La grande mutation des bibliothèques municipales

modernisation et nouveaux modèles

par Dominique Arot
Rapport établi par François Rouet. - Paris : Ministère de la Culture, Direction de l'administration générale ; Département des études et de la prospective, 1998. 196 p. ; 30 cm. - ISBN 2-11-091142-5

Il est des études ou des ouvrages qui permettent d'aller au-delà des idées reçues et des simples intuitions. C'est le cas du rapport établi par François Rouet, du Département des études et de la prospective du ministère de la Culture, avec le concours actif d'Anne-Marie Bertrand et de Jean-François Hersent, de la Direction du livre et de la lecture de ce même ministère, sous le titre La grande mutation des bibliothèques municipales : modernisation et nouveaux modèles.

Ce rapport s'efforce de rendre compte d'une étude confiée à deux bureaux d'étude sur les conditions socio-économiques de transformation des bibliothèques publiques en médiathèques et sur leurs usagers-visiteurs. L'enquête a été réalisée à partir de l'observation de six villes Grenoble, Levallois-Perret, Tourcoing, Arles, Issy-les-Moulineaux, Évreux qui, chacune à leur manière, ont conduit une opération de construction (ou de rénovation) de leur bibliothèque municipale centrale et/ou de leur réseau de bibliothèques. Dans chaque cas, le passage de la « bibliothèque » à la « médiathèque », comme l'écrit Jean-Sébastien Dupuit dans l'avant-propos, « est censé symboliser l'entrée de ces institutions dans l'ère de la modernité ».

Une variété d'équipements

Le rapport comprend deux grandes parties : une synthèse historique et statistique, puis une description détaillée des six sites, de leurs réalisations, de leurs publics et de leurs stratégies. On peut dire de cette entreprise qu'elle s'appuie, en les confirmant, sur les divers travaux s'intéressant à ces sujets depuis une vingtaine d'années, mais qu'en même temps, et pour la première fois, elle étudie de manière très concrète la transformation des bibliothèques municipales. L'accent est ainsi mis sur le fait que le remarquable développement des bibliothèques municipales en France n'a pas reposé sur un modèle unique et figé, mais sur une variété croissante d'équipements de référence, les six villes étudiées fournissant en l'occurrence un bon échantillon de solutions.

La première partie, qui n'échappe pas toujours à un certain jargon sociologique, dresse un tableau éclairant de l'évolution des bibliothèques municipales françaises depuis la fin de la guerre, la fin des années 60 marquant le début d'une phase de modernisation et d'innovation, qui iront en s'intensifiant au cours des vingt dernières années. Cette augmentation des moyens, des surfaces, du nombre d'agents, ira de pair et c'est là le noeud de cette étude avec l'émergence d'un nouveau type de bibliothèque (que certains nomment médiathèque, d'autres bibliothèque multimédia). Une nouvelle génération d'équipements apparaît, dont on peut énumérer schématiquement les principales caractéristiques : confort et libre circulation dans des bâtiments plus ouverts, dont l'architecture fait désormais l'objet d'une attention spéciale, diversification des collections et des supports en liaison avec l'actualité, politique d'animation ambitieuse consacrant la dimension culturelle de l'équipement, affluence de publics divers aux besoins multiples, personnel plus nombreux (+ 77 % entre 1980 et 1990) et plus qualifié.

Constantes

C'est cependant la seconde partie du rapport qui apparaît comme la plus passionnante et la plus riche en découvertes. On y mesure la forme et la légitimité d'un projet municipal, la passion et les difficultés des bibliothécaires, les réactions des publics. Chaque ville dose à sa manière les ingrédients listés plus haut, mais, à l'arrivée, quelques constantes se font jour. Tout d'abord, la place grandissante des usagers non inscrits qui tirent parti à la fois des services en libre accès et des atouts du lieu en matière de convivialité et de libre circulation. Ensuite, la difficulté d'adaptation des personnels, compréhensible, mais particulièrement bien identifiée et analysée ici, qui va jusqu'à une forme de doute stimulante sur les missions poursuivies. Enfin, dans médiathèque, il y a « médias », il y a « médiation », mais aussi « milieu » : de pratiquement chacun des exemples invoqués émerge une dimension urbanistique. Le nouvel équipement, tout en structurant autour de lui un réseau, contribue au remodelage et à l'identité d'un quartier, d'une agglomération, il devient pour les habitants tout à la fois un motif de fierté et un point de repère quotidien.

Son succès public est tel qu'on ne saurait parler d'échec de ces équipements. Tout au plus peut-on à travers cette étude, et au-delà des discours, voir se dissiper certaines illusions ou se dessiner quelques limites : le recours très majoritaire au livre au milieu d'une offre de supports très élargie, la faible représentation des couches sociales les plus modestes au sein des publics, une fréquentation de l'ensemble de la population qui demeure encore inférieure à celle que l'on peut constater en Grande-Bretagne ou dans les pays nordiques.

Alors qu'on peut évaluer à au moins 400 000 m2 les surfaces de bibliothèques restant à requalifier ou à construire pour atteindre une couverture territoriale satisfaisante comme il est dit dans ce document, le présent rapport offre de toute manière un double avantage : il peut être sollicité à la fois comme un ouvrage théorique et synthétique, mais aussi comme un auxiliaire concret pour tout directeur de projet ou pour tout responsable voulant mettre à l'épreuve de la comparaison les stratégies adoptées par son équipement ou par son réseau.