Les pratiques culturelles des Français

enquête 1997

par Jacques Perret

Olivier Donnat

Paris : La Documentation française, 1998. 359 p. ; 24 cm. ISBN 2-11-003991-4. 140 F

Le nouveau Pratiques culturelles des Français est arrivé, un désormais classique dont le contenu nous est d'emblée familier, mais dont on attend surprises et renouvellement. Et, comme en présence de tout classique, on n'échappe pas à la tentation de penser le connaître sans l'avoir vraiment lu.

Cette nouvelle édition présente les résultats de l'enquête réalisée par sondage auprès d'un échantillon représentatif de la population française de quinze ans et plus, en 1997. Elle fait suite aux enquêtes réalisées en 1973, 1981 et 1989 par le Département des études et de la prospective (DEP) du ministère de la Culture. Dans son avant-propos, l'auteur en rappelle les contraintes contradictoires et les limites : en peu de mots, avec précision et clarté, Olivier Donnat va au-devant des reproches le plus couramment faits à ce travail dont on ne doit pas attendre plus que ce qu'il peut dire.

Évolutions et prospective

Une fois ces limites précisées, cette publication nous apprend beaucoup de choses dans une qualité de présentation à laquelle il faut rendre hommage. L'ouvrage comporte six chapitres qui traitent des loisirs des Français, de leurs comportements et de leurs préférences en matière d'audiovisuel, de leurs attitudes dans le domaine de la lecture, de leur fréquentation des équipements culturels, de leurs pratiques « en amateur » des différentes formes d'expression artistique.

Ce sommaire montre les choix de l'auteur pour 1997 : deux chapitres sont consacrés à l'audiovisuel, un est réservé à l'amateurisme, et le livre et la lecture bénéficient d'un chapitre particulier. Chaque chapitre commence par une courte synthèse qui sélectionne des traits marquants et qui est agrémentée d'un ou deux graphiques illustrant les évolutions depuis 1973. Sont ensuite sélectionnés quatre ou cinq thèmes toujours traités de la même manière : un résumé suivi des tableaux de répartition des réponses que les Français apportent aux questions posées, selon leurs sexe, âge, catégorie sociale, lieu de résidence et niveau d'étude.

Cette présentation claire, soignée et hiérarchisée, suppose bien évidemment des choix opérés par Olivier Donnat dans la masse des données recueillies. Mais ce sont ces choix qui rendent l'enquête accessible et qui permettent plusieurs lectures. Un(e) bibliothécaire pressé(e) lira d'abord la synthèse sur les Français et la lecture en 1997. Quelques instants de plus lui suffiront pour prendre connaissance des résumés sur la lecture de la presse, la possession des livres, les accès aux livres, le nombre de livres lus, leurs genres, ou encore les rapports des Français au livre et à la lecture.

Une plongée dans les tableaux lui révélera les préférences de publics spécifiques qui fréquentent ou non sa bibliothèque. Ces données ne sont pas inconnues des bibliothécaires. Pourtant, l'ouvrage présente plusieurs avantages. D'abord, il permet aux professionnels de trouver rapidement confirmation ou démenti de leurs propres intuitions et observations. Ensuite, il apporte une vision des évolutions en un quart de siècle, ce qui autorise à parler, avec prudence, de grandes tendances et donc de prospective. Enfin, il permet à des professionnels spécialisés de replacer leur domaine d'action dans un contexte beaucoup plus large, celui de la diversité des offres culturelles et de loisirs et celui de la diversité des préférences déclarées au sein de la population. On pense, en particulier, au « monde de l'audiovisuel d'ores et déjà entré dans une nouvelle ère, celle de la segmentation de la culture de masse et d'une individualisation des usages ». Mais le lecteur peut tout aussi bien se faire confirmer l'intérêt différencié des agriculteurs et des cadres supérieurs pour les foires à la brocante, ou le désintérêt des professions intellectuelles pour la pêche à la ligne...!

Agaçantes évidences

C'est cette manière, quelque peu désinvolte de la part d'un service du ministère de la Culture, de sembler mettre sur un pied d'égalité la foire à la brocante et le site archéologique, la pratique du crochet et celle de la lecture, le hard-rock et la musique d'opéra, qui agace chaque fois les professionnels de la culture. Pourtant cette façon de faire, qui obéit d'abord à un impératif méthodologique (offrir un choix de réponses suffisant pour ne pas culpabiliser les personnes interrogées, ni les inciter à s'inventer des pratiques jugées plus valorisantes), nous remet en mémoire deux évidences.

« Qu'on le veuille ou non, les pratiques culturelles sont aujourd'hui en situation de concurrence avec d'autres usages du temps libre sur le marché des loisirs », première évidence dont les politiques culturelles locales ne tiennent pas toujours assez compte. Et il y a des « liens symboliques qui unissent le loisir, la sociabilité et le plaisir artistique », liens que chaque groupe social tisse à sa façon, deuxième évidence dont les politiques dites de démocratisation culturelle sont loin d'avoir mesuré toute la portée. Faut-il voir la véritable raison de l'agacement dans le fait que, périodiquement et avec obstination, cette enquête remet sur la table quelques interrogations et quelques thèmes qui menacent de « subvertir les hiérarchies » (y compris budgétaires) du ministère de la Culture ?

En tout cas, les questions qu'elle pose à nouveau et dont elle suit l'évolution sur une période de plus en plus longue demeurent. Souhaitons que, comme à la suite des parutions précédentes, des professionnels, des politiques, des chercheurs s'emparent de cette enquête qui n'a d'intérêt que par les réflexions et les approfondissements qu'elle peut susciter. Et rêvons du jour où chaque collectivité locale saura organiser un débat autour de la parution de cette enquête. Une fois tous les huit ans, est-ce trop pour reparler des pratiques culturelles des Français ?