A History of the British Museum Library, 1753-1973

par Marc Chauveinc

Philip Rowland Harris

London : The British Museum, 1998. 833 p. ; 24 cm. ISBN 0-7123-4562-0. £ 50

L'auteur de cet ouvrage, Philip Rowland Harris, a officié comme conservateur au British Museum de 1947 à 1986. Successivement Assistant Secretary of the British Museum, puis Deputy Superintendent of the Reading Room, il a terminé sa carrière comme Deputy Keeper, que l'on peut traduire par directeur adjoint, chargé des acquisitions.

Dès sa retraite, en 1987, il s'est consacré à cette formidable tâche qu'était la reconstitution de l'histoire de la bibliothèque du British Museum 1, la Bibliothèque nationale anglaise, qu'il a tant aimée, depuis ses origines en 1753 jusqu'en 1973, date de naissance de la British Library 2. Dix années lui ont été nécessaires pour écrire ce livre pour lequel il a largement puisé dans les archives du British Museum et de ses départements.

Les débuts

Contrairement à la Bibliothèque nationale de France (BnF), la bibliothèque du British Museum est relativement récente, puisque sa fondation remonte à 1753. Il n'y avait auparavant à Londres que des bibliothèques privées, de grands seigneurs, évidemment non ouvertes au public, les grandes anciennes se trouvant à Oxford ou Cambridge.

Le British Museum est né de la décision du médecin Sir Hans Sloane, de vendre et non pas de donner ! sa collection à la « nation » pour vingt mille livres sterling. D'autres suivirent cet exemple pour former une collection d'environ dix mille ouvrages et, surtout, de nombreux objets qui constituèrent le début du musée lui-même. Un conseil de quarante et un membres le Board of Trustees fut nommé afin de décider de l'hébergement, de l'utilisation, de la gestion de cette collection. Trop cher et inconfortable à l'époque, le palais de Buckingham ne fut pas retenu ; c'est finalement la maison Montagu (Montagu House), dans Great Russell Street, qui fut achetée et restaurée par le gouvernement : c'est là que se trouve toujours le British Museum, dans un bâtiment entièrement reconstruit. L'auteur décrit longuement les réunions du conseil, les décisions concernant le classement, le catalogage, la réparation des ouvrages et l'acceptation des nombreux dons, y compris de manuscrits orientaux. Un premier catalogue fut rédigé à la main en 1756.

Le personnel était composé de quinze personnes vivant sur le site, dont quatre bibliothécaires. Au sein du conseil, se trouvaient l'archevêque de Canterbury, le Premier ministre (Lord Chancellor) et le président de la Chambre des députés. Dans l'esprit de ses créateurs, le British Museum devait avoir le soutien des personnes les plus influentes afin d'obtenir les crédits et les dons nécessaires à son développement.

Ce n'est qu'en 1759 que la bibliothèque fut ouverte au public et qu'un catalogue des manuscrits fut publié. Premier de tous les catalogues du British Museum, il concernait la collection Harley, du nom de Robert Harley, comte d'Oxford, qui l'avait vendue pour dix mille livres sterling. Un exemplaire offert au roi de France devrait se trouver à la BnF. Quant au premier catalogue des livres, qui recensait 78 000 volumes, il ne fut publié qu'en 1788, après bien des déboires. À cette occasion, et comme dans tout l'ouvrage, l'auteur fournit les sommes demandées par les auteurs de ces catalogues et les salaires et émoluments de tout le personnel de la bibliothèque.

La salle de lecture, qui se trouvait au rez-de-chaussée, fut déplacée au premier étage en 1774. En 1778, fut ouvert un premier registre des emprunteurs et un premier récolement fut effectué.

La bibliothèque royale de George II un ensemble de dix mille volumes qui se trouvait encore à l'abbaye de Westminster fut alors donnée par le roi. Mais ce n'est qu'en 1820 que celle de George III, appelée encore The King's Library, arriva au British Museum : elle figure aujourd'hui en bonne place derrière un mur de verre du bâtiment de St-Pancras.

Inutile de dire que les problèmes budgétaires étaient nombreux et que les trustees devaient se battre pour obtenir du Parlement une allocation annuelle de neuf cents livres sterling par an au début. L'auteur ne nous épargne aucun détail sur le coût de la reliure, les achats, les ventes de doubles, les donations, les vols, etc.

Chaque chapitre est consacré à une période plus ou moins longue et tous sont divisés selon la même structure : bâtiments et locaux, catalogues et publications, collections, salles de lecture, personnel. Le récit historique de P. R. Harris est extrêmement méticuleux, fondé sur une lecture continue et scrupuleuse des archives fidèlement retranscrites. En cela, cette histoire du British Museum est un outil de référence très précieux, mais difficile à lire de manière linéaire.

Antonio Panizzi

Attardons-nous sur le chapitre qui concerne Antonio Panizzi, un des grands bibliothécaires du British Museum. Recruté en 1837 comme directeur des imprimés, il ne devint directeur général qu'en 1856. Avant de poser sa candidature pour ce dernier poste, il avait effectué une enquête montrant la pauvreté du British Museum, qui ne possédait en effet que 240 000 volumes contre 700 000 à Paris et des collections plus importantes à Copenhague, Vienne ou Dresde.

Il entreprit, avec l'aide de Frederic Madden, directeur des manuscrits, de grands travaux dans tous les domaines, notamment de grandes extensions la création des ailes nord, ouest, et est autour de Montagu House. C'est en 1845 que la maison fut détruite, ceci afin de faciliter la construction du bâtiment tel qu'il est actuellement, c'est-à-dire quatre bandeaux autour d'une cour centrale dans laquelle fut construite en 1852, sur une idée de Panizzi, la fameuse salle de lecture ronde couverte d'un dôme. Le bâtiment à la structure métallique fut terminé en 1857, l'électricité n'y fut introduite qu'en 1879.

A ces grands travaux, Panizzi ajouta l'édition du catalogue entre 1850 et 1855 et la réforme du fonctionnement. Le British Museum de 1945 est décrit comme un village de six cents personnes, dont deux cents magasiniers, vivant encore selon l'organisation décidée par Antonio Panizzi aux alentours de 1860 !

Pendant et après la seconde guerre mondiale

Une autre grande période de l'histoire du British Museum fut la seconde guerre mondiale avec ses destructions et les nécessaires aménagements ultérieurs. Les bombardements, qui frappèrent entre autres la grande salle de lecture, détruisirent 250 000 volumes, et ce malgré le déménagement d'une grande partie des collections précieuses au pays de Galles en 1939. Même la bibliothèque du roi fut touchée : 1 000 ouvrages furent brûlés. Cela n'empêcha pas la bibliothèque de continuer à fonctionner, puisque quatorze volumes du catalogue général furent publiés entre 1939 et 1945, et les acquisitions se poursuivirent, sauf celles qui provenaient d'Europe continentale.

En 1945 commença une énorme opération de remise en place des collections, et l'idée d'un nouveau bâtiment réapparut. Les discussions s'éternisant entre les diverses institutions, la bibliothèque créa en 1949 la British National Bibliography ; la grande salle de lecture fut réparée en 1946, réouverte au public en 1952, et même le soir jusqu'à 21h 30 deux jours par semaine à partir de 1960.

En prenant son poste de Principal Keeper (administrateur général) en 1958, Sir Franck Francis insista à nouveau sur la nécessité de construire un nouveau bâtiment. Un groupe de travail fut mis en place ; les nombreuses réunions du Board of Trustees, les rencontres avec le Premier ministre, le ministère des Travaux publics, les notes et correspondances... sont décrites en détail, ainsi que les allers et retours entre toutes les parties concernées, dont le Parlement, les perpétuels changements de site, ou de programmes...

La bataille de la construction se poursuivit encore en 1967, avec le refus du gouvernement de construire sur un site proposé par la bibliothèque, site qui se trouvait au sud du bâtiment. Les discussions continuèrent plusieurs années jusqu'à ce qu'un rapport le rapport Dainton voie le jour et soit présenté au Parlement en 1971. Ce rapport préconisait la création de la British Library, création qui fut effective en 1973. Des éléments épars National Lending Library, National Reference Library of Science and Invention, Colindale Newspaper Library et la bibliographie nationale furent regroupés tout en étant séparés du British Museum 3.

Là s'arrête l'auteur. La suite est une autre histoire, celle de la British Library. Avec nostalgie, P. R. Harris conclut : « Ainsi, après une histoire de 220 années, la bibliothèque du British Museum touche à sa fin, ou plutôt est transformée en une partie d'une autre institution ».

Très complet et précis, l'ouvrage comporte un index d'environ cent pages, des sources bibliographiques et des archives. Il est suivi de diverses listes : les directeurs généraux, les adjoints, les directeurs de départements, les différents organigrammes depuis 1759, les principaux lecteurs, parmi lesquels on relève James Boswell, David Hume, Gabriele Rossetti, Charles Dickens, Charles Darwin, George Eliot, François Guizot, Lénine, Yeats, George Orwell, etc. Une iconographie très bien choisie et assez complète termine l'ouvrage plans des bâtiments successifs, portraits et photographies.

Le seul reproche que l'on puisse faire à ce livre est l'extrême trop extrême minutie de la narration historique, fondée sur des documents d'archives cités avec précision, précision passionnante lorsque les organigrammes, les salaires et les postes des différents personnels de la bibliothèque, les catalogues, les acquisitions et les dons sont mentionnés en détail, mais qui accentue la difficulté à lire quand sont décrits avec force énumérations et presque au jour le jour, les querelles, discussions et autres réunions du conseil d'administration, des comités et sous-comités, les notes, les démissions, les recrutements 4.

En tout cas, si le livre de P. R. Harris ne peut être lu comme un roman, il mérite d'être dans toutes les bibliothèques comme une référence indispensable de l'histoire des bibliothèques 5.

  1. (retour)↑  La précédente histoire, parue en 1946, était celle de Arundel Esdaile. Mais elle était relativement plus brève (388 p.) et s'arrêtait en 1918. Aucune comparaison n'est donc possible ; on peut ainsi dire que cet ouvrage est la première histoire complète et détaillée de la bibliothèque nationale anglaise.
  2. (retour)↑  Sa bibliographie montre qu'il a d'ailleurs publié de nombreux articles sur « sa » bibliothèque : la salle de lecture en 1979, les acquisitions au XIXe siècle en 1986, le département des livres imprimés en 1992, etc. Il a aussi dirigé un livre d'essais sur la bibliothèque du British Museum en 1991
  3. (retour)↑  En 1966, furent créées la National Reference Library of Science and Invention. En 1962, la bibliothèque nationale de prêt (National Lending Library for Science and Technology) vit le jour à Boston Spa, sous la direction de D. J. Urquhart. Rappelons que la Colindale Newspaper Library avait été construite en 1905.
  4. (retour)↑  Cela parfois rassure, car on voit que les décisions sont aussi difficiles à prendre à Londres qu'à Paris.
  5. (retour)↑  On serait tenté de le comparer avec le livre de Simone Balayé sur la Bibliothèque nationale des origines à 1800 (Genève, Droz, 1988, 546 p). Ce sont les deux seules histoires aussi complètes de bibliothèques nationales actuellement parues. Le livre de Simone Balayé, plus réduit, donne un récit historique plus large, moins systématique, moins méticuleux, précis et détaillé, malgré l'abondance des sources citées. Il ne fournit pas systématiquement le salaire des bibliothécaires à chaque époque, ni les factures de reliure ou d'impression des catalogues. Il y est moins fait mention de conflits, disputes, discussions. Chez Simone Balayé, le personnel est réduit aux chefs, alors que P. R. Harris ne nous épargne aucune nomination d'employés de bibliothèque. Deux façons d'aborder l'histoire !