Bibliothèques universitaires
le temps des mutations
Jean-Philippe Lachenaud
Que la Chambre haute de la République ait fait de l'état de santé des bibliothèques universitaires l'une de ses préoccupations majeures, fût-ce dans le cadre de la mission de contrôle budgétaire qui lui est dévolue, voilà qui a naturellement de quoi réjouir tout bibliothécaire. Rappelons-le, l'objectif premier de l'enquête menée à l'initiative du sénateur Jean-Philippe Lachenaud, était de mesurer quels avaient été les effets des recommandations du rapport Miquel (1989) et donc de vérifier si les crédits consentis par la collectivité nationale avaient porté les fruits que l'on pouvait espérer.
État des lieux
Abusivement qualifié par certains de « nouveau rapport Miquel », ce travail se situe d'emblée dans une perspective plus modeste ; il s'agit avant tout d'un état des lieux qui prend en compte « l'utilisation des crédits supplémentaires affectés aux bibliothèques universitaires par les dernières lois de finances, la place des locaux de bibliothèques dans le nouveau programme Université du troisième millénaire (U3M), puis le coût et l'état d'avancement de la politique documentaire et de l'informatisation des bibliothèques universitaires ». Sous des titres prometteurs, l'ouvrage s'articule autour de trois axes : le retard révélé par le rapport Miquel, la rénovation des structures et la formation des personnels (1991 1999) et enfin l'atout que représentent les nouvelles technologies pour la politique documentaire des universités.
Minutieux et consciencieux, chargé de rappels de chiffres, d'arrêtés et de décrets, ce rapport perd probablement en acuité d'analyse ce qu'il gagne en rigueur et en crédibilité. A tel point que sa lecture fait parfois songer à celle d'un manuel pour qui aurait à enseigner à un public déjà averti la situation des bibliothèques universitaires françaises.
Optimisme et indulgence
La conclusion principale de ce petit livre ne surprendra pas la profession, et notamment ceux d'entre nous qui avaient lu avec attention les avertissements sévères du rapport du Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) pour l'année 1995. Si, en chiffres bruts, les efforts consentis en faveur des bibliothèques universitaires (particulièrement en terme de mètres carrés et de budget) paraissent considérables, ils sont demeurés insuffisants pour faire face à l'exceptionnelle croissance des effectifs. Mais, alors qu'un pessimisme à notre avis lucide avait gagné les analyses du Conseil supérieur des bibliothèques, c'est, dans l'ensemble et malgré quelques mises en garde, plutôt à un exercice d'optimisme et d'indulgence que se livre Jean-Philippe Lachenaud. « Les résultats sont très positifs », annonce-t-il. Et d'ajouter : « Une image nouvelle de la bibliothèque universitaire s'est imposée ». Ou encore : « La conjonction des efforts accomplis et de la détermination des professionnels a permis aux bibliothèques universitaires de con-naître un développement conforme aux spécificités de l'enseignement supérieur et de la recherche ».
Toutefois, on observe, au détour de telle ou telle page, qu'un certain nombre de questions importantes ne sont nullement éludées et qu'elles font même parfois l'objet d'un avis tranché. Ainsi sur la question de l'abandon ou du maintien du fléchage des crédits ministériels : « Le fléchage des crédits (...) présente un avantage protecteur indispensable en période de rattrapage et de modernisation des bibliothèques universitaires. En revanche, une fois cette période terminée, le "fléchage" n'est plus nécessaire : il constituerait même un facteur de rigidité ». A quoi il est aisé de rétorquer que ce serait inéluctablement courir à une inégalité accrue des situations, que ce serait aussi prendre le risque d'une brutale remise en cause, tous les cinq ans, de la politique documentaire de l'université et qu'enfin, ce n'est pas parce que le fléchage heurte la logique de l'autonomie qu'il convient, pour autant, au nom des principes, d'aggraver les travers de la décentralisation à la française.
Concernant la situation de l'inspection générale des bibliothèques (IGB), le rapport insiste sur le statut ambigu qui est le sien actuellement. Ne formant plus, depuis 1992, un « corps », elle est devenue un « service », mais un service dont le statut juridique demande à être défini dans le cadre d'un décret maintes fois annoncé, toujours différé...
Et l'on ne peut que rejoindre le sénateur Lachenaud lorsqu'il souligne qu'il serait normal que les responsables des bibliothèques aient la possibilité de saisir directement l'IGB.
Le plan U3M
Le rapport s'attarde également sur la mise en place du plan « Université du troisième millénaire » (U3M) et relève, à juste titre, qu'il serait souhaitable de réévaluer la part de son enveloppe réservée aux bibliothèques universitaires, faute de quoi on risquerait de voir se reproduire les infléchissements qu'avait connus le plan Université 2000 De ce point de vue, on ajoutera qu'il est incongru et singulièrement restrictif de ranger le développement des BU au chapitre de « l'amélioration de la vie étudiante », ce qui revient à leur accorder l'importance qu'on attache à la création d'une cafétéria ou d'une salle de ping-pong...
Bien d'autres questions cruciales sont abordées, avec plus ou moins de précision et d'esprit critique, au fil de ces pages : l'inextricable situation des bibliothèques interuniversitaires parisiennes, les débats sur le droit d'auteur et l'éventuelle instauration d'un droit de prêt public forfaitaire et léger (recommandé par le rapport), la réalisation du Système universitaire de documentation, etc.
Sur ce tout dernier point, on regrettera que Jean-Philippe Lachenaud se soit contenté d'une description sommaire du système. Les tergiversations successives qui ont marqué l'histoire de ce projet, les débats qu'il a suscités au sein de la profession et même ailleurs, ainsi que sa difficulté de mise en oeuvre méritaient qu'on y consacre des pages peut-être plus toniques. Ajoutons enfin que l'ouvrage s'achève ce qui est loin d'être sans intérêt ! par le compte rendu quasi sténographique des entretiens que le sénateur Lachenaud a conduits auprès de diverses personnalités du monde des bibliothèques et de l'enseignement supérieur. Un choix réduit de messages électroniques reçus, à cette occasion, sur le web du Sénat complète l'ensemble.
« Et les fruits passeront la promesse des fleurs », chantait Malherbe. Il est à craindre que le printemps des bibliothèques universitaires ait connu une évolution inverse. Non pas un printemps manqué ce serait trop dire !, mais un printemps trop vite rattrapé par un automne précoce. Et l'on se prend à attendre impatiemment la saison nouvelle...