Les cDI (centres de documentation et d'information) des lycées et collèges
Françoise Chapron
Françoise Chapron, maître de conférence en sciences de l’éducation à l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) de Rouen, responsable de la préparation au CAPES de documentation, fait le point sur l’évolution des centres de documentation et d’information (CDI) en collèges et lycées. Forts de quarante années d’existence, les CDI ont connu de nombreuses et profondes transformations, induites par une nécessaire adaptation à un contexte documentaire étroitement lié aux NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) et à une mutation du contexte scolaire et pédagogique. L’auteur propose un tour d’horizon complet qui retrace la naissance et le développement des CDI dans un premier temps, mais surtout qui se veut prospectif et militant, dans un second temps, en soulignant leurs missions et leurs enjeux à l’aube du XXIe siècle.
Naissance des CDI
Il existait une offre documentaire minimale dans les établissements scolaires français jusqu’en 1945. Mais cette dernière souffrait d’un éparpillement des moyens (en bibliothèques de classe, bibliothèques spécialisées des professeurs, etc.) et d’une couverture aléatoire des publics, puisqu’elle reposait pour l’essentiel sur des initiatives et des compétences personnelles. Odette Brunschwig, inspectrice générale de l’Instruction publique, œuvrera la première pour une rationalisation de ces ressources documentaires, fortement influencée par la pédagogie nouvelle qui fleurit après-guerre et le modèle américain de la « bibliothèque de l’Heure Joyeuse », créée en 1924. Dès 1950, cette volonté de promouvoir et de systématiser l’usage du document dans l’enseignement se concrétisera sous la forme de « bibliothèques centrales des lycées ». Néanmoins, les années 50 voient l’offre documentaire exploser et le nombre d’élèves se multiplier ; des besoins et exigences nouveaux en matière de pédagogie émergent. La nécessité de (re)penser les structures documentaires et de les voir prendre en compte la diversité des supports et la richesse pédagogique qui peut en découler se traduit par la création en 1958 des premiers CLDP (centres locaux de documentation pédagogique). Bien qu’essentiellement tournées vers le corps enseignant dont elles doivent constituer « la bibliothèque de travail » intégrant les nouveaux supports (audiovisuel notamment), ces structures marquent une rupture et une évolution décisive, puisque du concept classique de bibliothèque avec des monographies, l’on passe à celui de centre de ressources documentaires et d’exploitation pédagogique du document. Certes, le concept de centre de ressources documentaires évoluera quant à sa dénomination, quant à ses missions et quant aux moyens qui lui seront alloués (l’auteur retrace l’historique de cette évolution non linéaire), mais 1958 marque la naissance des CDI actuels.
Quel bilan en 1998 ?
L’auteur met en perspective les missions des structures documentaires au sein des établissements scolaires, qui se heurtent à un manque récurrent de moyens et les attentes très fortes, mais souvent contradictoires, des usagers (enseignants, élèves et chefs d’établissement). Françoise Chapron, qui a été présidente de la FADBEN (Fédération autonome des documentalistes et bibliothécaires de l’Éducation nationale), dresse un bilan contrasté, entre disparités et paradoxes, et souligne la crise d’identité actuelle des documentalistes de CDI. Certes, la loi d’orientation de 1989 offre un cadre pour les CDI et un statut pour leurs responsables. La création du CAPES de documentation répond à une très forte et ancienne revendication statutaire. Néanmoins, loin de régler les situations particulières antérieures, la nature même des épreuves de recrutement interne et externe est sujette à caution. Des promotions recrutées, il se dégage un très net désavantage des candidats scientifiques (l’épreuve numéro deux à option est empruntée aux CAPES de lettres, histoire, géographie, langues vivantes et à deux options du CAPET de technologie) et un déséquilibre entre savoirs professionnels, techniques documentaires de base et savoirs académiques. Enfin, le CAPES interne et la création d’un CAPES réservé en 1997 semblent favoriser la poursuite du recrutement d’enseignants ou de maîtres-auxiliaires en mal de reconversion, au détriment de candidats externes fortement motivés et formés aux techniques documentaires, mais qui ne franchissent pas le seuil de l’admissibilité en externe. Ces déséquilibres au niveau du recrutement entretiennent, au lieu de les gommer, les lignes de clivages très fortes qui existent au sein même de la profession entre des personnels de classes d’âge et de formations hétérogènes.
Missions et enjeux à l’aube du XXIe siècle
La seconde partie de l’ouvrage analyse et illustre les enjeux des CDI de demain, ce qui ne fait que mettre en relief la crise d’identité que vivent les documentalistes qui y travaillent. S’appuyant sur des enquêtes réalisées auprès des personnels en poste en lycées et collèges et auprès des formateurs et formés en IUFM, l’auteur souligne la dichotomie vécue par les professeurs-documentalistes. Ils ne réussissent pas à concilier deux aspects – pourtant non contradictoires – de leur fonction : la gestion et la pédagogie, ce qui revient à court terme pour eux à se positionner plus ou moins clairement en faveur de l’un ou l’autre. Ce débat anime très vivement la profession depuis quelques années, notamment au sein de groupes de travail. Ils reprochent aux instructions de 1989 de rester trop floues quant à leurs missions et à l’institution d’être en décalage avec la valorisation du discours officiel, puisque plusieurs établissements attendent toujours la création d’un CDI, tandis que les moyens matériels et humains ne sont pas augmentés de façon significative. Pourtant, les enjeux, présents dès l’origine, restent multiples et variés et se complexifient avec les diverses mutations du contexte socio-éducatif. Le CDI se caractérise par son rôle pivot de système d’information à visée pédagogique, au carrefour de l’information et de la communication. Il ne s’agit pas d’un lieu de stockage des documents, mais bien d’un espace d’apprentissage pour les élèves, où le documentaliste doit pleinement exercer son rôle de pédagogue et former aux apprentissages documentaires en lien avec les apprentissages disciplinaires. Cependant, de même que leurs documentalistes vivent une crise d’identité, les CDI ont parfois du mal à se positionner et à faire reconnaître la diversité de leurs missions. Ainsi, ils ne se voient pas suffisamment impliqués au cœur de la démarche pédagogique par l’ensemble du corps enseignant. Françoise Chapron défend avec vigueur et enthousiasme cette profession dont elle forme la relève. Loin d’éluder la crise profonde et le mal-être qui la secoue, elle en analyse les raisons, pose les questions qui l’ébranlent et offre plusieurs pistes de réflexion. Nul doute que cet ouvrage qui fait la synthèse des débats qui agitent la profession trouvera un écho chez les documentalistes et éclairera les professionnels de l’information sur ce contexte spécifique aux collèges et lycées, et plus globalement aux IUFM. L’on peut cependant regretter que le débat statutaire occulte parfois la portée prospective des enjeux informationnels et pédagogiques. Les missions des CDI demeurent plus que jamais d’actualité, puisque c’est à eux de contribuer à former les futurs citoyens et à préparer les élèves à la société de l’information. Néanmoins, il semble impossible de faire l’économie d’un nécessaire repositionnement des CDI et des documentalistes afin de clarifier la place et le rôle de chacun, si l’on ne veut pas risquer de passer à côté de ces enjeux capitaux faute d’avoir réglé un problème statutaire.