû passer plusieurs épreuves de sélection (sept !), des concours, des entretiens et présenter mon cursus dans mon curriculum vitæ pour l'essentiel. Comment devient-on directeur de bibliothèque ? Je dirais qu'il faut au moins deux choses : avoir de la chance et ne pas redouter les défis. La chance se présente ou ne se présente pas, mais quand elle est là, il faut être prêt à la saisir, ne pas hésiter si l'on veut en profiter. La direction d'une bibliothèque procure des satisfactions, mais donne des responsabilités : il faut être prêt à les assumer et ne craindre ni l'échec ni les critiques des collègues.

Choix ou hasard ?

Dans mon cas, c'est le hasard qui a fortement joué dans l'exercice de ce métier. J'ai toujours aimé les livres ainsi que le patient et méticuleux travail des bibliothécaires, mais c'est surtout la logique qui était ma passion. J'ai commencé à étudier les mathématiques pour le plaisir, car leur étude était peu développée dans la filière des sciences exactes. J'ai décidé d'étudier la logique en autodidacte et, pour gagner ma vie, j'ai choisi des études courtes dont les débouchés demandaient moins d'heures de travail que la plupart des emplois. Si je suis tombé juste, au sens où j'ai effectivement trouvé un emploi, je me suis trompé sur les heures requises. En effet, à mesure que j'exerçais le métier de bibliothécaire, je m'y intéressais de plus en plus et lui consacrais toute mon attention.

Je dois reconnaître qu'aujourd'hui, mon travail n'a pratiquement rien à voir avec le métier tel que je le voyais quand j'ai commencé. D'une part, il relève davantage de la gestion, travail très différent du travail de catalogage et d'accueil de mes débuts. D'autre part, tout a beaucoup changé. La fonction de bibliothécaire est bien plus spécialisée qu'à mon époque, le travail se fait davantage en équipe et il va sans dire que l'informatique joue un rôle de plus en plus important que nous étions loin d'imaginer il y a vingt-cinq ans.

Formation

Les études de bibliothécaire existaient à Barcelone. Ce fut une chance pour moi. La préparation durait trois ans, mais le diplôme n'était pas reconnu par le ministère de l'Éducation. En revanche, la formation était solide et les débouchés nombreux. Je me suis ensuite inscrit en philosophie, mais si cette formation m'a personnellement été utile, elle ne m'a rien apporté au niveau professionnel.

La formation continue, suivie en autodidacte, m'a été indispensable. J'ai toujours pris soin de mettre à jour mes connaissances professionnelles dans le domaine correspondant à mes fonctions successives, mais sans suivre de cours préétablis. Si j'ai assisté à quelques cours organisés par l'Association des bibliothécaires de Catalogne et par d'autres organismes, j'ai surtout lu beaucoup d'ouvrages professionnels, j'ai assisté à des congrès, discuté avec des collègues et visité des bibliothèques. Je crois que, de toutes ces activités, c'est la lecture d'ouvrages professionnels qui est la plus importante au regard de la formation continue. Nous avons la chance, dans notre métier, de disposer d'excellents livres qui nous invitent à réfléchir sur les développements observés à l'étranger, la situation actuelle et les défis du futur. Les stages de formation continue sont un moyen de recevoir beaucoup d'informations en peu de temps, l'essentiel étant de les assimiler et de les appliquer à notre réalité et à notre environnement.

En Espagne, il n'y a pas de formation spécifique par type de bibliothèque. Tous les bibliothécaires peuvent travailler partout, même s'il est vrai que le recrutement du personnel de direction se fait en examinant les candidatures des employés de bibliothèques du même type. Cela est sûrement dû aux relations personnelles et à une certaine endogamie. Mais je ne crois pas que, de nos jours, la différence entre les bibliothèques soit si importante. Elle réside plutôt dans les services proposés, le mode de gestion et la qualité offerte.

Polyvalence et spécialité

Les études de bibliothécaire, du moins dans mon pays, accordent dès le départ une grande importance à la spécialisation. En approfondissant en ce sens, on peut apprécier la valeur d'un bibliothécaire et, partant, avoir la possibilité de relever un nouveau défi. Mais dès que l'on change de poste, il faut savoir abandonner la vision du spécialiste pour envisager le travail sous de nouveaux angles ; à ce titre, la polyvalence est primordiale. Dans une bibliothèque, aucun travail n'a de sens en soi. Ils sont tous liés et il est nécessaire d'avoir une vision d'ensemble pour s'adapter aux changements, améliorer les services et innover.

Travailler hors des bibliothèques est très difficile ; cela est vrai pour la plupart des pays, pour le mien aussi. C'est pourtant paradoxal. En effet, s'il a l'esprit ouvert, le bibliothécaire est un professionnel capable d'apporter énormément de choses à d'autres emplois. En Angleterre, par exemple, des directeurs de bibliothèque universitaire ont fini par diriger à la fois des services de bibliothèque, de langues et d'informatique. Le grand problème des bibliothécaires – et je ne sais pas à quoi cela tient – est que les employeurs nous voient toujours comme des bibliothécaires et ne nous proposent pas d'emplois différents. Mais peut-être, de notre côté, aimons-nous trop les bibliothèques pour les abandonner!

Un regard en arrière

Les différences sont nombreuses entre les possibilités de carrière que j'ai eues et celles qui sont offertes aujourd'hui aux jeunes bibliothécaires. Ces dernières sont meilleures ! En premier lieu, la formation actuelle est de meilleure qualité et l'exercice du métier a plus de qualité. Au début de ma carrière, il y avait beaucoup de volontarisme et peu de formation. Aujourd'hui, il y a beaucoup de professionnalisme et de rigueur. En second lieu, il y a vingt-cinq ans, les bibliothèques étaient les seuls lieux de travail accessibles. Aujourd'hui, les jeunes peuvent trouver des emplois moins « standard » et plus novateurs en entreprise. Pour conclure, le métier est mieux valorisé aujourd'hui, socialement parlant; les fonctions d'aujourd'hui sont plus gratifiantes, plus visibles et plus satisfaisantes. Cette tendance peut s'accentuer si nous nous y prenons bien.

Octobre 1999