Management des bibliothèques

programmer, organiser, conduire et évaluer la politique documentaire et les services des bibliothèques de service public

par Michel Sineux

Thierry Giappiconi

Pierre Carbone

Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 1997. 264 p. ; 30 cm. (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0669. ISSN 0184-0886. 250 F

L'ouvrage de Thierry Giappiconi et Pierre Carbone vient à son heure, même si cette « heure » peut paraître déjà tardive à ceux qui, depuis longtemps déjà, voient s'accumuler les interrogations et les inquiétudes sur l'avenir des bibliothèques et, plus largement, du service public. Même s'il existe déjà en France comme à l'étranger des expériences en ce domaine, le management des bibliothèques n'est pas en général la préoccupation première des responsables d'établissement, pour lesquels le souci de gérer n'est pas la plus ardente des obligations et dont la manière de gouverner doit davantage à la générosité qu'à la stratégie.

Le mot est lâché, qui apparaît d'ailleurs en exergue de l'ouvrage. Si le livre se veut un guide pratique au service de la modernisation de la gestion des bibliothèques, il élabore aussi une réflexion sur le sens et les finalités de l'institution, préalable indispensable à la construction de méthodes et d'outils de gestion propres à répondre aux enjeux de l'avenir.

Une méthode au service d'une politique

Pour les auteurs, en effet, une stratégie de gestion n'a d'autre but que d'atteindre les objectifs sociaux fixés par la politique, cette dernière devant être comprise au sens noble d'art et pratique des sciences humaines.

Plus pragmatiquement, dans sa dimension théorique autant que pratique, l'ouvrage veut familiariser les cadres des bibliothèques aux principes de management qui forment de plus en plus, dans le service public, le cadre de l'action et du contrôle de leur administration de tutelle. Il se veut aussi une mise en garde contre la mise en oeuvre strictement formelle d'une instrumentation qui emprunte à l'entreprise privée certains de ses critères et de ses concepts (objectifs/résultats, marketing, clientèle...), application qui ne déboucherait que sur des solutionstechno- cratiques si aucune adaptation aux réalités et aux contraintes sociales, scientifiques et techniques propres aux bibliothèques n'étaient prises en compte.

En ce sens, il veut démontrer aux tutelles que les cadres des bibliothèques sont non seulement capables d'administrer efficacement les équipements qui leur sont confiés avec les nouveaux outils de gestion, mais encore qu'ils sont seuls à pouvoir le faire de façon pertinente.

Politique de la bibliothèque et management des organisations publiques

Une cinquantaine de pages sur les deux cent cinquante que compte l'ouvrage sont consacrées à une lumineuse mise en perspective historique de l'institution-bibliothèque, de ses valeurs fondatrices de connaissance, de liberté et de progrès, de son éclatement en institutions spécialisées au-delà de la « bibliothèque unique » définie jadis par Eugène Morel, de ses avatars idéologiques aussi, surgis peu ou prou de la fracture éducation/culture, savoir/loisirs, générateurs d'une crise d'identité des bibliothèques, rançon de leur expansion et de leur modernisation.

Rassemblant tous ces fils historiques, les auteurs réaffirment ensuite clairement leurs rôles et les missions de ce qu'ils dénomment avec un vrai bonheur d'expression : les bibliothèques de service public, aujourd'hui, mais aussi de façon plus permanente, mettant en lumière la convergence des besoins et des services. Sont ensuite exposés avec non moins de clarté les principes et les fonctions de management des organisations publiques.

La spécificité française en matière de services publics, qui s'inscrit dans un cadre éthique et institutionnel particulier issu de l'idée républicaine, est judicieusement rappelée pour expliquer pourquoi le management, si facilement emprunté par le service public à l'entreprise privée dans les pays anglo-saxons, n'a pas connu les mêmes destinées en France. Ce système se met néanmoins de plus en plus largement en place dans les organisations publiques françaises, selon des stratégies générales et opérationnelles que les bibliothèques de service public se doivent de reprendre à leur compte.

On aborde alors la dimension proprement pratique de l'ouvrage, composée de cinq parties qui sont autant de phases chronologiques d'une même démarche. Définir les orientations et les objectifs en termes d'impact (efficacité, sociale) et d'efficience (productivité) constitue un processus d'aide à la décision passant par une analyse de l'environnement et l'établissement d'un diagnostic.

Ensuite, la fixation des choix stratégiques en matière d'organisation consiste à rechercher la cohérence d'un système dont participent les collections et autres sources d'information disponibles, les catalogues, les services offerts au public et le fonctionnement interne de l'institution, notamment la répartition des responsabilités fonctionnelles et intellectuelles. Viennent alors la program- mation des ressources nécessaires à la réalisation des objectifs : ressources financières, humaines et matérielles et leur mise en uvre, expression d'une gestion vivante, interactive, au quotidien ; gestion des relations avec les autorités de tutelle, avec la population, des crédits, des ressources humaines.

Un outil pour convaincre

Ces différents aspects du management, dont certains sont connus, voire plus ou moins empiriquement pratiqués, sont analysés ici et illustrés, par le truchement d'exemples, tableaux, grilles, fiches ou encadrés, comme un système volontariste destiné à convaincre obligation dont la nécessité est partout chaque jour davantage ressentie concrètement la collectivité et ses représentants que les bibliothèques, au même titre que d'autres institutions ou entreprises, savent assurer avec la meilleure efficacité et le moindre coût « un rôle décisif dans l'avenir intellectuel, social et économique, et somme toute politique de notre pays ».

On ne reprochera pas aux auteurs d'être passés plus rapidement sur la dernière des fonctions d'un management bien compris : celle de l'évaluation et du contrôle. Ils s'en sont par avance justifiés dans leur préface, se contentant « de mettre en perspective des fonctions déjà explorées par la littérature professionnelle et la pratique ». Dans sa globalité, l'ouvrage qu'ils qualifient modestement de « guide aussi pratique que possible pour la modernisation de la gestion des bibliothèques » est en réalité, on l'aura bien compris, une contribution fondamentale à la bibliothéconomie française, dont la pertinence n'a d'égale que la pédagogie, c'est-à-dire la parfaite accessibilité.