Reliures royales de la Renaissance, la librairie de Fontainebleau, 1544-1570

par Philippe Hoch

Fabienne Le Bars

Marie-Pierre Laffitte

Publ. dans le cadre de l'exposition présentée dans la galerie Mazarine de la Bibliothèque nationale de France, du 26 mars au 27 juin 1999. Paris : BnF, 1999. – 247 p. : ill. ; 31 cm. ISBN 2-7177-2066-9 : 340 F/51,83 euros

Bien qu’ils forment le noyau des collections précieuses de la Bibliothèque nationale de France (BnF), les trésors manuscrits et, dans une moindre mesure, imprimés provenant de la « librairie » des rois de France sont loin d’avoir épuisé la curiosité des bibliophiles. Couronnant de patientes recherches, plusieurs manifestations et publications ont cependant permis, ces dernières années, de mesurer toute leur importance, qu’on les considérât du point de vue de la philologie et de l’histoire, ou encore sous l’angle de l’enluminure et de la reliure. Ainsi, en 1992, dans leur mémorable catalogue Des livres et des rois, Marie-Pierre Laffitte et Ursula Baurmeister étudiaient la bibliothèque de Blois, fondée par Charles d’Orléans et enrichie par son fils Louis XII.

Sept ans plus tard, c’est la librairie de Fontainebleau, issue du fonds de Blois, qui se trouvait à l’honneur avec une exposition appelée à faire date présentant un choix de Reliures royales de la Renaissance. Il s’agissait, soulignons-le au passage, de la première manifestation de la BnF consacrée dans son intégralité à la reliure ancienne ; signe, peut-être, que ce domaine, marginal entre tous, pourrait franchir les limites du cercle par trop étroit dans lequel ses spécialistes se trouvent confinés. C’est en compagnie, cette fois, de Fabienne Le Bars – auteur d’une thèse de l’École des chartes sur la reliure parisienne au XVIe siècle et d’articles remarqués sur ce même sujet – que Marie-Pierre Laffitte a sélectionné 157 pièces issues des collections bellifontaines.

Un catalogue, exemplaire comme le précédent, conserve la mémoire de cette réunion elle-même exceptionnelle ; il est appelé, à n’en pas douter, à faire autorité et, il faut le souhaiter, à servir de modèle pour d’autres recherches semblables qui pourraient être entreprises sur des périodes postérieures ou des collections étrangères. À l’instar d’ouvrages précé demment édités par la BnF, les Reliures royales de la Renaissance allient – exercice difficile ! – l’érudition la plus sûre à la clarté de l’exposé. En raison de la qualité des reproductions en quadrichromie et de la sobre élégance de la mise en page, la plus savante des publications fait également figure de livre d’art. On ne serait pas surpris qu’un prix vînt couronner un tel travail.

Mécénat royal

Le volume s’ouvre sur une présentation d’ensemble de la librairie de Fontainebleau, de 1544, date du transfert de la bibliothèque de Blois, à 1570 environ, lorsque les collections gagnent Paris. Marie-Pierre Laffitte et Fabienne Le Bars écrivent là une belle page d’histoire culturelle, évoquant le riche contexte intellectuel et artistique dans lequel les collections de François Ier et de ses successeurs doivent être replacées. L’accent est mis, à juste titre, sur l’important mouvement bien connu de traduction et d’édition des textes antiques, voulu et soutenu par le roi, mais aussi sur le rôle joué dans ce mécénat par la création du Collège royal, « pierre angulaire du dispositif culturel suggéré à François Ier par le groupe d’érudits qui l’entoure ».

Autre élément majeur de la politique alors mise en œuvre, Fontainebleau recueille « une quantité tout à fait extraordinaire de manuscrits grecs qui en font une bibliothèque savante » propre à satisfaire les exigences des lettrés. Ces documents – mais il s’agit parfois de collections déjà constituées – sont acquis, surtout à Venise, par des ambassadeurs ou à l’occasion de missions ; d’autres entrent dans les collections par la voie de dons qui ne parviennent cependant pas à contrebalancer « l’inconstance et l’incurie royale [qui] freinent le bon déroulement des campagnes d’achat », François Ier n’ayant en définitive pas déployé tout le zèle qu’il eût fallu manifester pour que son ambition, haute et sincère, pût pleinement se réaliser.

« Ex bibliotheca regia »

Envisagée d’abord dans le cadre de l’humanisme français, voire européen, la bibliothèque est ensuite décrite, en un plan plus rapproché, sous l’angle de ses locaux installés dans une résidence où « rien n’est trop beau » ; de son fonctionnement, tributaire du travail du « libraire ordinaire de la chambre du roi », du « maître de la librairie » (citons parmi les titulaires de cette charge Guillaume Budé, Pierre Du Chastel ou Jacques Amyot), ou encore des gardes auxquels la gestion quotidienne des collections est confiée, sans parler des copistes tels qu’Ange Vergèce, pour ne mentionner que le plus célèbre d’entre eux. Quant au public admis à Fontainebleau, il est composé pour l’essentiel de savants désireux d’éditer des manuscrits « ex bibliotheca regia » (d’après l’exemplaire de la bibliothèque du roi) et qui sollicitent à cet effet l’emprunt des précieux parchemins.

Introduit par ce copieux exposé, le catalogue proprement dit présente, dans l’ordre chronologique, un dixième environ des 1 300 reliures exécutées pour les rois de France entre 1515 et 1565, aujourd’hui réparties entre le département des Manuscrits et la réserve des livres rares. Chaque section chronologique, depuis l’« avant-Fontainebleau » jusqu’à « la fin du programme bellifontain », fait l’objet d’une présentation d’ensemble, parfois divisée en plusieurs textes plus courts, où sont examinés les relieurs, lorsqu’ils sont identifiés, les techniques employées, les styles caractéristiques de chaque époque ou de chaque doreur, les influences (notamment orientales) subies ou exercées, etc.

Humanisme oblige

Des années antérieures à l’installation au château de Fontainebleau datent les travaux d’Étienne Roffet, premier artisan à porter le titre de « relieur du roi » ; des reliures de dédicace pour François Ier, attribuables à différents ateliers dont ceux du « relieur de Salel » et de Jean Picard ; une cinquantaine de reliures italiennes (d’origine milanaise, vénitienne ou romaine) offertes au roi ou acquises à son intention. L’atelier de Fontainebleau, qui fonctionna de 1545 à 1552, réalisa un impressionnant programme de reliure – quelque 855 pièces furent exécutées en moins de dix ans – dont bénéficièrent, dans l’ordre – humanisme oblige ! – les manuscrits grecs, les livres imprimés en grec et dans d’autres langues (notamment l’italien), les manuscrits latins et enfin les ouvrages en langues orientales. Ange Vergèce paraît en avoir été l’inspirateur et le responsable.

À partir du printemps 1552, les reliures royales sont l’œuvre non plus de l’atelier bellifontain, mais de l’officine parisienne du relieur du roi, qui, dans un contexte florissant, peut alors se targuer, avec celles de ses confrères, d’un « rayonnement européen ». La décennie qui s’ouvre alors et nous conduit jusqu’à la mort d'Henri II (1559) apparaît bien, pour les collections royales, comme un « âge d’or ». Si la quantité de commandes diminue très fortement, les réalisations sorties des mains d’un Gomar Estienne ou d’un Claude Picques forment une suite « prestigieuse d’objets d’art uniques ». Peu nombreuses, ces reliures « comptent parmi les plus spectaculaires de la Renaissance ». Sous François II, le luxe des grands décors dorés, des mosaïques et des impressionnantes tranches ciselées cède le pas à une production moins recherchée mais aussi plus abondante, caractéristique de « la fin du programme bellifontain ».

Les spécialistes trouveront, à l’intérieur de chacune des sections du catalogue, des notices fort précises où chaque pièce se trouve décrite en détail et mise en rapport avec d’autres exemples du groupe auquel elle appartient. Qu’il s’agisse de la couture, de la couvrure, de l’ornementation ou de la ciselure des tranches, du décor des plats ou du dos, rien n’échappe à l’attention de Marie-Pierre Laffitte et Fabienne Le Bars, qui démontrent ici la fécondité de recherches véritablement scientifiques, par la rigueur de la méthode mise en œuvre et du vocabulaire utilisé, appliquées au domaine si difficile de la reliure. Un glossaire – dont les néophytes ne seront pas seuls à tirer profit –, une bibliographie, la table des pièces exposées et un index constituent les indispensables appendices de cette belle somme d’érudition et de bibliophilie.