Personnels à statuts différents en bibliothèque universitaire

comment travailler ensemble

Christian Lupovici

Le 26 mai 1998, l’Institut de formation des bibliothécaires organisait dans ses locaux, à Villeurbanne, une journée d’étude sur la diversité des statuts des personnels en bibliothèque universitaire. Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, bâtissait son introduction autour de trois grands axes : diversité des statuts, solutions à apporter, besoins.

On constate non seulement l’existence d’une grande richesse de familles statutaires, mais aussi, à l’intérieur même de chacune de ces familles, la présence d’un luxe de corps et de grades, qui n’est que le fait d’une sédimentation historique.

Du côté positif, peut être retenue la variété des compétences ; du côté négatif, la difficulté de gestion et de défense de ces corps à faibles effectifs. En effet, la représentation syndicale est éclatée et ces différences subtiles génèrent des corporatismes. Il faut ajouter à ceci les effets pervers induits sur l’organisation du travail, c’est-à-dire le fait qu’un même travail est effectué par des statuts à régimes différents et qu’il est segmenté.

La réflexion ne doit pas se faire à partir des corps, mais à partir des fonctions. Il est essentiel de procéder à une analyse précise de la bibliothèque, de son rôle, de ses fonctions, et ensuite, se demander quelles compétences sont nécessaires pour y travailler. Ce métier est un savant mariage de compétences scientifiques qui permettent de comprendre les ressources et les besoins, et de compétences technologiques qui permettent la pratique de l’ingénierie documentaire.

Les missions d’une bibliothèque sont assurées par des personnels statutaires 1 répartis en catégories : A (encadrement), B (conception et technique) et C (exécution), et par des personnels non statutaires pour des profils très spécialisés. Des compétences administratives, scientifiques ou informatiques sont également nécessaires.

L’approche fonctionnelle peut seule éclairer les solutions à apporter, car il n’est plus possible de lier corps et fonction. L’expérience de l’introduction des prce-doc dans les bibliothèques universitaires montre les dérapages possibles, alors qu’il n’y a pas de différence de nature avec la filière des bibliothèques.

Il est évident qu’il faudrait diminuer le nombre de filières et de corps ; qu’il est nécessaire de développer des passerelles ; de « repyramider » des filières déséquilibrées ; de banaliser peut-être des corps de catégorie C 2 – la question est à étudier ; de consolider le système du tutorat ; d’externaliser tout ce qui peut l’être.

Dans sa conclusion, Claude Jolly a souhaité plus de souplesse dans le dispositif actuel, tout en précisant, à la suite des questions posées, que la légitimité réclamée par la profession ne pourra réellement s’acquérir que par une revalorisation de la compétence scientifique un peu oubliée au bénéfice de la compétence technologique.

Aspects statutaires

Dans son intervention sur le management des personnels, Jean-Louis Pastor, chargé de mission au ministère de la Culture et de la Communication, a mis en évidence l’évolution des situations statutaires, la dichotomie entre statuts et profils et le nouveau rôle des directeurs de bibliothèque, qui doivent faire prévaloir l’intérêt général de l’institution contre les intérêts particuliers. Selon lui, un grand chantier de révision de la nomenclature des métiers de bibliothèque et de redéfinition des fonctions est à entreprendre. Enfin, il a insisté sur l’importance de la formation continue qui permet de répondre à l’évolution des besoins de compétences.

Pour Jean-Claude Annezer, directeur du scd (Service commun de la documentation) de Toulouse ii, l’évolution des missions est en grande partie une conséquence de l’autonomie des universités. La caractéristique singulière de notre métier, au sein du monde universitaire, est que les compétences professionnelles spécifiques, individuelles, s’expriment toujours dans la compétence collective de l’équipe documentaire. Le travail, s’il est éclaté, est, par nécessité, toujours coordonné.

Le travail en équipe est fondamental, mais la compétence relationnelle ne s’apprend pas dans une école. Comme il n’y a ni modèle ni recette miracle, idées et pratiques doivent être confrontées, par exemple au sein des associations professionnelles. Pour terminer, l’accent a été mis sur l’importance de la mise en place d’une stratégie de présence active dans les conseils de l’université.

Lors de sa présentation des résultats de l’enquête du cabinet Noeme sur les fonctions des personnels en bibliothèque 3, Hélène Marcaud a mis en évidence trois phénomènes : seuls trois cinquièmes des ressources humaines des scd sont constitués de personnels de la filière des bibliothèques ; la pyramide des grades ressemble à un sablier, avec un gros déficit de la catégorie B ; le recours aux ces (contrats emploi-solidarité) est important.

Dans les questions qui ont alimenté le débat, est apparu un consensus sur les divergences entre les besoins des établissements et les affectations d’emplois, ainsi que sur le fait que les bibliothèques universitaires sont plus avancées dans l’analyse des métiers et la gestion par projets que le reste de l’université.

Aspects fonctionnels

L’après-midi fut consacré aux aspects fonctionnels de la gestion des différents corps à partir des exemples réels des universités de Paris IV, de La Rochelle et d’Artois. Les situations sont différentes, notamment les configurations géographiques ; mais la constante est l’appel en nombre aux objecteurs de conscience, aux vacataires étudiants, aux tuteurs, et aux ces. La fonction d’encadrement de ces personnels est donc importante. Mais il y a aussi un style de management à trouver afin de gommer les différences de statut et les variantes d’horaires, en harmonisant les pratiques et en privilégiant la fonction sur le grade, comme l’a bien montré Françoise Roubaud, de la bibliothèque de l’université d’Artois. Cette dernière a également insisté sur l’influence de la composition du personnel sur le développement même des services de la bibliothèque.

Lors de la synthèse finale, nombre de questions sont restées encore sans réponse, en particulier, celle du recrutement dans un système qui dissocie le recruteur (l’État) de l’employeur (l’établissement) et où les concours ont une fâcheuse tendance à « l’endogamie ».

Claude Jolly a de nouveau formulé les principes énoncés en introduction, affirmant sa conviction qu’il faut réduire les filières et les corps, et établir des passerelles entre ces derniers. Sans doute, faut-il revoir des définitions statutaires figées, repyramider les filières et banaliser les catégories C.

Une logique des compétences sur la base de valeurs professionnelles communes peut être substituée à la logique des grades, une plus grande cohérence dans l’organisation du travail peut être mise en place. Mais la marge de manœuvre est faible, en raison de la présence de facteurs structurels bloquants.

En conclusion de cette journée, Bruno Van Dooren, président de l’adbu (Association des directeurs de bibliothèque universitaire), a mis en évidence les contradictions du recrutement de la fonction publique, mais également le défi qu’il représente pour les cadres, dans leur manière de gérer le personnel et d’organiser le travail.

Il faut trouver une organisation souple et adaptable où se combinent fonctions, compétences et statuts, éviter les pièges de la spécialisation et savoir animer des équipes à géométrie variable dans le temps.

Un organigramme ne doit jamais être figé, car l’évolution naturelle pousse à la solidification de l’organisation. Dans un environnement en pleine évolution, notre faculté d’adaptation est primordiale. Il nous reste à apprendre à gérer les cadres.

  1. (retour)↑  Banaliser les corps de catégorie C signifie considérer les personnels de catégorie C comme généralistes, et non plus comme relevant de branches professionnelles spécifiques.
  2. (retour)↑  Banaliser les corps de catégorie C signifie considérer les personnels de catégorie C comme généralistes, et non plus comme relevant de branches professionnelles spécifiques.
  3. (retour)↑  Voir l’article d’Éric Simonetti, « Les Fonctions des personnels des bibliothèques universitaires : une enquête », bbf, 1998, n° 1, p. 85-91.