L'intelligence économique

mode d'emploi

par Jean-Philippe Accart

Jean-Pierre Bernat

Pierre Achard

Préf. de Jean Michel. Paris : ADBS Éd., 1998. – 250 p. ; 24 cm. – (Sciences de l'information : Série Études et techniques). ISBN 2-84365-017-8 : 260 F/ 39,63 euros

Les éditions de l'Association des professionnels de l'information et de la documentation (ADBS) nous livrent, dans leur collection noire consacrée aux aspects à la fois pratiques et théoriques des sciences de l'information, un ouvrage at tendu par de nombreux profession nels. L'intelligence économique concerne, en effet, la majorité des documentalistes exerçant dans le monde de l'entreprise. Cette notion, plus connue sous le terme de « veille », est prise ici dans une acceptation large, « globalisante ». Les auteurs ont voulu explorer les différentes facettes d'un concept qui a tendance à se développer et dépasse la conception habituelle et traditionnelle de ce que l'on entend habituellement par « veille ». On comprend donc mieux pourquoi un tel ouvrage correspond aux attentes d'un public professionnel en mal d'informations, de techniques, de méthodes.

Les auteurs sont issus du monde de l'entreprise et leur expertise donne à l'ouvrage un accent de vérité et de clarté que doit avoir tout ouvrage de ce type : Pierre Achard, docteur en médecine, est responsable de la veille concurrentielle dans un groupe pharmaceutique ; Jean-Pierre Bernat exerce les mêmes fonctions au sein d'un groupe industriel. Ils sont tous deux des membres actifs de SCIP France, l'Association française pour la promotion de l'intelligence économique et concurrentielle.

De l'information à l'intelligence

Six chapitres, agrémentés de bibliographies sélectives, divisent l'ouvrage. « L'intelligence économique » (I) est une introduction au monde de l'information, où l’on « s'interroge sur le mot intelligence ». Le chapitre pose d'emblée que les décideurs ont besoin d'information afin de les aider dans leur prise de décision. Qu'est-ce que l'information ? Elle est « partagée », « diffusée », « multidimensionnelle », « adaptée », « en temps réel », « dans un langage universel ». Elle peut être centralisée, décentralisée, en réseau. Qu'est-ce que l'intelligence ? Consiste-t-elle dans la résolution de problèmes complexes ? Elle repose dans la rapidité à les analyser et à leur trouver une solution ; elle demande donc des capacités d'analyse et de synthèse. On peut en distinguer plusieurs types : créative, analytique et pratique. Petit à petit, en quelques paragraphes et schémas synthétiques, les auteurs nous amènent à comprendre comment on passe de l'information à l'intelligence ; le rôle du veilleur est ainsi abordé dans ce qu'il apporte de valeur ajoutée à la collecte pure et simple de données pertinentes et à leur croisement. Le concept d'intelligence économique se comprend alors mieux ; il regroupe des notions jusqu'alors différenciées et qui sont pourtant en synergie : veille technologique, marketing, brevet, financière, juridique, sociale… Cette approche permet de décloisonner les activités de l'entreprise et d'apporter aux décideurs des réponses pratiques.

Les sources d'information

« L'information au cœur de l'intelligence économique » (II) traite de la question de la sélection et de la qualification des sources d'information. Celles-ci sont formelles (écrites, imprimées, électroniques) ; informelles (le « capital intellectuel » de l'entreprise). L'information fournie doit présenter certaines qualités : exactitude, mise à jour, liée au contexte. De manière formelle, elle doit être traitée rapidement, être explicite, accessible économiquement. D'autres critères la qualifient : la couverture géographique, la nature juridique de l'entreprise, son secteur d'activité.

Les auteurs insistent ensuite longuement sur l'information et sur la désinformation vue comme une information « truquée ». L'intelligence économique a cependant ses limites, car la technologie évolue sans cesse et l'entreprise est confrontée à une complexité croissante. Le veilleur doit suivre une éthique professionnelle stricte et ne pas confondre intelligence et espionnage. Son intégrité s'allie à une réactivité immédiate à l'environnement externe et interne (qualifiée alors de « proactivité »).

Cultures d'entreprise, concurrence et performance

« L'intelligence économique à travers le monde » (III) traite des différentes dimensions culturelles de l'intelligence économique : au cœur de cette réflexion se trouvent l'entreprise et la culture propre qu'elle a développée. Il n'y a pas un modèle, mais des modèles de cultures d'entreprise. Les auteurs analysent ensuite les différentes conceptions de l'intelligence économique dans plusieurs pays : le Japon, où le groupe prime sur l'individu ; les États-Unis, où l'intelligence économique est un fait de société et où elle est un instrument redoutable en matière économique ; l'Europe, où ce concept se développe, et où il est adapté en fonction des diversités socioculturelles ; enfin, la France, qui marque un certain retard en la matière et oscille entre le modèle américain et le modèle japonais.

« Avantage concurrentiel de l'intelligence économique » (IV) montre le lien étroit qui existe entre intelligence économique, concurrence et performance de l'entreprise. L'approche du rôle du veilleur est approfondie avec l'importance pour lui de faire preuve d'« opportunisme » : détecter ce qui peut donner à l'entreprise un avantage concurrentiel, mobiliser les acteurs internes de l'entreprise, tirer les conclusions pour la meilleure exploitation possible. Il lui faut aussi admettre les erreurs. Par leur démonstration, les auteurs expliquent comment l'intelligence économique conduit à l'innovation et combien il est nécessaire de communiquer afin de créer une dynamique apprenante au sein de l'entreprise.

Méthodologie

« Méthodologie de l'intelligence économique » (V) s'attache en premier lieu aux problèmes liés à la diffusion de l'information, avec le « trop d'information tue l'information », avec l'affirmation que l'information ne doit pas être détenue par certaines puissances économiques sous peine d'entraîner la dépendance des autres. Trois dimensions caractérisent l'intelligence économique : la dimension culturelle, car dépendante du pays dans lequel elle s'exerce ; la dimension liée à l'activité de l'entreprise ; et la dimension relative à la taille de celle-ci. La méthode proposée est de mobiliser, autour de l'intelligence économique, la direction générale, et les salariés afin de faire face à la concurrence et à l'incertitude.

« Intelligence économique et capital humain » (VI) clôt cet ouvrage riche en montrant l'importance de mettre en relation les informations externes et les savoirs internes à l'entreprise : mettre à jour les connaissances, créer un réseau et capitaliser celles-ci permettent une meilleure gestion du (des) savoir(s). Une autre étape consiste à adapter les savoirs recueillis aux besoins de l'entreprise et à transférer les savoir-faire. La conclusion « Quel veilleur pour quelle veille ? » donne une définition précise du professionnel de l'intelligence économique. Sept annexes viennent compléter l'ouvrage en citant des exemples concrets tels la lecture d'un rapport annuel, les critères d'efficacité de la veille, le rapport d'étonnement, la veille congrès, la veille sur Internet, la gestion des relations, la veille et le bench marking.