Une nouvelle donne pour les revues scientifiques ?

Corinne Verry-Jolivet

La revue scientifique est-elle en train de changer, voire de disparaître au profit de nouveaux modèles d’échange et de diffusion par voie électronique ? Les publications formelles jouent-elles un rôle différent dans les relations entre chercheurs depuis l’apparition de nouvelles possibilités d’édition ou d’échanges par Internet ? Celles-ci constituent-elles une menace ou une opportunité pour les éditeurs scientifiques ?

Ghislaine Chartron, en introduction aux deux journées consacrées à « une nouvelle donne pour les revues scientifiques » 1, a repris ces questions centrales sur le rôle de la revue scientifique à l’intérieur d’un système toujours plus complexe de communication, puis elle s’est interrogée sur l’impact d’Internet sur ce système dans son ensemble.

Les communications découlant de ces questions ont fait une part importante à l’analyse de la structure des revues et des articles scientifiques, analyse préalable à toute réflexion sur le devenir du périodique scientifique. Au-delà d’une typologie des revues, un panorama des moyens de mesure de la production scientifique a été présenté, complété par la description d’expériences dans les domaines astronomique (Observatoire de Midi-Pyrénées) ou agronomique (laboratoire recodoc, Université Lyon 1).

En conclusion de ce premier atelier, Daniel Jacobi a proposé un scénario des modifications prévisibles de la production des écrits scientifiques par l’écriture électronique. Prenant du recul vis-à-vis de discours alarmistes ou définitifs, il distingue le fonds de la forme dans l’apparition d’une nouvelle littérature scientifique. La question centrale restant celle du contrôle de cette littérature, on peut se demander si ces modes de diffusion nouveaux, plus rapides, mais aussi moins structurés, engendrent un texte électronique par nature différent du texte papier, et si la communauté des chercheurs est prête à se l’approprier.

L’évaluation des revues

L’évaluation des revues reste au centre de cette réflexion. De nombreuses études ont été menées ou sont en cours, qui s’appuient sur l’analyse du facteur d’impact (donné par le Journal Citation Reports du Science Citation Index de l’Institute of Scientific Information-isi), celui-ci restant l’indicateur bibliométrique le plus utilisé par les scientifiques. Plus largement, et comme l’a montré Anne Sigogneau, de l’Observatoire des sciences et techniques, les mesures de la production scientifique par l’utilisation des revues sont intéressantes pour analyser certains aspects du développement de la science.

Faut-il en conclure qu’elles sont le seul indicateur fiable, et ne doit-on pas, comme l’a fait Hervé Le Crosnier, se demander si nous avons vraiment besoin des journaux électroniques ? Il faut, dans tous les cas, chercher le meilleur support de diffusion de la science et définir les critères de choix, sachant que les journaux électroniques offrent aujourd’hui des opportunités : rapidité de diffusion, recherche plus aisée, indexation directe, multimédia, navigation, etc.

Les ateliers furent complétés par quelques comptes rendus d’expérimentations. A titre d’exemple, le projet Webdoc de l’abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) illustre une volonté fédératrice d’accès aux documents numérisés en texte intégral aux niveaux national et international, puisqu’il est associé à pica (association hollandaise développant un système pour l’informatisation des bibliothèques) et à rlg (Research Libraries Group, États-Unis). Ce projet permet d’envisager une coopération entre bibliothèques pour négocier des tarifs d’abonnements aux revues électroniques, et tente d’allier les avantages de la souplesse de navigation sur le Web à une recherche documentaire de qualité.

Les enjeux sont importants : une veille constante est nécessaire sur de nombreuses questions. Qui publie ? Qu’est-ce que publier ? Ne doit-on pas aujourd’hui s’échapper du strict modèle de l’édition d’une part, de la bibliothèque d’autre part, et observer les modèles émergents, leurs avantages et leurs inconvénients ?

Quelles seront les portes d’entrée vers l’information ? Aujourd’hui, on peut tout relier avec tout : texte, résumé, citation, référence, données. Chacun de son côté essaie d’être la seule ou la meilleure porte d’entrée. La concurrence entre éditeurs, producteurs de bases de données, fournisseurs de logiciels nous le montrent tous les jours.

Enfin, qui aura accès à l’information ? Aux États Unis déjà, presque tous les étudiants ont accès à Internet, et disposent d’une connexion directe ou d’un modem ; les bibliothèques négocient des licences d’accès à toutes les ressources documentaires. En France, la question d’une politique nationale partagée d’accès à ces ressources est posée, car elle est au cœur de la logique du réseau.

  1. (retour)↑  Ces journées étaient organisées à l’ENSSIB, à Villeurbanne, par la Société française des sciences de l’information et de la communication, les 19 et 20 novembre 1997.